Réagissant à chaud à l’assaut mené, mardi, par les milices des Comités de protection de la révolution contre son bureau, à la Place Mohamed Ali à Tunis, Hassine Abbassi, secrétaire général de la centrale syndicale (UGTT), qui était dans tous ses états, a accusé ouvertement les Nahdhaouis d’être derrière cet acte de violence et les a menacés de pousser la centrale syndicale à ne plus se limiter à son rôle social et à «faire, dorénavant, de la politique lorsqu’elle constate des dérapages, comme c’est le cas avec cette agression».
Cette déclaration constitue, certes, une importante évolution du discours syndical, depuis l’avènement de la révolution, un certain 14 janvier 2011, mais n’est guère une surprise.
Hassine Abbassi n’a fait en réalité que rappeler la spécificité historique de la centrale syndicale tunisienne qui a toujours joué un rôle régulateur dans le pays et a constamment transcendé le stade de la simple revendication syndicale pour être au service des causes justes du peuple tunisien et de l’intérêt supérieur du pays, chaque fois que sa stabilité est mise en jeu.
Effectivement, depuis sa création, en 1946, par le leader syndical Farhat Hached, l’Union générale du travail de Tunisie (UGTT) a été impliquée dans le politique. Est-ce nécessaire de rappeler que le leader syndicaliste a été assassiné, le 5 décembre 1952, par la Main rouge, organisation armée terroriste liée aux services secrets français, alors qu’il était chargé, en l’absence du leader Bourguiba, exilé sur l’île de la Galite, de la noble mission de poursuivre la lutte pour la libération nationale du joug colonial?
Cet assassinat était, selon le fils du défunt, Noureddine Hached, historien et fondateur de la Fondations Hached, «l’un des premiers crimes d’Etat dans le monde».
Après l’indépendance, la centrale syndicale a naturellement contribué de manière significative à toutes les contestations sociales (émeutes, révoltes, révolutions…), et ce en encadrant les protestataires de tout bord, fidèle en cela à la glorieuse formule de son fondateur «O peuple, je t’aime».
L’UGTT a été, tout le long de son histoire, un cadre rassembleur de tous les indignés, qu’ils soient de gauche ou de la mouvance islamique.
Toujours crainte et combattue, tout le long de son Histoire, par les partis politiques au pouvoir (Parti socialiste destourien au temps de Bourguiba, Rassemblement constitutionnel démocratique, au temps de Ben Ali, et actuellement Ennahdha de Rached Ghannouchi), la centrale syndicale a, notamment, à son actif des décisions qui ont changé l’Histoire du pays. Au nombre de celles-ci, figurent celle d’avoir déclenché, le 26 janvier 1978, une grève générale, l’encadrement de la révolte du pain en 1984 et de récentes révoltes: les émeutes du bassin minier en 2008, la révolte des bouzidis en 2010, la révolution du 14 janvier 2011 (manifestation décisive des syndiqués de Sfax le 13 janvier), et tout récemment la révolte spectaculaire, sous la houlette de l’Union régionale du travail, du peuple de Siliana (nord-ouest de Tunisie).
Autre témoignage du militantisme de la centrale syndicale. Contrairement aux accusations du parti Ennahdha qui, grisé par le pouvoir, ne cesse de reprocher aux Tunisiens et aux organisations nationales de ne pas avoir élevé la voix sous le régime Ben Ali et que les nahdhaouis étaient les seuls à avoir subi sa dictature, l’UGTT, doyenne des syndicats d’Afrique et du monde arabe, était l’unique structure à organiser, chaque année, à l’occasion de la commémoration de l’assassinat du leader Frahat Hached, les seules manifestations avec des slogans hostiles au pouvoir en place.
Ceci pour dire qu’en s’attaquant à l’UGTT, le parti Ennahdha et ses sbires -les Comités de protection de la révolution- ont fait de l’amateurisme politique et compromis leur avenir pour ne pas dire qu’ils viennent de sonner, simplement, leur glas.
Ces gens-là, obnubilés par le maintien au pouvoir, ne savent même pas valoriser leurs acquis. Sinon, comment expliquer qu’une heure seulement après la signature, sous les auspices du gouvernement et dans une ambiance conviviale, de l’accord sur les majorations salariales, les gourous d’Ennahdha aient décidé de lâcher sur le terrain leurs hommes de main pour agresser les syndicalistes au siège de leur centrale tout comme ils l’avaient fait avec Lotfi Nakdh à Tataouine, au siège de son organisation, l’union régionale de l’agriculture et de la pêche.
Conséquence: les Nahdhaouis sont les principaux perdants. Ils ont raté l’occasion de faire, à des fins électoralistes, un peu de propagande sur les augmentations salariales et d’en tirer des bénéfices politiques.
Par ailleurs, en soutenant aveuglément ses hordes sauvages et violentes (milices des Comités de protection de la révolution), ils ont perdu, auprès d’une large opinion, toute crédibilité. Et tant mieux du reste.