A suivre naïvement les émissions et les déclarations sur les plateaux des radios et chaînes de télévision tunisiennes, il y a non seulement un risque élevé de perdre le moral, de déprimer, mais surtout de voir, un jour, le pays chavirer et migrer vers le moyen âge, si rien n’est fait, bien sûr, pour arrêter ces dérapages.
Officiels, protestataires de tout bord et des journalistes ont, ces jours-ci, cette fâcheuse tendance à banaliser le pouvoir des mots et de la communication, et surtout à justifier et à défendre certains phénomènes sociaux improductifs tels que l’assistanat, la mendicité, l’irresponsabilité, le braconnage et le non-respect de la loi.
Selon un récent baromètre sur l’état émotionnel du tunisien après la révolution, l’écrasante majorité des Tunisiens n’a plus confiance dans les déclarations des politiques. Pis, les Tunisiens se voient, après la révolution, plus différents qu’homogènes et que la seule réalisation accomplie par la révolution réside dans la liberté d’expression dont ils jouissent en dépit des dérapages.
A l’origine de cet état dépressif, des discours politiques et médiatiques destructeurs de valeurs et annonciateurs d’une déchéance certaine d’une société qui a tendance à perdre ses repères universels. Deux cas méritent d’être signalés.
Premièrement et à titre purement indicatif, lorsque Abdelwahab Maatar, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, déclare que les postulants à un emploi parmi les diplômés du supérieur peuvent être embauchés dans la récolte des olives, ce ministre ne réalise pas qu’avec un tel discours démobilisateur, il vient de porter un coup dur à la noble propension de l’homme au savoir et à la connaissance.
Il n’est pas exclu que les jeunes de moins de 18 ans qui l’ont écouté ne soient pas tentés de penser que même s’ils réussissent dans leurs études, ils n’ont aucune chance d’accéder un jour à un emploi à la mesure de l’effort fourni et qu’au lieu de «traîner» dans les lycées et facultés, et de coûter, souvent très cher, à leurs parents, ils ont tout intérêt à commencer à travailler dès leur jeune âge et à gagner de l’argent très tôt.
La perspective est sombre: ils seraient peut-être d’excellents ouvriers manuels mais ils auraient été de simples illettrés en retrait de toutes les révolutions de la connaissance lesquelles ont pour vertu d’améliorer, constamment, les conditions de vie des gens et de jouer le rôle d’ascenseur social.
Ceci dit, ce ministre, qui a déclaré à Radio Express Fm que le fait d’«avoir accepté le portefeuille de ministre était le jour le plus noir de sa vie», doit soit apprendre, en toute urgence, à communiquer, tout autant d’ailleurs que beaucoup de ses collègues et des responsables de partis politiques, soit tout simplement démissionner s’il estime qu’il lui est impossible de s’assumer.
Deuxièmement, l’émission Al Hakika (la vérité) de la chaîne de télévision privée Hannibal s’est distinguée par des dérapages impardonnables. L’animatrice a invité un marchand ambulant, aux accoutrements «afghanis», qui a reconnu, devant tous les spectateurs et un haut cadre de l’Etat, qu’il évolue en dehors de la loi, et qu’il vient demander à la municipalité de Tunis la coquette somme de 7 MDT, l’enveloppe requise pour construire en plein centre de Tunis un local où il peut vendre, aux côtés de ces 500 collègues, des produits «importés de façon non réglementaire» -nous avons bien dit «des produits importés de façon non réglementaire».
Et voilà où en est aujourd’hui la Tunisie. Les médias, à la recherche d’audience, sont devenus une passerelle pour des hors-la-loi, des parasites de tous genres, de faux mendiants, de faux pauvres, de faux chômeurs, des mères irresponsables qui revendiquent leurs enfants disparus au large de Lampedusa alors que ce sont elles-mêmes qui avaient financé leurs voyages avec un billet sans retour, des squatters de terrains et d’appartements…
Conséquence : le mot d’ordre était de légitimer le non-respect de la loi et de diffuser, partout, une culture de non-droit. C’est manifestement le pire des scénarios que peut connaître un pays.
Les sociologues imputent cette situation au mauvais usage du pouvoir des mots et à la mauvaise communication en général.
Abdelwaheb Mahjoub, sociologue, estime que ce mauvais usage des mots peut générer tous les actes de violence, y compris l’acte de violence politique. Il a tenu à souligner la dimension destructrice des discours médiatiques et politiques qui, a-t-il précisé, peuvent tuer et détruire, tout autant que les armes conventionnelles (armes à feu…), recommandant aux hommes politiques et aux médias de faire preuve de responsabilité et d’éviter les discours complaisants et provocateurs.
A bon entendeur.