Au moment où le nouveau gouvernement envisage la promotion de nouveaux investissements productifs au moyen de coûteuses mesures incitatives, des milliers d’actifs industriels se meurent sous les effets conjugués de l’absentéisme, de l’indiscipline et du manque de qualification de la main-d’œuvre.
Dans certaines unités de production que nous avons visitées, les propriétaires des lieux nous ont fait montre de spectacles affligeants d’actifs en perdition, constitués de chaînes de fabrication à l’arrêt en raison de ces fléaux que les pouvoirs publics feignent d’ignorer, quand ils ne les encouragent pas en usant de mesures populistes qui surprotègent les travailleurs au détriment des employeurs.
Les industriels, nous apprend un des patrons à qui nous avons rendu visite, sont de plus en plus nombreux à fermer volontairement des chaînes de fabrication, car la poursuite de l’activité n’est économiquement pas viable dans les conditions d’exploitation qui prévalent. L’absentéisme devenu monnaie courante, l’indiscipline au travail auxquels s’ajoute la sous-qualification, rendent impossibles toute velléité d’organisation des process de fabrication et d’augmentation des performances productives.
La désorganisation causée par ces fléaux sociaux qui polluent le monde industriel tire de plus en plus l’outil national de production vers le bas, au point de ne laisser aux propriétaires que l’alternative de la fermeture. Les chaînes de fabrication à l’arrêt sont de ce fait légion avec, à la clé, de nombreux emplois perdus, à l’instar de cette entreprise de la zone industrielle de Rouiba qui a procédé à la fermeture de trois sites de production qui employaient à eux seuls pas moins de 500 ouvriers. «J’ai beaucoup moins de problèmes de gestion et assurément moins de pertes financières en fermant ces chaînes de fabrication qu’en les maintenant en activité», nous affirme le patron de cette société industrielle qui, pour étayer ses propos, exhibe un document faisant état de milliers d’heures d’absences et de sanctions disciplinaires remises en cause par l’Inspection du travail.
«Quand un travailleur licencié pour indiscipline saisit la justice qui continue à fonctionner comme au temps du socialisme, il est pratiquement sûr d’obtenir gain de cause et de copieuses indemnités de licenciement. En quelques années, j’ai été injustement contraint de verser environ 20 milliards de centimes d’indemnisations. C’est intenable et les pouvoirs publics, pourtant bien conscients du problème, feignent de l’ignorer», ajoute t-il non sans amertume.
L’absentéisme, l’indiscipline et le manque de qualification de la main-d’œuvre et, à un degré moindre l’encadrement, constituent comme nous avons pu le constater sur les sites industriels visités une véritable calamité pour les chefs d’entreprise et les responsables de chaînes de fabrication qui souhaitent organiser du mieux possible les process de production.
Le gain facile encourage la fainéantise
Les travailleurs arrivent, en effet, souvent en retard lorsqu’ils ne s’absentent pas carrément sans prévenir. Les fêtes religieuses, notamment les Aïds, sont souvent l’occasion de prolongation d’absences à l’origine de fortes pertes de production. Les unités de production, qu’elles soient de statut public ou privé, sont de ce fait constamment perturbées et les articles fabriqués très souvent affectés par des défauts de fabrication qui prédestinent bon nombre d’entre eux aux rebut.
Si les pertes engendrées sont prises en charge par l’Etat pour ce qui est des entreprises publiques (assainissement financiers, subventions, etc.), celles du secteur privé ne bénéficient par contre pas de ce privilège. Elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, leurs pertes financières tournant, comme c’est souvent le cas, à la faillite. D’où leur légitime prudence.
Les absences et l’indiscipline ne sont, par ailleurs, pas faites pour favoriser des actions de formation au profit des ouvriers manquant de qualification, ce qui, à l’évidence, maintient les entreprises industrielles algériennes dans un état de sous-compétitivité permanent. Les formations qualifiantes n’ouvrant pas droit à de substantiels gains salariaux, les ouvriers auraient tendance à ne pas les prendre au sérieux, quand ils ne prennent pas prétexte d’indispositions momentanées pour les éviter.
A l’origine de l’absentéisme et de l’indiscipline au travail, tous les industriels que nous avons interrogés sont unanimes à incriminer en premier lieu le marché informel, qui permet à certains travailleurs de gagner en quelques journées ce qu’ils gagnent en un mois à l’usine. Le gain facile a perturbé la morale qui prévalait chez les travailleurs algériens avant l’avènement de ce fléau.
Ces derniers ne tiennent plus à leur travail et encore moins à leur formation comme par le passé, nous apprend un des industriels concernés, profondément convaincu que l’argent facile du «trabendo» a dévoyé l’Algérien en général et les travailleurs en particulier. Outre la concurrence déloyale que l’informel et la contrefaçon livrent aux industriels algériens, ces deux fléaux ont, en effet, la particularité de pervertir les travailleurs en les rendant moins besogneux et davantage portés sur le gain facile. Et, il n’est à l’évidence pas facile d’asseoir une économie productive et performante avec de telles tares sociales.
L’absentéisme et l’indiscipline au travail étant en grande partie générés par les pratiques lucratives informelles, ce sont ces dernières que les autorités politiques algériennes devraient s’ingénier à combattre. L’intention étant ouvertement proclamée par le nouveau gouvernement, il est attendu de lui qu’il agisse fermement en s’attaquant au menu fretin, mais également aux maillons forts de la chaîne.