Engagée
dans la lutte contre la
corruption
seulement du bout des lèvres avant le 14
janvier 2011, la Tunisie post-Ben Ali veut se rattraper dans ce domaine. Pour ce
faire, gouvernement et présidence de la République se sont engagés depuis
quelques mois dans un effort visant à doter le pays des instruments juridiques
et des institutions le débarrassant et, ensuite, le prémunissant contre cette
gangrène qu’est la
corruption.
Fruit de cet effort, un «avant-projet préliminaire» -selon le mot de Ahmed
Ouerfelli, conseiller juridique auprès du président de la République- «sur la
transparence et la lutte contre l’enrichissement illicite» a été révélé et
soumis à l’appréciation d’experts tunisiens et étrangers, mardi 4 décembre 2012,
lors d’une conférence-débat organisée par la présidence et le Programme des
Nations unies pour le développement (PNUD).
Ce texte, en 20 articles, établit une liste des responsables publics soumis à
l’obligation de déclaration des biens et définit le crime d’enrichissement
illicite. A ce stade, ce projet de loi est loin d’être parfait et a, de ce fait,
fait l’objet de critiques et de mises en garde.
Le premier avertissement est venu de Stuart Guilman, partenaire senior au Global
Integrity Group. Cet ancien de la Banque mondiale a attiré l’attention sur le
coût de la mise en œuvre de cette loi dans la société tunisienne et l’étendue de
la liste des personnes concernées. En élaborant ce texte, les responsables
devraient, selon cet expert, avoir présent à l’esprit «les problèmes potentiels»
qu’il pourrait poser, en devenant éventuellement un frein à la croissance dont
le pays a tellement besoin.
Dans sa mouture actuelle, le texte risque également d’être coûteux
financièrement pour le pays, car il faudrait mettre une administration
pléthorique pour vérifier la conformité des déclarations des biens de tous les
responsables –appartenant à une vingtaine de catégories, allant du président de
la République et du chef du gouvernement, jusqu’à l’agent de contrôle commercial
et fiscal et les douaniers, en passant par le président et les membres de
l’Assemblée nationale constituante, les ministres, les ambassadeurs, etc. -dont
le nombre total a été estimé à près de 100.000 personnes.
Bien que le projet de loi ne concerne, du moins dans sa version actuelle, que
les responsables du secteur public, Abderrahmane Ladgham, ministre chargé de la
Gouvernance et de la Lutte contre la
corruption, s’est fait l’écho des
inquiétudes qu’il inspire aux hommes d’affaires et exprimé sa crainte qu’il ne
les pousse à s’abstenir d’investir.
A l’inverse, certaines voix se sont élevées pour souligner le fait que cet
instrument pourrait ne pas permettre d’atteindre les objectifs fixés. Tout en se
souciant de l’équilibre entre la transparence et le droit de la société
d’accéder à l’information, d’un côté, et la protection des données personnelles,
de l’autre, Imed Daimi, directeur du cabinet présidentiel, a affirmé que le
projet de loi ne lui permettrait pas de percer le secret de l’enrichissement,
selon lui sans rapport avec ses revenus, d’un fonctionnaire de la présidence
sous Ben Ali.
De son côté, Atef Ben Salah affirme que la méthode du recensement et de la
déclaration des biens, qui constitue le fondement du projet de loi, ne permet
pas de cerner l’enrichissement illicite, car beaucoup de transactions se font en
argent liquide. L’expert-comptable a également attiré l’attention sur le rôle
que jouent les prête-noms dans le détournement des dispositions de contrôle et
de lutte contre la
corruption.
La plupart des intervenants ont été d’accord sur un point: la rétroactivité de
la loi sur la transparence et la lutte contre l’enrichissement illicite, et ce
pour permettre de recenser et de punir les abus commis sous Ben Ali.
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