«Si quelqu’un veut s’opposer au mariage, qu’il parle maintenant ou se taise a jamais”. Une phrase que l’on entend souvent lors des célébrations de mariages dans les films et autres séries télévisées. Cette image est celle qui vient en tête pour résumer la guéguerre qui oppose Elyès Fakhfakh, ministre du Tourisme, à Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH). Elle trahit ces «je t’aime moi non plus» qui caractérisent les relations du tourisme et de son administration et jette encore plus de discrédit sur un secteur sinistré.
Il ne fait aucun doute que ce mariage vieillit mal. Devenant grincheux et rouillé, les protagonistes de ce mauvais film ne peuvent se permettre un divorce ni des énièmes nouvelles noces au vu de l’amoncellement des rancœurs et incompréhensions, échecs et autres amertumes.
Elyès Fakhfakh, en s’attaquant à Mohamed Belajouza en le traitant «d’homme du passé», «…qui ne représente que sa personne…», a raté une occasion de bien et mieux parler ou de se taire à jamais. Il a attaqué un homme sur sa représentativité. Des propos que qualifient Mongi Karaouili, président de la Fédération de l’hôtellerie de Tozeur, «d’ingérence flagrante et intolérable dans le choix de leurs représentants élus démocratiquement par vote à bulletin secret».
Hichem Driss, pour la Fédération de Sousse-Kantaoui, évoque «le respect et la solidarité de tous les hôteliers de la région» pour la personne du président de la FTH.
Jallel Bouricha, pour la Fédération de Djerba, appelle à faire évoluer «les méthodes de travail du ministère qui sont restées inchangées et conserve le même système du temps révolu».
Le ministre insinuait-il que Mohamed Belajouza pourrait être impliqué dans des affaires louches en déclarant qu’il était un «homme de Ben Ali»? Pour cela, seule la justice est maîtresse. Pour le reste, il aurait fallu éviter de reprocher aux autres ce que le ministre ne parvient à faire lui-même. Révolutionner son propre ministère et le sortir de l’immobilisme quant aux changements qu’il devait y opérer au sein de l’ONTT (Office national du tourisme tunisien), de l’AFT (Agence foncière touristique)…
Pour provoquer cette révolution touristique, qui ne vient toujours pas, encore faut-il être révolutionnaire soi-même et s’y connaître un peu plus en matière de tourisme!
A la tête de la FTH depuis 2008, quand bien même Belajouza serait «un homme de Ben Ali» ou de Bourguiba ou des deux, il représente avec ses héritiers un pan de l’économie nationale et de son avenir. Faut-il être blanchi sans être accusé pour que l’on reconnaisse son ancrage et celui de ses semblables dans ce pays?
Son cas est représentatif de nombreux entrepreneurs que l’on montre du doigt pour avoir «réussi» ou «profité du système». Il ne tient qu’au gouvernement issu de cette révolution de trier le grain de l’ivraie et de libérer le pays de cette prise d’otage, des hommes d’affaires dans tous les secteurs économiques, qui finit par asphyxier l’avenir. A force de compromis et de compromissions, c’est la Tunisie de la révolution que l’on hypothèque. Construire des lendemains plus prospères et équitables en adéquation avec des besoins de dignité, de justice, de travail, scandés par le peuple, passent forcément par une transmission et un saut générationnel qui ne peuvent se faire que dans le respect à défaut de se faire devant la justice.
Une affaire pas plus qu’une nomination ou une élection ne tombe du ciel. Si Elyès Fakhfakh visait par ses propos à inciter les changements dans les mentalités et procédures au sein de la profession, il a raté une occasion exceptionnelle pour les amorcer.
Ces changements ne peuvent s’opérer qu’en ouvrant le débat, la concertation et la négociation. Pour rendre plus forte la profession, qui en a grandement besoin, il ne s’agit pas seulement de dénigrer ou de dénier. Ce n’est pas en changeant les vis-à-vis -comme le précise le ministre en déclarant que «ce n’est pas seulement avec le président de la FTH qui ne représente que sa personne que nous établissons le dialogue»-mais en outillant cette structure et ses semblables avec de nouvelles prérogatives qu’elles pourront évoluer et devenir plus performantes. Ce n’est pas non plus en sous entendant la création d’une structure parallèle que le tourisme se reconstruira.
Pour bâtir l’avenir, il est vital d’accompagner le changement des mentalités. De leur côté, les professionnels se doivent de prendre en charge leur secteur et faire face aux problèmes qui plombent leurs produits.
En s’attaquant aux gros dossiers qui gangrènent l’hôtellerie tunisienne et une partie de son tourisme, Elyès Fakhfakh dérange. Depuis ses déclarations sur la création d’un fonds de gestion d’actifs relatif à l’endettement hôtelier, l’inquiétude des professionnels monte. Ils se sentent exclus des décisions dans une affaire qui les concerne au plus haut point. En se penchant, enfin, sur ce dossier, le ministre tente une ouverture sur les réformes. Son tort, il n’en dit pas plus et attend encore «le moment opportun».
De ses déclarations maladroites et quelquefois hasardeuses, du type les Etats-Unis d’Amérique «ont exagéré» leur décision de rapatriement après l’attaque de l’ambassade, on peine à trier les déclarations fracassantes d’Elyès Fakhfakh de celles relatives aux vraies réformes. Le ministre a multiplié les effets d’annonce comme la création de la taxe touristique aussitôt démenties par les services concernés.
En choisissant, à juste titre ou pas, de «sauver la saison» au détriment d’affaires plus radicales et structurelles, Elyès Fakhfakh s’en sort avec un bilan positif qui fait de lui un des moins mauvais ministres de la Troïka. Son bilan, contesté par les professionnels, fait-il de lui l’homme de la situation ou de l’avenir pour le tourisme tunisien? Ceci est un tout autre débat.
A l’heure actuelle et malgré la polémique qui n’a cessé d’enfler, le ministre du Tourisme autant que le président de la FTH ont nécessairement conscience que les réformes sont impossibles sans soutien mutuel. Les récentes déclarations de la Fédération tunisiennes des agences de voyage (FTAV) soutenant la FTH au travers de son président, nouvellement élu, se range du côté des hommes du passé. Ainsi donc, l’ensemble de la profession confirme qu’elle attend toujours beaucoup de l’administration. Loin des querelles stériles, la volonté politique est l’accélérateur nécessaire pour reconstruire le tourisme tunisien.
Espérons que les enjeux politiques ne vont pas servir à rajouter de l’huile sur le feu au détriment du sauvetage du secteur.
Les menaces qui pèsent sur le tourisme se posent en termes de qualité, de politique touristique et d’investissements, d’environnement, de promotion, de diversification, de gouvernance, de sécurité et d’image de la destination qui ne peut se permettre de les voir s’aggraver par des problèmes de communication interne.
Le tourisme a trop longtemps souffert d’un autisme frappant les uns et les autres. Cette incapacité à travailler ensemble a plombé le passé. Ne ratons pas l’avenir. Une révolution est rare et précieuse!