Le budget de l’Etat est élaboré et approuvé par l’exécutif. N’est-ce pas le moment d’élargir le champ d’intervention des parlementaires et de faire une place à la société civile? Par ailleurs, sa rubriquation, qui est ancienne, présente des zones d’ombre. Il faut activer les mesures de lisibilité et de transparence.
Vendredi 9 courant, Nou-R a organisé un débat de large représentativité, en y conviant des représentants de l’ANC, des partis politiques et de la société civile autour du thème «Budget de l’Etat 2013, contraintes et solutions à court terme». Outre que le moment est propice, au vu de l’imminence des débats budgétaires, les pistes de réforme prospectées sont propices à une reconfiguration du cadre du budget tunisien, lequel, tout en étant solide et cohérent selon les experts de «l’Association Budget Partenership», est devenu suranné et reste, tout de même, empreint d’opacité.
Dans quelle mesure peut-on retoucher le Budget 2013 et comment l’adapter aux objectifs de la révolution, c’est-à-dire au moins l’emploi et l’équilibre entre les régions?
Du dogme des équilibres à la «Gestion budgétaire par objectifs»(GBO)
Il faut bien se dire que le budget est le cadre de lecture de la politique économique de l’Etat. En démocratie il doit être ouvert aux interventions de la société civile. C’est un exercice démocratique de base que les citoyens et les régions puissent dire leur mot sur les choix économiques fondamentaux, qui engagent le pays, donc leur avenir. Le budget tunisien, malgré un cadre conceptuel conséquent, a besoin d’un relooking en profondeur selon les experts d’IBP présents à la conférence.
De conception ancienne, le budget repose sur le dogme des équilibres. Mais cette configuration n’empêche pas l’opacité. Le budget doit permettre une certaine la lisibilité. Le citoyen doit pouvoir se faire une opinion sur la manière dont l’Etat se procure ses recettes et affecte ses dépenses, et se donne donc un train de vie.
Equilibrer les grandes rubriques du Budget ne renseigne en rien sur le contenu des rubriques pas plus qu’il n’informe sur l’’efficacité des allocations budgétaires. Un budget moderne se présente comme une série de programmes, eux-mêmes assortis d’une batterie d’indicateurs de performance. Là au moins l’opinion sait ce que fait l’Etat, et par-dessus tout si l’Etat est efficace. Mais comment élargir le champ de participation populaire et parlementaire à la préparation et à l’exécution du budget?
La société civile souhaite pouvoir intervenir en amont et en aval
La situation veut que ce soit l’exécutif qui élabore le budget et qui agrée les amendements apportés par la Commission des finances de l’Assemblée. La marge des parlementaires peut être étendue en amont et en aval pour peu que la volonté politique existe.
Par ailleurs, les parlementaires disposent de peu de temps pour examiner le budget qui leur est présenté un mois avant son adoption. A ces contraintes de temps et de compétences, ajouter que l’exécutif garde la haute main sur tous les amendements. Cela se manifeste dans la manière de pouvoir lisser les doléances émises par les régions.
Au total, la volonté populaire ne trouve pas des fenêtres de tir pour intervenir en direct sur les choix contenus dans le budget. Dans cette perspective, les échanges ont suggéré d’émanciper la commission des finances. Du rôle où l’avait corseté l’ancien régime de “commission d’enregistrement“, et qui n’a pas encore été profondément remanié, elle pourrait devenir une force anticipative et participer aux choix fondamentaux. En d’autres termes, l’opposition, si elle est représentée dans la Commission, pourrait, par conséquent, avoir son mot à dire dans les choix nationaux. Ce qui représenterait une avancée démocratique.
Une plus grande implication de la Commission dans la loi de finances complémentaire aurait appelé l’attention, suggère-t-on, sur certaines options, telle la surévaluation des recettes de cession des biens confisqués. Elle aurait également évoqué la nécessité de prendre les mesures salutaires de relèvement de prix de certaines denrées compensées, telle l’énergie, quand bien même elles sont impopulaires.
Il faut faire accepter démocratiquement une dose de vérité des prix, d’autant que c’est inévitable. Le budget supporte des charges insoupçonnées. Le litre de “Sans Plomb“ est subventionné à hauteur de 500 millimes. La bouteille de gaz domestique revient à 19 dinars, et elle est commercialisée au prix public de 7 dinars. D’où la politique de Go & Stop suivie par le gouvernement.
L’imbrication de la Commission représenterait, certes, une avancée démocratique. Dans quelle mesure, se demande-t-on, peut-elle être entendue?
Le budget en chiffres : de dures contraintes financières
Le budget c’est l’organe d’intervention de l’Etat. Quels moyens le budget procure-t-il à l’Etat? A l’heure actuelle, on disposerait de 17 millions de dinars de recettes fiscales et de 2 autres millions de recettes non fiscales. Sur ce total, il faut déduire 11 millions pour le titre premier, de quoi assurer les salaires des fonctionnaires et le train de vie de l’Etat. De même, il faut ôter 4 autres millions pour le service de la dette.
Finalement, il reste 4 malheureux millions auxquels il faut rajouter les ressources d’emprunt, pour permettre à l’Etat d’intervenir pour la couverture sociale et l’investissement public.
Les ressources de l’Etat sont donc assez réduites. A l’évidence, la marge de manœuvre est réduite. La concertation démocratique trouve tout son sens dans ce contexte, étriqué.
Deux questions surgissent. La première, c’est de savoir de quelle manière l’Etat peut-il améliorer ses recettes à court terme. La seconde est de voir comment optimiser ses interventions et notamment en redéployant les ressources affectées à la Caisse générale de compensation. Cette dernière plombe le budget sans toutefois fournir la justice économique recherchée puisque les classes moyennes et favorisées profitent, à travers la compensation, de subventions dédiées aux économiquement faibles. En ratant sa cible, la compensation alourdit indument le budget. Comment se départir de tout cela?
L’avantage de la Gestion budgétaire par objectifs
La réponse à notre question aurait été simple si le budget était adossé à des programmes, spécifiquement identifiés et qui seraient assortis d’indicateurs de performance. La traçabilité donnerait une vision claire. Or, ce n’est pas le cas. La GBO aurait permis, en plus de la visibilité, un avantage suprême, celui du suivi et du contrôle. Or, en l’état actuel des choses, seulement 7% des dépenses budgétaires sont contrôlées. Les 93% autres, faute de moyens, de manuel de procédures également, ne le sont pas.
Par ailleurs, la mesure de performance en ces conditions est difficile à assurer. A fin novembre, 33% des dotations budgétaires ont été engagées; alors que les régions ont besoin d’investissement. L’administration bloque au niveau de la canalisation des recettes en surplus. En voulant bien faire on a plombé le budget dans faire profiter les régions destinataires des allocations de développement. Il y a comme une aberration, font apparaître les échanges lors de cette journée de réflexion. Et, c’est à ce niveau que l’on voit que les archaïsmes du modèle conceptuel du budget sont pesants.
Budget: que vaut l’option «croissance zéro»
Un gouvernement trop préoccupé de considérations électoralistes peut recourir à des choix discutables. L’option de Go & Stop a fait plus que doubler le déficit budgétaire en le faisant passer de 3 à 6,6%. In fine, l’emploi n’est pas au rendez-vous et le développement dans les régions ne se fait pas. Cette politique, ont relevé quelques intervenants, a même obtenu le résultat inverse. Elle est parvenue à augmenter les dépenses de l’Etat sans booster l’investissement public, étant donné que les émargements à fin octobre en sont à 33%.
A présent faut-il maintenir la pression du Go? L’économie étant en dessous de son potentiel, ne faut-il pas maintenir la pression au moins à son niveau de 2012 dans l’espoir que l’investissement privé amorce le déclic? Comment dans ces conditions tenir la dette à un niveau soutenable? Doit-on opter pour la croissance zéro du budget? En réalité, disent les participants, l’on n’est pas enfermé dans ce choix de Go & Stop, quand bien même il nous a valu le satisfecit des institutions internationales. D’autres politiques sont possibles, telle la régionalisation.
Des choix courageux
L’ennui est que pour 2013 tout indique que nous restons sur le même schéma avec les mêmes recettes. Pour doper ses ressources, l’Etat se reportera sur les cigarettes et l’alcool. Le relèvement de la fiscalité indirecte, telle la TVA, est pénalisant, faut-il le rappeler. D’autres choix sont possibles. On a suggéré l’inclusion des forfaitaires au régime commun, par exemple. C’est une idée qui se tient parce qu’elle relève du principe de la justice fiscale. L’augmentation des taux tue les totaux, disent les fiscalistes. Trop pénaliser le consommateur ou le salarié devient contreproductif. A titre d’exemple, les salariés rapportent 2.620 millions de dinars à l’Etat, et les forfaitaires moins de 40 millions.
Certains participants ont rappelé que Slim Besbès, ministre des Finances par intérim, avait, dans un ancien article de presse, appelé à faire contribuer les forfaitaires selon le régime réel. Aurait-il oublié ses positions professionnelles devant les considérations électoralistes du gouvernement? Et que fait-on de l’économie sous-terraine? Il faut rappeler que le secteur informel continue à sévir à hauteur de 40% du PIB, privant du coup le gouvernement d’une manne fiscale précieuse. Les recettes à court terme existent bel et bien et ce n’est pas le moindre de mérites de ce séminaire de les avoir évoqués.