Après la fin des élections locales, la fin de l’euphorie et la dure réalité économique. Les investisseurs potentiels créateurs de richesses durables et la population algérienne dans sa majorité se trouvent confrontés à la dure réalité, celle du retour accéléré de l’inflation.
L’objet de cette contribution est un approfondissement de mon interview donnée le 29 novembre 2012 à la Télévision algérienne Ech Chorouk TV. Après avoir analysé l’évolution du taux d’inflation entre 1992 et 2012 j’ai recensé quatre facteurs déterminants. L’évolution du taux d’inflation officiel entre 1999 et 2012 Rappelons brièvement le taux d’inflation officiel entre 1999 et 2012: 17.87% en 1989; -25.88% en 1991; un pic de 31, 68% en 1992 pour rechuter à 21,9% fin 1995 et avec une stabilisation de 5% en 1998; en 1999: 4/2%; en 2000: 2%; 2001 et 2002: 3%; en 2003: 3,5%; en 2004: 3,1%; en 2005, le taux le plus bas 1,9%; en 2006: 3%; en 2007: 3,5%; en 2008: 4,5%; en 2009: 5,7%; en 2010: 5%; en 2011: 4,5% et selon l’ONS 9,9%, presque 10% entre octobre 2011 et octobre 2012.
Sans les subventions, mal ciblées et mal gérées, le plus pauvre bénéficiant autant que le riche, et facilitant le trafic aux frontières, l’Algérie étant un des plus gros importateurs au monde de céréales, grâce aux hydrocarbures.
Les transferts sociaux pour 2011 sont de l’ordre de 1.200 milliards de dinars soit plus de 15 milliards de dollars en 2011 et 1.400 milliards de dinars en 2012 soit plus de 18 milliards dollars en 2012; le taux d’inflation dépasserait 15%.
Certes le SNMG a plus que doublé en passant de 6.000 à 20.000 dinars (200 euros au cours officiel), la dernière augmentation ayant lieu en septembre 2011, mais devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat.
Aussi, une interrogation s’impose: comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait face aux dépenses incontournables: alimentation, transport, santé, éducation.
La cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, mêmes charges) et les transferts sociaux jouent temporairement comme tampon social.
Quelles sont les causes de l’inflation? J’en recense quatre intimement liées.
Premièrementl’importance de la dépense publique. Elle est passée successivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005 puis à 140 milliards de dollars fin 2006 et qui a été clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars; mais faute de bilan, on ne sait pas si l’intégralité de ce montant a été dépensé.
Quant au programme d’investissements publics 2010/2014, le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de 286 milliards de dollars mais concernent deux volets, à savoir le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004/2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%) et l’engagement de projets nouveaux pour un montant de 156 milliards de dollars.
Qu’en sera-t-il des restes à réaliser pour les nouveaux projets inscrits au 31/12/2004 à la fois faute de capacités d’absorption et d’une gestion défectueuse?
L’annonce par l’agence officielle APS le 25 novembre 2012 selon laquelle le Trésor public algérien a enregistré un déficit de 2.022 milliards de dinars à fin septembre 2012 contre un déficit de 1.163,3 milliards de dinars à la même date en 2011, traduit le peu d’efficacité de la dépense publique avec les risques d’accélération du processus inflationniste.
Il n’existe pas de proportionnalité entre la dépense publique et les impacts économiques donnant des taux de croissance, du taux de chômage fictifs. L’Algérie dépense deux fois pour avoir deux fois moins de résultats, selon les rapports internationaux. Pour preuve, le taux de croissance entre 2004/2012 ne dépasse pas en moyenne 3% alors qu’il aurait dû être entre 10 et 15%. Les 5/6% hors hydrocarbures sont dues aux infrastructures logements tirées par plus de 80% par la dépense publique via les hydrocarbures. Cela explique le fort taux de chômage réel dont l’emploi est concentré pour 50% au sein de la sphère informelle amplifié par la pression démographique.
La population était de 35,6 millions d’habitants au 1er janvier 2010 et l’Office des statistiques (ONS) l’estime à 36,3 millions d’habitants au 1er janvier 2011 et 37,1 au 1er janvier 2012. La population active dépasse les dix millions et la demande d’emplois additionnelle varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an, nombre d’ailleurs sous-estimé puisque le calcul de l’ONS applique un taux largement inférieur pour les taux d’activité à la population féminine, représentant pourtant la moitié de la population active et dont la scolarisation est en forte hausse.
Le taux de chômage officiel de 10% est largement compressé par des emplois fictifs. Le taux réel de chômage dépasse les 20% car l’officiel inclut les sureffectifs des administrations, des entreprises publiques, les emplois dans la sphère informelle et les activités temporaires de moins de six mois, pour la partie des emplois improductifs.
Il existe une loi économique, le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. Economie de rente et faiblesse de la production et de la productivité.
L’économie algérienne est une économie totalement rentière expliquant. Environ 83% du tissu économique est constitué de petits commerces et de services selon la dernière enquête de l’ONS de 2012. Des investissements de l’Andi indiquent que ce sont les projets locaux qui sont dominants avec 99% des déclarations de projets.
Pour ce qui est de la répartition des projets par secteur, c’est celui des transports qui attire le plus d’investissements avec 60% en majorité des micro- projets, suivi par le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’hydraulique (16%), du secteur de l’industrie (10%) et celui de l’agriculture (2%). D’une manière générale les investissements directs étrangers significatifs réalisés restent insignifiants en dehors des hydrocarbures, des banques et des télécommunications.
Il n’existe pas de politique salariale mais des distributions de rentes décourageant les véritables producteurs de richesses, directement la sphère économique et indirectement l’éducation et la santé misant sur la quantité au lieu de la qualité.
Paradoxe exode de cerveaux et appel aux compétences étrangère; le montant poste assistance technique étrangère est passé de 4 milliards de dollars en 2004 à 11 milliards de dollars entre 2009/2010 et approchera 12 milliards de dollars fin 2011/2012.
Pour preuve, après 50 années d’indépendance politique, les exportations sont en majorité constituées d’hydrocarbures à 98% et hors hydrocarbures 2%. Entre janvier 2000 et juin 2012, Sonatrach a pu engranger 560 milliards de dollars et allant vers 600 milliards de dollars à fin 2012. Cela a permis la dépense publique dont une fraction est en dinars comme les salaires, mais également des réserves de change, richesse virtuelle provenant des hydrocarbures estimées à 56 milliards de dollars en 2005, 77,78 milliards en 2006, 110 milliards en 2007 à 138,35 milliards de dollars en 2008, 147,2 milliards en 2009, 157 milliards de dollars fin 2010, 188 milliards de dollars fin 2011 et à 193 milliards de dollars fin octobre 2012 sans compter les 173 tonnes d’or.
Environ 86% de ces réserves sont placées en bons de Trésor américains, en obligations européennes à moyen terme à un taux fixe de 3%, et 3 milliards de dollars en DTS et 5 milliards récents prêtés au FMI à un taux inférieur à 1%.
Grâce aux hydrocarbures, l’Algérie a, en parallèle, maintenu un très faible degré de dette totale, en remboursant sa dette par anticipation, à 3,8 milliards de dollars en 2009 qui a baissé à 2,8 milliards en 2010 et à 2,2 milliards en 2011 avec un service de la dette inférieur à 1 milliard de dollars. La dette extérieure de l’Algérie ne représente que 2% du PIB en 2011 et devra reculer encore à 1,7% en 2012.
Le système productif algérien est largement bloqué par la léthargie des banques à dominance publique, les banques privées malgré leur nombre étant marginales puisque 90% du financement de l’économie algérienne dont 100% secteur public et plus de 77% secteur privé, se fait par les banques publiques avec une concentration au niveau des actifs de plus de 39% au niveau d’une seule banque, la BEA, communément appelée la banque de la Sonatrach.
Mais il ne faut pas incomber cette situation, la responsabilisé seulement aux banques, lieu de la distribution de la rente des hydrocarbures et des enjeux du pouvoir, mais au blocage de la réforme globale.
D’une manière générale, il n’y a pas de cohérence et de transparence dans la politique socioéconomique avec des contraintes d’environnement qui découragent les entreprises créatrices de richesses et la bureaucratie sclérosante, expliquant que 50 milliards de dollars de surliquidités des banques en 2011 n’arrivent pas à se transformer en capital productif, mais également le foncier avec toutes ses utilités et l’inadaptation du système socio éducatif.
Troisième raison, l’importance de la sphère informelle. La sphère informelle en Algérie contrôle plus de 65% des segments de produits de première nécessité auxquels plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus (marchés fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche, textile et cuir) et plus de 40% de la masse monétaire globale de dollars en circulation limitant la politique monétaire de la banque centrale avec une importante intermédiation financière informelle mais avec des taux d’usure.
L’importance de cette masse monétaire captée, favorise une concentration du revenu au niveau de cette sphère avec des tendances monopolistiques et souvent oligopolistiques (quelques offreurs pour une multitude de demandeurs) et alimente la demande au niveau du marché de la devise parallèle où la distorsion depuis plus de deux années est de plus de 40% par rapport à la cotation officielle (plus de 14 dinars algériens pour un euro).
Cette sphère est le produit de la bureaucratie, des dysfonctionnements des appareils de l’Etat assistant à un dualisme dans l’économie. On ne saurait isoler les relations dialectiques entre la sphère régie par le droit de l’Etat et la sphère informelle qui a ses propres codes, existant en Algérie des liens diffus entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle. Cela favorise la dépréciation du dinar et l’évasion fiscale.
Quatrième raison, dérapage du dinar et inflation importée En 1964, un dinar algérien valait un franc français avant de glisser vers les années 1970 à 0,88 dinars un franc français. En mars 1991 le dollar valait 17,8 dinars, entre mars/avril 1994 36 dinars pour un dollar et 41 dinars un dollar fin septembre 1994. Ces dévaluations étant dues au rééchelonnement et à l’ajustement structurel qui s’en est suivi.
En 2009 la cotation était de 70 dinars pour un dollar et actuellement fluctue entre 75 et 80 dinars un dollar et plus de 100 dinars pour un euro contre un cours sur le marché parallèle entre 145 et 150 dinars un euro.
On peut établir un coefficient de corrélation en 2012 : selon l’offre et la demande, sans les hydrocarbures, le dinar algérien fluctuerait entre 300 et 400 dinars. Ce dérapage du dinar tant par rapport à l’euro que le dollar a un impact sur les produits importés destinés aux ménages et aux entreprises, gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars.
Comme ce calcul voile l’importance du déficit budgétaire par le gonflement de la fiscalité tant des hydrocarbures (variant entre 50 à 70% selon les années) que des taxes douanières dont les calculs s’appliquent au cours du dinar.
A cela s’ajoute l’inflation importée puisque l’Algérie importe 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées.
Mais pourquoi les ménages et opérateurs algériens, au moment où l’inflation approchait zéro, n’ont pas bénéficié de baisse des prix au niveau des marchés internationaux? Quelle leçon tirer?
Il y a urgence de changement urgent de cap de la politique socio-économique actuelle qui a montré clairement que les impacts économiques et sociaux sont limités malgré une dépense monétaire sans précédent depuis l’indépendance politique. Cela montre la limite de l’actuelle politique ayant misé sur les infrastructures avec des surcoûts exorbitants sans parler de la qualité, qui n’est qu’un moyen du développement, l’importante croissance des dépenses improductives, absorbant plus de 70% de la dépense publique.
La récession de l’Espagne qui a misé essentiellement sur ce segment avec la possibilité d’une crise hypothécaire en Algérie, les agents ne pouvant rembourser les emprunts, doit être méditée sérieusement.
L’inflation, produit du mode d’accumulation, a ainsi deux conséquences fondamentales: avec 10%, le taux d’intérêt des banques doit être en principe de 14% si on veut éviter leurs faillite ce qui ne peut que freiner l’investissement productif et orienter les agents économiques vers la sphère spéculative. A moins que l’on continue l’éternelle recapitalisation des banques via la rente des hydrocarbures.
Deuxième conséquence l’inflation accélère la concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière au détriment des profits productifs et des revenus fixes avec la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité pouvant conduire, non maîtrisée à une déflagration, sociale et politique.
Car il faut se méfier d’un indice global: l’analyse objective de l’inflation doit relier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. La perception de l’inflation est différente d’un ménage qui perçoit le SMIG consacrant plus de 70% de son modeste revenu aux produits de première nécessité que celui qui perçoit 500.000 dinars net par mois.
Abderrahmane Mebtoul