C’était le 8 mars 2012 au CREDIF que 3 députées femmes avaient émis la volonté de créer un groupe parlementaire de femmes à l’Assemblée nationale constituante (ANC). Il aura fallu quelques mois, l’affaire du viol, de la «complémentarité» ou le cas Bahri Jelassi, pour que cela se concrétise ou presque. Des incidents qui ont contribué à faire évoluer les esprits des plus réfractaires d’entre elles. Du coup, ce n’est pas seulement le groupe parlementaire qui se dessine. C’est même une commission des droits de la femme dans l’Assemblée qui se met en place.
Les 49 femmes députées sous la coupole du Bardo ne sont pas une seule voix face aux défis liés aux droits des femmes et à la transition démocratique. Loin s’en faut. Face aux enjeux, elles sont et restent redevables à leurs partis politiques mais savent aussi que leurs paroles et poids sont d’or.
Si elles ne cherchent pas à préserver les acquis de la même manière, elles restent fortement sensibles et mobilisées au fait de les garder. Au terme d’une année au sein de l’Assemblée constituante, qu’est-ce qui s’est passé en elles? Comment ont-elles évolué? Les appréhensions entre elles et à leurs égards sont-elles tombées?
Loin de pouvoir répondre à toutes ces questions, il est important de souligner que ce sont les femmes du Parti Ennahdha qui intriguent le plus. Représentant plus de la moitié des élues femmes au sein de l’ANC, ce sont elles qui osent le plus les déclarations déroutantes. Comment ne pas se souvenir des propos de Farida Laabidi déclarant que la femme ne peut en aucun cas être l’égale de l’homme? Comment occulter les propos de Souad Abderahim à l’égard des “mères filles“? Comment ne pas mentionner cette autre députée qui revendiquait la séparation des sexes. Loin de la coupole du Bardo et au sein de ses propres structures, Ennahdha a permis à deux femmes l’accès au «Majliss Echouraa» sur 100 hommes!
Ceci dit, et pour en revenir à l’expérience féminine au sein de l’ANC, Souad Abderahim dit: «c’est une des plus riches expériences de ma vie. J’ai mis de la pondération dans mes positions et appris davantage la tolérance au terme de cette année». Députée se réclamant indépendante, la pharmacienne a gagné sa place le 23 Octobre sur la liste d’Ennahdha. Elle avoue passer par des hauts et des bas et résister tant bien que mal face au lynchage médiatique et à la méchanceté gratuite.
Pour elle, rester femme est primordiale. Elle reconnait aisément des changements d’attitude dans les deux camps des femmes élues à L’Anc et se félicite de la création de ce groupe de femmes parlementaires. «L’évolution est indéniable. Même chez celles qui paraissent les plus dures et imperméables, le changement s’opère de manière consciente ou inconsciente».
Pas forcément perceptible durant les séances plénières de l’ANC, le vivre ensemble pour Souad Abderahim n’est pas du tout remis en cause. Consciente que les risques sont plus importants sur la femme, elle prendra pour exemple les 2 députés d’Ennahdha qui ont voté contre leur propre camp concernant la nomination de Chedly Ayari à la tête de la BCT (Banque centrale de Tunisie) pour argumenter des changements.
Du côté de Nadia Chaabane, cette conscience s’est transformée en réalité au lendemain de l’affaire des viols signés par plus de 40 femmes sur 49. Pour une autre députée, le changement s’opère même sur l’apparence pour ne pas citer le cas d’une députée CPR qui est revenue sans le voile après les vacances d’été.
Si les 49 femmes ne sont aucunement sensibles de la même manière aux mêmes sujets, elles ressentent le besoin d’exprimer leur solidarité féminine face à des incidents douloureux ou honteux et aux dangers qui les menacent comme ceux proférés par Bahri Jelassi qui réclame de réduire l’âge du mariage des filles à 13 ans. Ces dérapages révèlent les enjeux liés aux statuts et rôles des femmes dans le modèle sociétal à bâtir de certains.
Pour cela, le viol de la jeune femme par des représentants des forces de l’ordre a été un tournant dans la vie des constituantes. Au vu du tollé qu’a soulevé cette affaire tant au niveau national qu’international, elles se serrent les coudes. Sont-elles guidées en cela par une lignée de femmes actives et combatives dans les cercles de la vie de la société civile? Si elles ont encore du mal à se mettre au tempo des femmes comme la présidente de l’Association des magistrats, la patronne du Syndicat des journalistes tunisiens ou celle de l’UTICA, elles ne peuvent qu’être admiratives des femmes comme celle bousculée par le salafiste dans l’affaire du drapeau tunisien.
Ceci dit et afin de pouvoir aller de l’avant, les femmes de cette Assemblée constituante doivent aussi commencer par la réconciliation entre elles. Les femmes du parti Ennahdha ont en effet plusieurs fois laissé exploser leurs colères devant ce qu’elles appellent le «terrible silence» des femmes démocrates lors de la campagne de répression menée par l’ancien régime contre les femmes voilées. Ferida Laâbidi a, à maintes reprises, attaqué l’ATFD, la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) ou encore Amnesty International.
Ces organismes, où la présence féminine et féministe est plus que notable, n’ont eu de cesse de s’opposer à la dictature et la répression durant les années de braise. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes organismes qui ne comprennent pas que certaines députées ne se mobilisent pas pour protéger celles qu’on veut voiler de force.
Aujourd’hui, les femmes à l’ANC commencent à s’organiser autrement et on note leur empreinte dans les débats et sur la scène publique et politique tunisienne. Désormais des Semia Abbou, des Lobna Jeribi, des Nadia Chaabane, des Mehrzia Labbidi sont des lionnes dans l’arène. Elles appellent à la consécration des principes de l’égalité et de la parité, à la consolidation des droits de la femme et à l’ancrage de nouvelles traditions parlementaires qui offrent aux constituantes l’opportunité de se former sur les plans juridique et politique.
A chacune son rythme et ses convictions. Depuis plus d’un an, ces femmes portent les voix et les espoirs de leurs concitoyennes et concitoyens. Sur elles aussi reposent les enjeux d’une démocratie à bâtir. Quelle que soit la distance qu’elles ont les unes des autres sur des sujets aussi sensibles que la complémentarité ou l’égalité, la responsabilité, la liberté, la justice, elles sont femmes avant d’être députées. Certaines d’entre elles se découvrent politiques. Cela leur ouvre bien des horizons et dépasse leurs engagements au delà du cadre important mais restrictif de l’Assemblée. Cela change le regard sur soi et sur elles et impacte férocement et forcément la pensée.