Tunisie : Le gouvernement manque-t-il d’expérience ?

 

gov-jebali070212.jpgPeut-on gérer un ministère lorsqu’on manque d’expérience de gestion des affaires publiques? On nous dit souvent que dans certains pays, nombreux sont les ministres qui n’ont jamais été ministres auparavant et qui ont pourtant réussi. Mais ne comparons l’incomparable. Car dans les pays auxquels on peut penser, comme la France, pour ne citer que ce dernier pays, la plupart des ministres ont auparavant été maires, conseillers municipaux, membres de conseils généraux, députés et/ou sénateurs. Ils ont été de ce fait associés à la pratique du pouvoir.

On prête à l’ancien président français, François Mitterrand, cette phrase prononcée à l’endroit d’un collaborateur, et ce bien avant même que le Parti Socialiste n’accède au pouvoir en mai 1981: «L’essentiel n’est pas d’arriver au pouvoir mais de s’y maintenir. Or, nous ne pouvons le faire que si nous avons un programme de gouvernement qui tienne la route et des hommes compétents pour le conduire».

Cette phrase, force est de le constater, la Troïka ne semble pas l’avoir assez bien remémorée. En effet, si Ennahdha, le CPR (Congrès Pour la République) et Ettakatol ont réussi à constituer un gouvernement bénéficiant d’une confortable majorité, ils n’ont pas toujours réussi à bien conduire les affaires du pays.

Un contexte difficile

Personne ne peut certes ignorer que le gouvernement n’a pas été gâté par la conjoncture économique et sociale que traverse le pays. La récession dans une Europe malade de l’endettement et la montée des contestations dans le pays où tout le monde veut tout et tout de suite n’ont pas facilité les choses. Loin s’en faut.

Reste que le gouvernement donne chaque jour davantage la preuve qu’il est empêtré dans des difficultés notamment économiques qu’il n’arrive pas à résoudre. Comme il n’arrive pas à communiquer aux citoyens, auxquels Ennahdah a promis bien des avancées en cas de victoire, la vérité sur la situation économique.

Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a reconnu du reste, au cours de l’interview qu’il a accordée à des chaînes de radio et de télévision le 28 septembre 2012, que le gouvernement n’a pas été assez «transparent» sur cet aspect des choses. Mais pourquoi le gouvernement ne l’a pas été? Avait-il peur de démobiliser l’opinion? N’avait-il pas une connaissance exacte de la situation?

Tout porte à croire qu’il s’agit-là des raisons fondamentales de ce manque de «transparence» exprimée par M. Jebali au cours de cette interview. Deux raisons auxquelles il serait, peut-être, utile d’ajouter une troisième: le gouvernement, et pour l’essentiel de ses membres, n’avait pas une expérience de l’exercice du pouvoir.

L’expérience est par essence un capital sur lequel on s’appuie pour pouvoir réagir convenablement face à une situation. L’expérience s’appuie sur une connaissance du terrain, des procédures et des hommes. Ce qu’on appelle les dédales du pouvoir. Arrivés au pouvoir, l’essentiel des membres du gouvernement n’avaient pas cette connaissance. Et ce n’est pas là une question de diplômes. Un excellent professeur d’université ou un grand ingénieur ne font pas toujours un bon ministre ou un bon président-directeur général.

Epurés de quelques compétences

On nous dit souvent que dans certains pays, nombreux sont les ministres qui n’ont jamais été ministres auparavant et qui ont pourtant réussi. Peut-on comparer toutefois l’incomparable? Différence, en effet, de taille: dans les pays auxquels on peut penser, la plupart des ministres ont auparavant été maires, conseillers municipaux, membres de conseils généraux, députés voire sénateurs. Ils ont été de ce fait associés à la pratique du pouvoir.

Ce qui est loin d’être le cas des ministres tunisiens actuels, notamment ceux d’Ennahdha qui ont été injustement chassés de toutes les sphères publiques. Tout le monde sait que le régime Ben Ali pratiquait une véritable chasse aux sorcières à l’encontre de quiconque était soupçonné d’être un opposant. Les portes de l’administration et des autres institutions publiques (corps constitués, conseils consultatifs, associations publiques …) leur étaient hermétiquement fermées.

Bien plus, ils ont été pourchassés afin qu’ils ne soient pas présents dans l’espace public: leurs faits et gestes étaient strictement contrôlés et ils étaient empêchés d’avoir même le moindre contact fructueux. Lorsqu’on voit où en est le pays, aujourd’hui, on peut mesurer du reste les erreurs du régime Ben Ali qui ne pouvait exclure de la sphère publique des mouvements politiques, aujourd’hui au pouvoir. Pas des erreurs, en fait, mais un crime.

Lorsqu’on ajoute à cet état de fait l’héritage que la Troïka a trouvé, en décembre 2012, avec notamment un service public dont des cellules ont quelquefois été épurées de quelques compétences. Un héritage que certains responsables de la Troïka ont, sans doute, renforcé en procédant à des nominations pas toujours utiles et idoines. Depuis le 14 janvier 2011, en effet, et donc bien avant l’arrivée de la Troïka, des dizaines de cadres ont été renvoyés par certains «dégagistes» qui étaient, tels des rapaces, à l’affût.

Tous ceux qui ont une expérience de l’exercice du pouvoir ou qui ont tout simplement lu une littérature professionnelle, comme des mémoires d’anciens dirigeants, savent en effet que les premiers responsables sont assaillis, quand ils prennent les commandes dans une institution, par des employés qui viennent offrir leurs services en criant haut et fort qu’ils ont été éloignés par l’ancien patron parce qu’ils disaient non et refusaient de marcher au pas.

Usant de belles paroles, ces derniers sont, pour certains du moins, des incompétents ou des fortes têtes qui roulent souvent pour eux-mêmes et ont une grande soif du pouvoir. Ils promettent monts et merveilles et soutiennent qu’ils sont capables de dépasser bien des problèmes.

Généralement, ces derniers savent séduire jusqu’à ce qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent. Une fois leurs désirs assouvis, il arrive qu’ils changent d’attitude et de comportement jusqu’à rentrer en conflit avec ceux qui les ont nommés ou faire à leur tête.