C’est l’impression qu’a donnée la récente interview de Slim Chiboub, sur la chaîne Ettounsia. Rappelons tout d’abord que l’origine de l’expression “larmes de crocodile“ remonte au XVIe siècle et fait allusion à une légende de l’Antiquité où les crocodiles charmaient leurs proies par des gémissements. Une fois attirées, elles se faisaient prendre. Donc, Slim Chiboub, en jouant la carte de la victimisation, durant trois bonnes heures, versait en fait «des larmes de crocodile».
Retour sur un entretien controversé.
De l’avis de tous les observateurs, l’interview dont en attendait des révélations explosives et tonitruantes, s’est avérée finalement un non-événement, et le soi-disant scoop médiatique que cherchait l’intervieweur, l’occurrence Moez Ben Gharbia, était, à mon avis un ratage.
Complices et connus pour être des amis, l’interviewé et l’intervieweur se sont répartis les rôles du journaliste méchant et de la victime, pour gratifier plus de 5 millions de téléspectateurs tunisiens, selon Sigma, d’une farce de mauvais goût.
Des multiples messages que Slim Chiboub a cherché à transmettre, j’en ai retenu cinq.
Premièrement, le gendre du président déchu a réclamé avec insistance un passeport pour pouvoir retourner au bercail. Il y a là déjà un hic puisqu’il pouvait rentrer avec un simple laisser passer. Tout laisse entendre que Slim Chiboub, rusé qu’il est, voulait juste un passeport pour se déplacer en dehors des Emirats arabes unis et inspecter ses affaires dans d’autres pays.
Cette thèse est du reste confirmée par Tarek Bettaieb, ambassadeur de Tunisie aux EAU qui, en réagissant à l’interview, a déclaré au journal Essarih que Slim Chiboub ne s’est jamais présenté à la chancellerie pour réclamer un nouveau passeport et qu’il refuse toujours de remettre son passeport diplomatique. Le diplomate a ajouté que si ce dernier veut vraiment rentrer, l’Etat tunisien s’engage à lui remettre un laisser passer et un billet d’avion. Dont acte.
Deuxièmement, Slim Chiboub a demandé pardon au peuple tunisien, pardon que Moez Ben Gharbia a tenu, bizarrement, à le lui arracher à maintes reprises. Une tactique pour agir sur l’émotionnel des Tunisiens réputés conciliants. Il a même exprimé le désir de rentrer en Tunisie même menotté et de se soumettre à la justice en laquelle il dit avoir une totale confiance. Il s’est engagé à rendre d’importantes sommes d’argent sans en donner jamais le chiffre, sachant que sa fortune, constituée de juteuses commissions et de prises de participation, est pour l’essentiel expatriée, principalement aux EAU.
Troisièmement, Slim Chiboub a fait son mea culpa et avoué avoir profité de son alliance avec Ben Ali, tout en s’acharnant à démentir toutes les «rumeurs» colportées sur son implication dans des affaires de corruption (sa participation dans le capital de Tunisie autoroute), sa présence le 14 janvier 2011 à Tunis. Il a tenu à préciser que tout ce qu’il possède, il l’a acquis légalement et n’a jamais corrompu un fonctionnaire de l’Etat pour avoir des avantages. Et là aussi, il y a un hic. Lorsqu’on sait qu’au temps de l’ancien régime, l’entourage de Ben Ali faisait de la légalité de ses affaires un point d’honneur, on est en droit de s’interroger sur les véritables intentions de Slim Chiboub. Apparemment, il compte beaucoup sur la légalité de ses affaires pour sortir indemne, les juges n’auraient fait qu’appliquer la loi. Et là encore, l’interviewé a tendance à contourner la révolution et ses lois exceptionnelles et à faire prévaloir la technicité juridique pour sauver sa peau.
Quatrièmement, malgré l’insistance factice de l’intervieweur, il s’est gardé de révéler quoi que ce soit sur qui que ce soit, y compris son gendre Ben Ali et son épouse. Vaguement, il a tiré à boulets rouges contre ce qu’il appelle “les sbires de Ben Ali“ qui, après avoir engrangé de multiples avantages en son temps, ont changé de veste après la révolution et se sont alliés au nouveau pouvoir en place. Il n’a pas tari d’éloges, parfois affectés, à l’endroit des islamistes au pouvoir, des militants de gauche comme Hamma Hammami et son épouse, mettant l’accent sur les sacrifices qu’ils ont consentis et les exactions subies au temps de Ben Ali.
Il n’a cessé, tout le long de l’interview, de faire des clins d’œil au peuple de l’“Espérance sportive de Tunis“ comme s’il lui demandait une quelconque initiative.
Invité à donner son avis sur la situation qui prévaut actuellement en Tunisie, il n’en a retenu que le non-respect des médias pour les hommes au pouvoir. L’ex-président de l’EST semble nostalgique du musellement de la presse.
Cinquièmement, pourquoi ce timing ? Slim Chiboub déclare que plusieurs amis de Tunis l’ont convaincu que le moment est propice pour rentrer au pays.
Ceci dit, nous estimons que cette interview truffée de non-révélations était une grande déception et n’aurait pas mérité tant de publicité.
Quant à Slim Chiboub, il demeure, dans une logique révolutionnaire, un allié de l’ancienne dictature et ne mérite aucune considération. Et si les millions de spectateurs me mandatent, je lui dirai simplement: «il faut se débarrasser de l’estime des gens que tu n’estimes pas». Sans commentaire.