Ulcérés, au temps de Bourguiba, par l’étiquette réductrice «KJB», allusion au sinistre service de renseignement de l’Union soviétique poststalinienne, et au temps de Ben Ali, par l’étiquette discriminatoire et délibérément raciste «08», les habitants des quatre gouvernorats du Nord-ouest du pays (Siliana, Le Kef, Jendouba et Béja) ont saisi l’opportunité de la révolution pour lever la tête, d’abord, pour se connaître, ensuite, et pour réfléchir, enfin, sur les perspectives de développement de leur région sur de nouvelles bases.
Le Centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-ouest (CRSDNO), créé quatre mois après la révolution, s’est investi de cette délicate mission et s’est voulu, dès le départ, à la fois un Think tank et un groupe de pression.
Lors d’un débat à dessein «élitiste» qui a groupé, le week-end dernier, à Tunis, une cinquantaine de hauts cadres, universitaires, journalistes, banquiers, hommes d’affaires, directeurs de cabinets de conseil, anciens ministres «à la retraite et non en retrait», le président du Centre, Kamel Ayadi, entouré des fondateurs de cette organisation dont Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), a dressé un bilan très instructif des enseignements tirés, après une année et demi d’exercice.
Au plan des points positifs, il a évoqué l’émergence d’«une identité nord-ouest» et de la détermination des communautés de cette riche région, à s’affirmer, de fait et de juré, comme une entité économique crédible, pérenne, solide et solidaire.
Au rayon des insuffisances, il a cité l’absence dans la région de traditions de volontariat et de solidarité et la survenance de catastrophes naturelles successives (vague de froid, inondations…) lesquelles ont empêché le centre de vaquer à sa principale fonction, celle de réfléchir sur les mécanismes devant booster le développement de la région.
Le débat a fait ressortir, au plan structurel, le paradoxe du nord-ouest: une région très riche et une population extrêmement pauvre. Des participants ont recommandé de mener une étude soit sur la pauvreté de cette région, soit sur les raisons qui ont mené à son appauvrissement. Pour certains, la réponse à cette problématique est simple. Les communautés du nord-ouest ont été de tout temps, tout juste les cerbères de richesses qu’ils ne peuvent pas s’approprier et dont ils subissent, annuellement, les malédictions (crues, froid, chômage, érosion, glissement de terrain, marginalisation, illettrisme…).
Et pour cause. Le propriétaire des immenses ressources d’eau qui ont valu à la région le titre de «château d’eau de la Tunisie», les vastes terres agricoles fertiles, celui de «grenier de Rome» et les forêts, celui de «poumon de la Tunisie», n’est autre que l’Etat. Rien que dans la région de Béja, 78% des terres agricoles cultivables sont soit des terres domaniales soit des terres habous, a martelé un ingénieur béjaois.
L’autre problématique soulevée et non des moindres, c’est l’iniquité scandaleuse et criarde que subit cette région en raison de sa spécialisation dans la production céréalière. Les céréales et dérivés sont les seuls produits qui demeurent, jusque-là, compensés, empêchant ainsi les céréaliers de la région d’améliorer leurs revenus et leurs conditions de vie, alors que le prix des autres produits agricoles du pays (huile d’olive, agrumes, dattes, fruits, légumineuses…) ont été tous libéralisés, ce qui a contribué, de manière significative, à l’amélioration du niveau de vie de leurs bénéficiaires.
Mention spéciale pour le tourisme culturel, un participant a dénoncé le lobbysme du balnéaire qui a toujours vampirisé tous les fonds alloués à la promotion du tourisme en Tunisie au détriment du tourisme archéologique à l’ouest du pays et du potentiel énorme en vestiges archéologique dont jouit, à cette fin, la région du nord-ouest.
Globalement, s’interdisant tout esprit corporatiste ou régionaliste, les participants ont réclamé seulement de l’équité et rien que l’équité, voire le droit légitime du nord-ouest au développement et le droit légitime des communautés à une vie sédentaire digne. Ils ont suggéré des études stratégiques sur l’iniquité développementale dont pâtit la région, sur l’infrastructure et sur le mauvais rendement de tous les systèmes de formation (formation professionnelle, enseignement secondaire et supérieur…).
Ils ont proposé aux cadres régionaux originaires de la région de mettre à profit leur accès à l’information budgétaire de faire des études comparatives entre les budgets alloués aux gouvernorats du nord-ouest et autres régions. L’objectif est de dénoncer, preuves à l’appui et selon les critères officiellement adoptés, écarts et iniquité.
Ils ont recommandé également d’abandonner l’élaboration d’études de projets et de création d’entreprises, et de lui préférer l’étude des filières et des projets structurants (mise en valeur des versants des barrages, promotion des filières de l’arboriculture fruitière, eaux minérales, tourisme archéologique…) lesquels seraient mieux défendables au niveau du financement.
Au niveau du Centre de réflexion stratégique pour le développement du nord-ouest, un consensus s’est dégagé autour de l’enjeu d’instaurer un partenariat stratégique entre les associations de développement de la région et le Centre. Le but étant de doter ce think tank du nord-ouest de cette précieuse logistique associative qui lui permettra de s’informer de la situation sur le terrain et de réfléchir sur les mécanismes et pistes propres à aider, en retour, les associations à mener avec l’efficacité requise leur action.
Une question a plus ou moins départagé les participants. Le Centre devra-t-il avoir uniquement une dimension développementale ou une dimension à la fois développementale et politique? Aucune réponse définitive n’a été donnée, à ce propos, mais tout le monde est invité à réfléchir et à proposer des solutions de la prochaine réunion. Les participants ont tiré à boulets rouges sur les constituants de la région qui n’auraient pas été à la hauteur et n’ont pas assez défendu les intérêts de la région du nord-ouest.
Pour pallier cette insuffisance majeure, il a été décidé de tenir, sur proposition de Chedly Ayari, une réunion, début décembre prochain, pour discuter de propositions à présenter aux prochains débats budgétaires en vue de grignoter, pour l’exercice 2013, des fonds exceptionnels à dédier à des projets urgents dans la région (électrification, adduction d’eau potable..), d’autant plus que, selon lui, le budget de développement, pour l’année 2012, n’a été dépensé qu’au tiers en raison de l’inadaptation des projets aux spécificités de certaines régions. Autrement dit, il existe une marge de manœuvre pour mobiliser au profit de la région des fonds urgents.
Cela dit, il me semble que le plus urgent est d’avoir une pensée urgente pour les habitants de la délégation d’Ain Draham où ses habitants risquent de connaître, pour peu que rien ne soit fait, une catastrophe humaine au cas où une vague de froid sévisse, l’hiver prochain, dans cette contrée.
Une autre pensée également pour ses montagnards isolés et terrorisés par les voleurs de bétail. Il est urgent de les sécuriser, de renforcer en toute urgence l’effectif des postes de la Garde nationale et d’intensifier leurs rondes dans les zones rurales.
A bon entendeur.