Pétrole du Nigeria : un rapport dénonçant des milliards de perte fait polémique

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étrolière de Total à Amenam, au large du Nigeria, en 2009 (Photo : Pius Utomi Ekpei)

[25/11/2012 15:54:10] LAGOS (AFP) Un rapport accusant le Nigeria d’avoir perdu des dizaines de milliards de dollars récemment à cause de pratiques douteuses au sein de l’industrie pétrolière, la plus importante du continent africain, est fermement démenti parmi les grands acteurs du secteur.

Commandé par le gouvernement, il n’a pas encore été rendu public, mais des copies qui circulent ont provoqué de vives critiques de la part des autorités, de la compagnie pétrolière nationale et des société privées du secteur.

Les militants anti-corruption, qui réclament des changements dans ce secteur opaque et considéré comme rongé par la corruption, font, eux, pression sur le gouvernement pour qu’il s’attaque aux problèmes qui y sont mentionnés.

Le document de 136 pages, dont l’AFP a obtenu une copie, donne un aperçu inédit des pratiques internes d’un secteur qui représente plus des deux tiers des revenus de l’État nigérian et la quasi-totalité de ses exportations.

Il remet en cause le processus d’appel d’offre nigérian pour l’attribution de licences d’exploitation et le recours à des courtiers privés en tant qu’intermédiaires à plusieurs niveaux, ce qui crée un terrain propice à la corruption.

Parmi les très nombreux exemples cités, le Nigeria aurait notamment perdu:

-29 milliards de dollars à cause de prix inférieurs à ceux du marché dans la vente de gaz à la compagnie NLNG, dont Shell, Total, ENI et la société nationale de pétrole NNPC sont actionnaires

-Plus de 6 milliards de dollars de revenus par an à cause de vols de pétrole à grande échelle

-4,6 milliards de dollars à cause d’écarts de prix dans la vente de brut pour le marché national

-3,03 milliards de dollars de royalties pétrolières non versées

-947 millions de dollars de gaz provenant d’un champs offshore de Shell

L’étude se concentre sur la période 2005-2011, mais certaines données datent de 2002.

La compagnie pétrolière nationale NNPC conteste une grande partie du rapport, invoquant des erreurs de calcul notamment.

Dans un communiqué détaillant chacune de ses objections, la NNPC dit avoir présenté ses propres analyses aux auteurs du rapport et se demande pourquoi elles ont été ignorées, alors que cela “les aurait aidés à parvenir à des conclusions et des recommandations fiables sans méprendre le public tel que le fait le rapport”.

Shell dément devoir au Nigeria une énorme somme pour le gaz qu’elle produit sur l’exploitation offshore Bonga.

“Cette accusation est incorrecte mais nous ne pouvons faire plus de commentaires parce que nous ne connaissons pas la base du calcul qui leur a permis de parvenir à ce chiffre de 947 millions”, a déclaré la compagnie pétrolière anglo-hollandaise dans un communiqué, en réponse aux questions de l’AFP.

Total a refusé de commenter

Concernant le gaz vendu à NLNG, la société de liquéfaction de gaz naturel a considéré dans un communiqué que “c’est une erreur de comparer le prix d’une matière brute (le gaz naturel d’alimentation) et celui d’un produit fini (le gaz naturel liquéfié puis regazéifié)”, puisqu’on ne prend pas en compte les différents coûts, notamment de transformation et de transport, qui entrent en jeu entre les deux produits.

Un avis partagé par Shell et la compagnie italienne ENI.

Le français Total a refusé de commenter un rapport qui, pour l’instant, “n’a pas été adopté par le gouvernement fédéral nigérian” a-t-elle déclaré.

Le rapport a été présenté au président Goodluck Jonathan qui a réuni un comité afin de l’étudier.

Au lieu d’utiliser ces conclusions “pour combattre l’impunité face à la corruption dans le secteur pétrolier, le gouvernement s’est lancé dans une grande campagne de dénigrement du rapport écrit par un comité qu’il a lui-même mandaté”, estime l’association anti-corruption SERAP dans un communiqué.

Le comité de réflexion qui a écrit le rapport a été nommé en février après une grève nationale et des manifestations qui ont réuni des dizaines de milliers de gens dans la rue.

Celles-ci avaient éclaté lors d’une tentative du gouvernement de supprimer les subventions sur l’essence, qui permettaient aux Nigérians de bénéficier de prix bas à la pompe.

Les revendications des manifestants s’étaient ensuite étendues à d’autres sujets dont la corruption dans un pays souvent considéré comme un des plus corrompus au monde.

Le gouvernement, au pied du mur, a du reculer sur les subventions sur l’essence et a mis en place le comité de réflexion qui a rédigé ce rapport.

Le comité était dirigé par Nuhu Ribadu, l’ancien patron de l’agence nigériane anti-corruption.