Il est étonnant, qu’après un demi-siècle de dictature, la Birmanie, qui s’est inspirée des «Printemps arabes», avance à pas sûrs sur le chemin de la démocratie alors que dans les pays arabes initiateurs des «révolutions de la liberté et de la dignité» nous en soyons encore aux balbutiements…
Sur les télévisions, les radios et la presse écrite ou électronique, plus que de programmes, de stratégies et d’une vision d’avenir pour un peuple qui a oublié de rêver et une jeunesse qui n’espère plus, les débats tournent presque tous autour de problématiques d’ordre identitaire, idéologique ou moral. Très souvent les discussions houleuses virent au vinaigre et s’attardent sur des propos diffamatoires, des accusations injustifiées ou le dénigrement de l’un ou l’autre des acteurs de la scène politique tunisienne.
Les médias qui, il n’y a pas très longtemps, misaient sur les programmes d’animation ou les émissions de téléréalité, mine d’or pour les chaînes de télévision destinées à des individus, assoiffés de connaître la vie d’autrui, ont changé de cap pour un produit autrement plus porteur: le sensationnalisme politique. Normal, lorsqu’un peuple a longtemps été privé de parole, il est avide de débats et de liberté.
Sur tous ces plateaux qui font grimper l’audimat trop d’investissements, les questions existentielles du Tunisien sont-elles profondément débattues? Ce n’est souvent pas le cas. Car comme cité plus haut, les médias tunisiens et certains politiques aux commandes, dépourvus de programmes consistants, tombent dans une autre forme de voyeurisme, celui où le leadership censé mener le pays vers la rive du salut s’échange sur les plateaux de télévisions, accusations, reproches et parfois même des propos violents.
Piètre consolation pour un peuple qui s’attendait, débarrassé d’un dictateur, à découvrir enfin son leadership, celui qu’on empêchait de s’exprimer et qui ne pouvait défendre ses programmes et idées…
«J’ai été l’un des premiers envoyés étrangers reçus par la lauréate birmane Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix. La Birmanie a été l’un des rares exemples de régimes qui ont décidé de leur propre chef de s’engager sur le chemin de la démocratie, et à ce jour ils font ce qu’ils ont dit qu’ils feraient. Je lui ai demandé: qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans le processus démocratique alors que rien ne vous y obligeait? Je savais bien entendu qu’il y avait des facteurs locaux, régionaux, le positionnement de la Birmanie par rapport à la Chine… La réponse a été: l’exemplarité des printemps arabes. Nous sommes dans un monde ouvert où chacun sait ce qui se passe chez les autres et nous regardons ce que vous faites. Le monde entier vous observe et regarde ce que vous faites», a déclaré lors de son récent passage à Tunis, l’ambassadeur français chargé des Droits de l’Homme, François Zimeray, dans les locaux du BAC (Bureau associations conseil).
Des avancées démocratiques à peine perceptibles sur le terrain
Sur le terrain, malheureusement les avancées démocratiques sont d’une lenteur détestable dans cette Tunisie de la transition, et les aspirations démocratiques légitimes du peuple se heurtent à de faux problèmes se rapportant à l’identité, à la morale et à des droits acquis sur lesquels, il est plus qu’absurde de revenir…
A la Constituante, les députés de la majorité acculés à se plier aux vœux d’une majorité de Tunisiens prônant un Etat civil se rabattent sur des petits pièges minés qu’ils ne cessent d’introduire par petites touches dans le préambule. Eh oui, nous en sommes encore au préambule depuis près d’une année… Le CSP, l’islamité de l’Etat, l’hymne national sont même remis en cause, et faute de pouvoir changer le modèle de la société tunisienne par des articles bien élaborés, on s’oriente vers les lois organiques pour le faire.
Un député de l’opposition témoigne: «Que signifie selon vous l’introduction de la phrase suivante dans le préambule de la Constitution “Partant des constantes de l’islam…’’? Cela signifie que lorsqu’une loi organique ne correspond pas à ces constantes, elle est automatiquement considérée comme anticonstitutionnelle».
En Birmanie, qui était gouvernée il y a tout juste une année et demie par la junte militaire, Barack Obama, premier président américain en exercice à y poser le pied, a appelé à l’instauration d’une démocratie accomplie. Une visite hautement symbolique et porteuse d’un soutien indéfectible de la première puissance mondiale. L’idée de la consacrer à un pays du printemps arabe n’aurait même pas effleuré le président américain fraîchement élu. Est-ce parce que lui-même, qui ovationnait la Tunisie en janvier 2011, n’y croit plus s’agissant des pays arabes?
Parce qu’aux beaux discours des campagnes électorales promettant des merveilles au peuple tunisien, ont succédé les déceptions allant de l’absence d’un projet de société cohérent et harmonieux, rassemblant toutes les composantes de la société tunisienne autour de l’idéal d’une Tunisie développée et moderne, à l’incompétence, au manque de savoir-être et savoir-faire de certains dirigeants officiels et un interventionnisme par trop apparent du parti Ennahdha dans la gestion des affaires de l’Etat. Et faute de concret, d’actes, de réalisations, c’est l’art du mensonge politique que l’on découvre aujourd’hui.
La Tunisie n’a jamais été autant divisée entre urbains et ruraux, riches et pauvres, instruits et analphabètes, régions côtières et régions intérieures. Tout ceci était-il dissimulé par la dictature et apparu soudain à la lumière d’une révolution dont nous n’arrivons pas à ce jour à cerner les contours et les soubassements? Ou bien ces divisions auraient-elles été sciemment nourries en application du dicton: «Diviser pour mieux régner»?
Pourquoi n’arrive-t-on pas à ce jour à nous concentrer sur les véritables fléaux du pays? Ceux se rapportant à l’absence de la culture du travail, au respect des institutions et des lois, au chômage et aux raisons de sa perduration, à récession économique -indépendamment de la crise internationale, l’instabilité sociale, l’insécurité, les risques encourus par le tissu entrepreneurial, la crise identitaire de nos jeunes souffrant d’une indigence intellectuelle, endoctrinés par des gourous et préférant mourir avant même d’avoir vécu…?
Pourquoi nos classes politiques, celles au pouvoir et celles dans l’opposition n’arrivent-elles par à donner des solutions et suggérer des approches permettant au pays de sortir du marasme dans lequel il se débat? Le rôle des politiques, des leaders n’est-il pas de construire? De faire rêver? De donner de l’espoir? D’offrir une vision? Car à quoi serviraient-ils si c’est tout juste à se chamailler à la Constituante ou sur les plateaux des télévision et des radios?
A chaque fois que l’on exprime un doute sur les acquis démocratiques de la Tunisie postrévolutionnaire, on brandit l’étendard de la liberté d’expression comme si elle était épargnée!
Une liberté menacée de toutes parts, en témoignent les campagnes sans merci menées contre les médias tous genres confondus, les procès portés devant les tribunaux sur toute forme d’expression n’allant pas dans le sens du poil, comme le furent les évènements d’El Abdellia et jusqu’à aujourd’hui la menace d’emprisonnement qui pèse sur les deux jeunes tunisiens, Oussema Bouagila et Chahine Berriche, alias «Zwewla» qui passeront le 5 décembre 2012 devant le tribunal. Leur charge? Avoir dessiné des graffitis sur un mur à Gabès en ces termes «Ezzawali difnouh w inou haya» (les pauvres ont été enterrés, les yeux grands ouverts…».
Qui décide des limites et des frontières de la liberté d’expression dans un pays où il n’y a pas encore d’institutions fortes pour les protéger, où le parquet dépend toujours de l’exécutif et où la religion, selon la lecture qu’on lui apporte, est devenue un Etat civil, un code de la famille et un code des libertés publiques?
En l’absence de forces politiques qui convainquent et mobilisent, la société civile revêt toute son importance car il lui revient à elle et à tous ceux et celles qui sont soucieux d’une Tunisie respectueuse de l’individu, des libertés et des droits d’y veiller. «Les droits de l’homme ne sont pas portés seulement par les Etats et les institutions, ils sont portés par des individus qui agissent souvent dans l’ombre avec peu de moyens et parfois prennent le risque de leur liberté et de leur vie pour les invoquer et les défendre», avait, à l’occasion, indiqué François Zimeray. Quoi de plus juste, quoi de plus vrai?