Comment diffuser le développement dans les régions et d’un autre côté comment faire pour qu’il y ait une remontée des flux de sorte à booster la compétitivité globale du pays? Cette réflexion pourrait nous mettre sur la piste du nouveau modèle économique tant convoité.
Le développement régional et l’aménagement du territoire sont deux disciplines que le commun des observateurs a pris l’habitude d’amalgamer et même de confondre. Abderrazak Zouari, universitaire, ancien ministre qui a initialisé la première expérience d’un ministère du Développement régional dans notre pays, au sein du gouvernement de BCE, et Taieb Houidi, DG du cabinet Dirasset, universitaire et consultant, ont montré que les deux disciplines sont nettement distinctes, lors du dernier Grand Amphi de l’ASECTU (Association des économistes tunisiens).
Le développement régional, comme son l’indique, focalise sur les régions, alors que l’aménagement agglomère le territoire. L’un et l’autre universitaires s’accordent pour soutenir que ces deux filières distinctes sont l’envers et l’endroit de la trajectoire du développement. Pour Abderrazak Zouari, le développement régional c’est l’art et la manière de faire que les régions convergent en matière de standing de développement. A l’inverse, pour Taieb Houidi, l’aménagement du territoire fera en sorte que les micro-territoires locaux, grâce à une compensation de richesses, juste et équitable, contribuent à la compétitivité globale du pays.
Comme à tous les rendez-vous de l’Association, le débat était riche et enrichissant.
Le gouvernorat versus la région
Abderrazak Zouari évoque les obstacles au développement régional. Le découpage administratif en gouvernorats est sclérosé, dit-il. Les directeurs régionaux des ministères, présents dans les gouvernorats, ne peuvent pas travailler en horizontalité. Chacun fait son travail coupé des autres départements, ce qui fait que les synergies sont éparpillées.
Par ailleurs le travail du ministère se résumait à financer, sur des ressources budgétaires, des activités éparses de chantiers de développement, de pistes agricoles; les travaux d’électrification et la lutte contre les logements rudimentaires.
Le conseil régional du développement -constitué du gouverneur, des maires et députés, des directeurs régionaux des ministères- ne sait répondre que ponctuellement aux sollicitations de la population. Quand les jeunes réclament du travail on leur propose une série de projets. En soi, ça ne manque pas de rigueur. Mais, conviennent les deux conférenciers, amener seulement de l’infrastructure ne résout pas le problème du développement.
Dans ce sillage, nous rappellerons que les ministres du gouvernement Jebali se sont déplacés dans les régions et n’ont pas rencontré l’écho qu’ils escomptaient. Une série de projets ne constitue pas un plan qui intègre. Les 250 millions de dinars sous l’ancien régime, même quand ils ont été doublés par le gouvernement de BCE, n’ont pas imprimé un bond au développement régional.
Et abondant dans le même sens, Taieb Houidi rappellera que le Commissariat général au développement régional, dirigé par Mondher Gargouri, et avec le plein appui de Hédi Nouira qui en avait fait une structure fétiche, n’avait fait progresser l’investissement public dans les régions que de 1,5% en quinze ans d’exercice.
La conclusion des conférenciers est qu’il faut redécouper le pays. Abderrazak zouari penche pour «slicer» le pays en cinq grandes régions, et Taieb Houidi ajoutera qu’il faudra soigner les affinités locales pour donner la taille critique à chaque sous-ensemble.
L’ancien ministre, fidèle à son Livre blanc, ajoute que ces 5 régions s’appuieraient sur 50 districts qui ont pour but d’harmoniser les actions de développement et enfin 500 communes.
Les deux conférenciers s’accordent pour dire que le but de cette reconfiguration du pays est de trouver des clés de répartition entre les régions. La fiscalité régionale est en général insuffisante. Il faudra un appoint de l’Etat central. Cet appoint, pour être équitablement alloué, devra optimiser l’effort de développement local.
Pour Taieb Houidi, il s’agit en effet, à travers cette clé de répartition de pouvoir, de compenser les régions et éviter les disparités de distribution des richesses. Pour assurer la convergence et l’efficacité citée par Abderrazak Zouari, il faut parvenir à rattraper les écarts entre les régions. En regard des équipements du Grand Tunis, Taieb Houidi parlera du désert des régions de l’intérieur.
La décentralisation est le déni de la régionalisation
On a le sentiment, surtout après la tenue de la dernière réunion nationale des gouverneurs, que la Tunisie persiste sur la voie de la décentralisation. C’est-à-dire que tout est conçu à partir de Tunis et répercuté sur les régions.
La planification sera assurée par les technocrates des départements ministériels et les réalisations seront accomplies de manière fragmentée, sans ce caractère efficient qui doit faire que la synergie entre les régions serve la productivité globale.
Il est vrai, reconnaissent les deux conférenciers, qu’un gouvernement provisoire ne peut superviser une œuvre d’aussi longue haleine que le développement régional ou le changement de la physionomie du pays en l’aménageant sans la défigurer. Nous ajouterons pour notre part que la science économique a progressé et que le concept de «Supply Chain» peut servir de concept global afin de structurer un pays comme en un ensemble productif global.
D’ailleurs, le dispatching des activités économiques entre les régions est réglé par une autre découverte économique qui est le «lean management».
Quand Abderrazak Zouari soutient que le développement régional doit être retiré des mains des ingénieurs et redonnés aux économistes, il aurait dû préciser “les économistes qui sont à jour“. Des économistes tunisiens ont travaillé sur cette question qui consiste à donner une charpente territoriale à notre appareil productif et logistique et elle a abouti à des résultats tangibles en matière de redressement de l’efficacité des installations portuaires, à titre d’exemple. Ces mêmes économistes avaient suivi, dans le détail, le travail comparatif qui nous a opposé à la Tchéquie pour l’accueil d’une usine Volkswagen. Les délais étaient de 7 jours pour la Tunisie et de 6 pour la Tchéquie et on a perdu la bataille.
Un problème éminemment politique
Elaborer une politique globale pour assurer une cohérence entre développement régional et aménagement du territoire n’est en rien un problème de méthodologie. C’est d’abord et avant tout un problème d’ordre politique. Organiser les régions, c’est d’abord leur consentir une autonomie de décision via une émancipation démocratique. De même que le rappellera Taieb Houidi, il faut des mécanismes institutionnels nouveaux pour de nouveaux horizons de développement et de croissance. Les régions doivent disposer d’un directoire élu qui préside à leurs destinées. C’est tout aussi simple. En l’état actuel des choses, et quand bien même on tenterait de faire du développement régional et de l’aménagement avec beaucoup de volontarisme, on ne modifiera pas la situation, en profondeur.
A bon entendeur…