L’Europe du sud crie “haro” sur Merkel, de façon injuste pour des experts

[14/11/2012 16:09:36] PARIS (AFP) La chancelière allemande Angela Merkel, considérée par les Européens du sud comme responsable des mesures d’austérité qui les asphyxient, est devenue le bouc-émissaire de la rue, mais des experts jugent cette vindicte exagérée.

Mme Merkel, qui vient de se rendre en Grèce et au Portugal, y a été accueillie par les slogans “Merkel dehors” de manifestants en colère, représentée pendue à une potence devant le Parlement grec ou encore conspuée aux cris d'”assassin” par la rue lisboète.

Une hostilité qui témoigne d’une “incompréhension”, “d’un double rejet, rejet de politiques qui sont vues comme étant importées et rejet de mesures considérées comme ultra-libérales sur la question du coût du travail, de la baisse des dépenses publiques”, observe Claire Demesmay, de l’Institut allemand de politique étrangère à Berlin.

Mais, note-t-elle, “on n’a pas une Europe unie contre l’Allemagne. En Europe du nord, Mme Merkel incarne non pas cette stratégie d’austérité mais une Europe raisonnable, avec l’espoir qu’elle continue sur cette voie-là”.

D’autres experts jugent exagéré de désigner Mme Merkel comme seule responsable de décisions prises collectivement à Bruxelles et votées ensuite par des Parlements nationaux démocratiquement élus.

“Si les citoyens s’en prennent à Angela Merkel, c’est parce qu’elle se retrouve en situation de leadership à l’échelle européenne mais le fonctionnement de l’Union européenne est très complexe, il n’y a pas une seule personne qui décide pour tout le monde. Il faut modérer le propos”, affirme Fabio Liberti, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris.

“C’est trop facile de faire porter à Mme Merkel le poids de décisions collectives. Je ne pense pas que ce soit des recettes allemandes et que Mme Merkel soit la cause de tout”, renchérit Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman implantée dans la capitale française et à Bruxelles.

Mme Merkel focalise le rejet de la rue mais ce rejet ne s’est pas démocratiquement confirmé. “Chaque fois qu’il y a eu des mouvements de rue, on nous a prédit des résultats électoraux antieuropéens, et ce sont les partis pro-européens qui l’ont emporté”, analyse-t-il.

Crainte d’une Europe qui se délite

Fabio Liberti juge aussi “dangereux pour l’avenir” pour un gouvernement d’expliquer qu’il faut réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts “parce que l’Europe vous le demande et non parce que vous avez fait des erreurs dans le passé”. “Vous faites passer le message que c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre et non pas à cause des dérapages du passé”.

Or, affirme-t-il, “ce n’est pas Angela Merkel qui a mis en place une politique clientéliste en Grèce pendant des décennies ni Angela Merkel qui a dit à Silvio Berlusconi (l’ancien chef du gouvernement italien) d’inciter à l’évasion fiscale”.

Fabio Liberti relève d’ailleurs que le successeur de M. Berlusconi, Mario Monti, répète à ses compatriotes: “nous ne faisons pas les réformes parce que l’Europe ou Angela Merkel nous le demandent mais parce que c’est bon pour le pays”.

Claire Demesmay constate enfin que l’Allemagne est soupçonnée à tort de vouloir prendre les commandes en Europe alors qu’elle n’est “pas à l’aise” avec cette idée.

“Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne vise à travers l’intégration européenne à se faire accepter. Elle plaide pour ses méthodes parce qu’elle y croit mais elle ne veut pas passer pour le leader de l’Europe. Elle a besoin de partager ce leadership avec la France mais aussi avec d’autres Etats. L’inquiétude de Berlin, c’est d’avoir une Europe qui se délite à cause d’une France qui est trop faible”, poursuit la politologue.