Il est sans doute superflu de rappeler la fragilité de la situation économique d’un pays en phase postrévolutionnaire et que les gouvernements de transition successifs ont essayé de gérer tant bien que mal jusqu’à ce dernier certes provisoire mais installé par la légitimité des urnes, ce qui lui donne plus de responsabilités dans la gestion adéquate et conséquente des affaires du pays. Le rôle de l’Etat n’est-il pas en premier lieu de renforcer la coopération entre les différents partenaires au développement, de veiller au respect des bonnes pratiques, à l’application de la loi et la primauté du droit?
Aujourd’hui, en Tunisie, les enjeux ne sont pas que démocratiques, ils sont en premier lieu socioéconomiques, car sans stabilité sociale et sans essor économique, adieu démocratie et bonjour chaos!
La tâche ne sera pas facile car, d’après les maîtres d’œuvre à La Kasbah, le gouvernement aurait hérité d’une situation économique, pour le moins qu’on puisse dire, vulnérable. Soit «une fragilité institutionnelle notoire et une dégradation de l’indice de transparence ainsi qu’une fragilité macroéconomique et un manque de coordination entre la BCT et les autorités budgétaires menaçant l’état de confiance et le climat des affaires. Les tensions inflationnistes et les déficits macroéconomiques, appelés à s’étendre sans oublier le flou politique, ont entraîné la dégradation de la Tunisie par les agences de notation principales au début 2012».
C’est ce que s’efforcerait d’éviter le gouvernement Jebali et ce à quoi travaillerait Ridha Saïdi, ministre conseiller auprès du chef du gouvernement chargé des Dossiers économiques et sociaux. «Nous estimons nécessaire de parer au plus important, à savoir stabiliser les indicateurs économiques, rassurer les opérateurs privés et nos compatriotes dans les régions, gagner leur adhésion et redonner confiance aux investisseurs. Mais ce n’est pas facile dans une situation sociale assez perturbée et au vu de l’héritage qu’on nous a légué. Il n’empêche, nous sommes décidés à remettre le pays sur les rails par la relance des exportations et de l’investissement et la création de l’emploi. Pour ce, nous procèderons à l’introduction de réformes immédiates pour améliorer la gouvernance au niveau central et local et nous nous emploierons à mobiliser des financements extérieurs additionnels. A long terme, nous ambitionnons de mettre en place un nouveau modèle de développement pour la Tunisie, porteur de plus de prospérité et plus de justice».
La déstructuration de l’administration et l’ambiance de suspicion cultivée depuis l’arrivée du nouveau gouvernement surtout par la composante CPR n’a pas arrangé les choses, quoique dise le ministre conseiller.
Le CPR, rappelons-le, a fait de la corruption son cheval de bataille, ce qui a eu pour conséquences l’instauration d’un climat de méfiance dans toutes les administrations publiques et diminué leur efficacité et leur réactivité aux sollicitations des citoyens et celles de la communauté d’affaire.
L’absence de l’autorité de l’Etat a encouragé la prolifération de mauvaises pratiques dont la naissance de circuits parallèles de distribution concurrençant les circuits formels et menaçant même l’existence des entreprises nationales.
L’instabilité sociale dans les régions et l’incapacité des autorités locales à maîtriser les flots de protestations des populations et particulièrement des jeunes a eu des conséquences désastreuses sur la production minière et industrielle qui a fait une marche arrière brutale en 2011 et début 2012.
Les industries manufacturières, qui ont pu résister en 2011, ont été affectées cette année et leur croissance a été négative (-5,2%). C’est le secteur agricole, assurant 11% du PIB, qui semble, grâce aux conditions climatiques, avoir échappé au lot des secteurs économiques en régression. Le tourisme, qui avait accusé des baisses importantes en 2011, a repris du poil de la bête depuis début 2012, ses perspectives semblent être prometteuses d’après les déclarations de Lyes Fakhfakh, ministre du Tourisme.
La légitimité du gouvernement, même remise en cause, devrait lui donner plus de latitude pour prendre les bonnes décisions tant au niveau de la gestion économique que de la gestion sociale de la conjoncture. Et d’après nos décideurs publics: «Le processus irréversible de la démocratisation des structures sociales permettrait au gouvernement légitime de mettre à l’épreuve ses œuvres en entamant les réformes structurelles». Ceci lui sera d’autant plus aisé qu’il pourrait profiter du capital sympathie accumulé depuis le 14 janvier en provenance de la quasi-totalité des instances internationales venant en appui institutionnel et financier à la Tunisie à condition qu’on n’ait plus de 14 septembre (date de l’attaque de l’ambassade américaine).
Les 3,3% de croissance réalisés au deuxième trimestre, décriés par certains économistes comme étant un taux insignifiant au vu de la croissance négative enregistrée au cours de la même période en 2011, seraient dus à des choix budgétaires judicieux «dans les limites de la réglementation fiscale disponible».
Le taux de croissance réalisé pendant la première moitié de l’année serait le résultat du retour de l’activité productive à son rythme habituel avec une croissance de l’agriculture de 3,9%, des services marchands de 5%, du tourisme de 13,4%, et du transport de 9,5%.
Le commerce international n’a pas été épargné et le déficit commercial a été accentué à cause de l’augmentation des importations de +14% aux dépens des exportations qui ont progressé de 4% seulement.
Quant au déficit de la balance courante de 7,4% en 2011 d’après le gouvernement, il serait la conséquence du glissement du dinar et le résultat de la migration de plusieurs importateurs vers le régime de déclaration alors qu’ils opéraient dans le secteur parallèle sans aucun contrôle douanier. Il serait donc un coût partiel au vu de l’amélioration de la gouvernance dans le secteur douanier.
Et contrairement à ce que pensent nombre d’économistes, les experts gouvernementaux estiment que le risque de crise de la balance des paiements est négligeable: «puisque les risques de fuite de capitaux a été notoirement réduit grâce à la répression financière, tout comme la part du capital étranger en portefeuille ne l’est pas et que des entrées en devises sous formes de dons et d’appuis budgétaires sont déjà envisagées». Plus important encore, de nouvelles mesures seront mises par le gouvernement pour réduire le déficit commercial en rationalisant les importations et en encourageant les exportations. Et d’après les prévisions établies par les décideurs publics, le déficit serait réduit de 50% à 25% l’année prochaine.
«Lorsqu’on juge de la situation économique en Tunisie, on omet toujours de rappeler le contexte international et l’impact des crises économiques européennes et de nos principaux partenaires commerciaux. Pour ma part, j’estime que l’optimisme est de rigueur. Nous veillerons en tant que gouvernement à mobiliser les ressources financières et humaines pour remettre notre économie sur les rails et nous œuvrerons avec le secteur privé à redynamiser les investissements. Nous comptons d’ores et déjà entrer dans un cycle de rencontres régulières avec la communauté des affaires pour aplanir toutes les difficultés et gagner en cohésion pour le bien du pays. La situation économique tunisienne gérable mais je suis conscient de l’importance d’une visibilité politique et du rétablissement de la confiance avec nos principaux partenaires économiques domestiques et internationaux», indique Ridha Saïdi optimiste.
Ne dit-on pas que «l’optimisme est la foi des révolutions?».