WMC : Vous avez récemment lancé un projet conjoint avec la Coopération allemande pour promouvoir l’essaimage. Pourquoi avoir favorisé, ce cadre précis, alors qu’il existe déjà?
Mondher Khanfir : Je saisis cette occasion pour rappeler que GIZ nous appuie dans notre initiative, et grâce à son concours, nous avons fait du chemin, ensemble, sur cette voie. Il ne faut pas croire que l’essaimage est un sentier battu dont on a épuisé toutes les possibilités. Nous lui avons apporté un travail de refondation.
Quant à la finalité de cette initiative, je dirais que l’essaimage possède des ancrages qui existent en pratique et au concret entre l’univers du savoir et l’entreprise. C’est la seule connexion qui fonctionne à l’heure actuelle entre ces deux mondes qui n’ont pas d’autres passerelles, en Tunisie par ailleurs, et il ne vous échappe pas que le «Bridging» entre ces deux mondes marque un saut de palier, une rupture réelle par rapport aux modèles économiques anciens.
Ce n’est pas un simple framework que nous avons apporté à la question. Nous avons réellement créé des perspectives nouvelles dans ce cadre. L’avantage de cette orientation est que les laboratoires d’entreprises déjà existantes, elles-mêmes engagées dans la logique de recherche/développement, ont un accès au marché. Et c’est là, un aspect clé.
L’essaimage, on l’a bien essayé. On en a vu un aspect, assez commun, à savoir l’externalisation. Quel est le nouvel esprit que vous aurez insufflé à l’opération?
Le travail que nous avons fait avec la GIZ a été très concret. C’est d’un confort extrême. On a focalisé sur une expérience gagnante, celle qui a été réussie en Allemagne. Notre travail a été, en partie, de l’implémenter. L’expérience allemande est allée beaucoup plus loin que toutes les autres car elle a abordé les domaines dits «sensibles» de la recherche/développement. On se situe déjà sur les secteurs porteurs. Nous regardons vers l’avenir et nous nous positionnons dans le futur.
Sachez qu’il y a huit typologies d’essaimage. A ce jour nous n’en avons essayé qu’une seule, précisément celle de l’essaimage qui s’apparente à l’externalisation. Sachez que l’on peut faire de l’essaimage de sous-traitance, de cession d’actif, de délocalisation et qu’il peut être également de type expansif, technologique et notamment scientifique.
Au concret, vous pensez apporter un deuxième souffle à l’essaimage? C’est un pari sur l’avenir?
Exact ! D’ailleurs, je rappelle que notre initiative a débouché sur une sorte de “livre blanc“ avec des recommandations précises et une ébauche des circuits de coopération entre le ministère de l’Industrie et celui de la Recherche scientifique. C’est une reconfiguration de l’écosystème de l’innovation avec l’ébauche d’un schéma pratique et efficient.
Est-ce un début de linkage avec l’Université?
Pas forcément. Il existe un savoir qui est produit localement et c’est en rapport avec la production nationale. Prenez la filière datte ou huile d’olive, elles peuvent à elles deux greffer une filière de savoir scientifique qui peut conduire à un process d’intégration de haut niveau qui peut aller de la génomique jusqu’aux circuits de distribution. On peut, sur toute la chaîne, greffer des projets d’innovation dont le pays a besoin tout en générant, à partir de là, un courant de business en engageant des gens qui ont un niveau de connaissances élevées.
Avons-nous tout exploré de l’amont de l’huile d’olive, de la tomate ou de la datte? La réponse ne fait pas de doute. Alors voilà un gisement précieux qu’il nous faut prospecter et exploiter.
L’huile d’olive ou la tomate, comprenez que cela ne vole pas très haut !
Comprenez qu’il serait hasardeux de se risquer dans des domaines qui n’ont pas un enracinement économique dans notre pays. On ne peut pas s’attaquer à l’aérospatiale dès le premier jour, vous en conviendrez. C’est une chaîne de valeur qui ne passe pas par chez nous. Mais l’ennoblissement des filières qui nous sont familières nous permet d’avancer de manière significative. Et là je saisis l’occasion pour préciser que ce qui n’a pas été fait en matière d’ennoblissement des filières existantes, ce n’est pas tant faute de moyens que de coordination entre les acteurs de l’écosystème. Notre écosystème manque de répondant. Il ne favorisait pas la prolifération des projets innovants. Il cumule des inerties, des dysfonctionnements et des couacs en tout.
En définitive, du point de vue du promoteur de projet, cet environnement apparaît comme hostile, je dirais. Des maillons manquent. La culture de travailler ensemble fait défaut.
Sans aller à vous demander de dévoiler les recommandations de votre travail, quel en est au moins l’état d’esprit?
Le vivier que nous favorisons est l’espace recherche/ développement au sein des entreprises. C’est le milieu de «génération» où on peut frayer les projets. Nous considérons que l’Etat peut aider à le développer en défiscalisant cette niche précise. Et c’est un domaine où nous pouvons progresser rapidement si l’Etat prête son concours.
Vous savez, un petit pays comme la Tchéquie s’est rapidement hissé dans le «Top Ten» des pays qui investissent le plus dans la recherche/développement grâce à une telle mesure. En soutenant cette niche, on en récolte un effet immédiat en relevant sa part de valeur dans le PIB. D’autre part, on emploiera correctement nos chercheurs.
Comment se classe la Tunisie en matière de recherche scientifique ?
C’est mitigé. Nous avons 8.500 chercheurs et doctorants et nos publications dépassent celles de Malaisie, un pays pourtant bien avancé sur cette voie. Cependant, en matière de production de brevets, nous arrivons dernier en Afrique du Nord, ce qui est paradoxal et frustrant.
Pourquoi ce retard, selon vous ?
Une des réponses est que nous n’avons pas développé des stratégies d’application économiques de nos travaux de recherche. Ce qui m’ennuie est que j’observe que nos chercheurs parviennent avec une facilité déconcertante à s’intégrer à des espaces de recherche à l’international. La question est de savoir comment reproduire un écosystème qui soit ressemblant chez nous. A ce jour notre pays cherche à attirer exclusivement des IDE mais pourquoi ne pas également attirer le capital investissement. De la sorte nous ferons du développement à partir de promoteurs tunisiens et de savoir tunisien et uniquement du capital qui nous vient de l’étranger.
Vous conviendrez que si l’on reste dans les domaines classiques, les chances sont réduites. Il y a plus de quarante ans que nous élevons du poulet sans avoir réussi à mettre au point une souche d’œuf !
C’est précisément à ce genre de problème que l’on doit s’attaquer. Via notre programme, on peut trouver que l’un de nos chercheurs a bien pu trouver la voie pour cultiver une souche locale, mais que son travail n’a pas été valorisé économiquement. Et, on voudrait lever définitivement cette barrière.
Un ministère dédié à la recherche ferait avancer la question?
Il ne faut surtout pas rajouter une couche de gens qui supervisent. Nous recommandons un système de gouvernance du système national de l’innovation. Nous recommandons un système de coopération public/privé. Ce mix entre les deux est celui qui s’impose de par le monde. Il faut bien se dire que nous sommes en guerre économique et en l’occurrence les scientifiques ont un rôle déterminant. Nous devons avoir le sens de l’engagement et du résultat en procurant à nos chercheurs l’accès aux connaissances, au financement et, enfin, au marché.
Comment faire vite et court?
Dès lors que l’on demande à valoriser les découvertes, on va dire que le produit de cette valorisation doit se faire en «fifty-fifty» entre le chercheur et le laboratoire. Désormais, il faut permettre aux centres de recherche de vendre des brevets. Puis, diffuser des formules de pacte d’actionnaires pour permettre aux chercheurs d’aller vers l’incubation et en bout de course concrétiser leur projet.
Pourquoi ne pas appeler à la création de «CLUSTER» ?
Une fois que les flux de projets seront importants, on pourra s’orienter vers cette formule.