Tunisie : Les associations sont-elles plus libres et transparentes?

 

associations-libres-01.jpgUn nouveau cadre législatif a été mis en place depuis la Révolution du 14 janvier 2011 en Tunisie pour les associations. Elles sont plus libres et plus transparentes. Cela pour le côté cour, car le côté jardin n’est pas toujours aussi reluisant.

Compte rendu d’une Journée de sensibilisation sur «la gestion des associations en Tunisie».

Le ton juste et le verbe précis, Rejeb Elloumi, président de l’Association tunisienne pour la sauvegarde des musées et des sites archéologiques, «Tourath», explique pourquoi son association a tenu à organiser, avec l’Association tunisienne du droit des affaires, et en partenariat avec l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie du commerce et de l’artisanat), le samedi 24 novembre 2012, au siège de la centrale patronale, à Tunis, une Journée de sensibilisation sur la «gestion des associations»: «De nombreux acteurs de la vie associative ignorent tout du nouveau cadre juridique, fiscal et comptable des associations en Tunisie».

Deux indications permettent de prendre la mesure de l’importance de l’initiative de Tourath et de l’Association tunisienne du droit des affaires: la vie associative est bien ancrée en Tunisie, dans la mesure où la première association date de 1775 lorsque Ali Bey II crée la «Tekya» pour héberger les personnes nécessiteuses; et le nombre des associations est aujourd’hui de 14.209.

4.609 associations nées après le 14 janvier 2011

Directeur des Etudes à IFEDA, le Centre d’information, de formations, d’études, et de documentation sur les associations, Khélifa Ben Fatma assure que 4.609 de ces associations sont nées après le 14 janvier 2011, date de l’avènement de la Révolution tunisienne. Et 18,53% (854) sont des associations classées comme des associations de développement local et régional, donc œuvrant de plain-pied en vue du soutien à l’effort de développement dans le pays; certaines de ces associations sont des organismes de crédits finançant nombre de projets.

Le travail associatif a connu, souligne Azer Zinelabidine, avocat, un réel développement en Tunisie à la faveur d’un nouveau cadre juridique: le décret-loi n°88 pour l’année 2011, daté du 24 septembre 2011. Ce texte apporte une réelle rupture avec la loi n°159-154 du 7 novembre 1959, qui régissait jusqu’à la Révolution les associations.

Deux remarques peuvent, à ce propos, être faites concernant ce nouveau texte: il assure une liberté au niveau de la création des associations et il développe une transparence au niveau de leur gestion. «Rien à voir», fait savoir Azer Zinelabidine, «avec l’autorisation implicite que devait obtenir les associations de la part du ministère de l’Intérieur et les tracasseries qui vont avec».

Au niveau de la création des associations, le texte permet aussi bien aux nationaux qu’aux étrangers, mais résidant en Tunisie, de créer des associations. Ces dernières sont libres d’inscrire ce qu’elles souhaitent dans leurs statuts. A condition de respecter certaines règles de conduite comme le fait qu’elles ne soient pas dirigées par des responsables politiques ou encore qu’elles soient à but lucratif ou encore qu’elles incitent à la violence, à la haine… ou qu’elles aient été créées pour soutenir des partis politiques.

Une norme comptable pour les associations

Autre apport du nouveau texte: les associations sont soumises à une simple déclaration. Leur vis-à-vis n’est plus le ministère de l’Intérieur, mais le secrétariat général du gouvernement lequel peut être attaqué devant le Tribunal administratif s’il refuse à une association initiée par des résidents étrangers de voir le jour; celui-ci devra également notifier son refus.

Les associations peuvent, par ailleurs, se porter Partie civile et accéder aux documents administratifs. Azer Zinelabidine donnera pour exemple le rôle joué par l’association «Al Baoussala» (la boussole), qui a défrayé la chronique en allant contrôler la présence des députés à l’Assemblée nationale constituante. En mettant en évidence le rôle que peut jouer l’association en tant qu’acteur de la vie politique, économique et social grâce à ce nouveau texte.

Côté transparence, les associations sont soumises à des obligations. Ainsi, toute association est obligée de tenir quatre registres: un registre des membres, un registre des délibérations, un registre des projets et un registre des dons. Elle se doit également de ne pas faire des transactions en espèces si celles-ci sont d’un montant supérieur à 500 dinars. Elle se doit de publier les dons de source étrangère dans la presse locale et dans son site, en plus d’en informer les autorités. Elle est tenue de publier ses états financiers et de nommer un comptable ou un commissaire aux comptes reconnus si ses revenus sont supérieurs à 100.000 dinars et un commissaire aux comptes si ces revenus sont supérieurs à 1.000.000 dinars.

Mais cela n’est pas suffisant, a semblé dire Wissam Khrouf, expert-comptable, qui a plaidé en faveur d’une norme comptable pour les associations. Celle-ci devra être commune aux associations et aux partis politiques, qui sont, précise-t-il, des associations. Cette norme est de nature à prendre en compte le vécu des associations. Ainsi devra-t-elle, par exemple, comptabiliser les heures de bénévolat assurées par des membres ou des sympathisants et les prestations gratuites que la comptabilité à laquelle est soumise une association ne fait pas figurer dans les états financiers.

Le texte ne prévoit pas de sanctions

Autre discours développé au cours de la Journée de sensibilisation sur la gestion des associations: l’importance du contrôle interne. Un enjeu crucial au regard d’Anis Wahabi, expert-comptable, qui a expliqué l’intérêt de développer cette pratique au sein des associations: maîtriser l’activité, se conformer à la loi et gérer les aléas.

Ce contrôle interne passe notamment par des outils: mise en place de manuels de procédures, mise en place de documents standardisés (bons de commande, bons de dépense, état des recettes…), responsable unique des affaires financières…

Cela pour le côté cour, car le côté jardin n’est pas toujours aussi reluisant. Le principal défaut de ce texte, dira Abdeljalil Bouraoui, expert-comptable, est qu’il ne prévoit pas de sanctions. On se rendra compte, par ailleurs, dans les débats que, comme toujours en Tunisie, des écarts existent entre les textes et la pratique.

Président de l’association de la sauvegarde et de la ville de la ville de Hergla (nord de Sousse) et de son environnement, Béchir Fathallah affirme que son association est encore aujourd’hui exclue des réunions de la délégation spéciale de la ville. C’était la même chose sous le régime du président déchu.

Même son de cloche du côté de Lillia Fourati Marrakchi, membre de l’Amicale des anciens handballeurs, qui affirme que pour constituer son association, celle-ci a dû se classer en tant qu’association à objet non sportif; sa constitution en tant qu’association à objet sportif l’aurait placé sous la tutelle du ministère chargé des Sports.

Et puis chasser le politique il revient toujours au galop. Une partie du débat a en effet tourné au tour de ces associations qui sont des satellites de partis politiques, mais qui se constituent sous d’autres objectifs. Ce qui porte atteinte au tissu associatif. Ces dernières ne pratiquent pas toujours du reste la transparence financière voulue par le nouveau cadre juridique des associations qui est somme toute révolutionnaire et plus libéral, dira Khélifa Ben Fatma, que la loi française sur les associations, dite loi 1901.