Deux jours de débats et deux idées phares. D’abord, il est urgent de relancer l’investissement. Ensuite, il est également urgent de valoriser la valeur travail et l’initiative. Mais sourtout, il est plus que nécessaire que la confiance reprenne. Car l’instabilité politique est encore capable de faire des ravages.
23.000 participants, 700 intervenants et 100 ateliers. Les Journées de l’entreprise affichent sereinement, dans un document présentant son 27ème édition, leur bilan. Lancée en 1984, cette rencontre de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise) s’est toujours voulue un rendez-vous incontournable pour toute la sphère économique et financière en Tunisie.
La 27ème édition, organisée les 7 et 8 décembre 2012, au port El Kantaoui, à Sousse, sur un thème combien d’actualité, «L’entreprise et l’investissement: cadre et vision», n’a pas failli à la tradition. Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, quatre ministres, ceux chargés des Dossiers économiques et sociaux, des Finances, de l’Investissement et de la Lutte contre la corruption, et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, ont répondu à l’invitation de l’IACE, acceptant de s’adonner à l’exercice difficile des questions réponses avec un auditoire fait notamment de chefs d’entreprise.
Mettre un coup de frein à l’instabilité politique
Mais que retenir de cette 27ème édition des Journées de l’entreprise? Sans doute deux idées phares. D’abord, il est urgent de relancer l’investissement. Ensuite, il est urgent de valoriser la valeur travail et l’initiative. En clair, il faut que les investisseurs se décident à prendre des risques et que parallèlement les Tunisiens reprennent le travail. Aucune intervention n’a occulté ces deux préalables à un sursaut de la croissance. Wided Bouchamaoui, président de l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat) est allée jusqu’à appeler à ce qu’on décrète «l’état d’urgence économique dans le pays». Et le chef du gouvernement a reconnu un «repli des investisseurs».
Mais pour ce faire, il faudra certaines conditions. A commencer par mettre un coup de frein à cette instabilité politique, qui est, du reste, la première préoccupation des 600 chefs d’entreprise interrogés par la Banque mondiale et l’IACE dans le cadre d’une étude présentée lors de cette 27ème édition des Journées de l’entreprise, sur «La compétitivité des entreprises tunisiennes». On ne pourra rien faire de sérieux si l’on n’entreprend pas grand-chose sur ce terrain, a-t-on entendu plus d’une fois dans les débats, et, entre la poire et le fromage, dans les diners et autres cocktails organisés à l’occasion de cette rencontre.
On a insisté plus particulièrement sur le fait qu’il faut que les tiraillements entre les parties prenantes du paysage politique tunisien cessent et qu’une feuille de route soit précisée. Sinon, nous allons traîner encore en long et en large, nous ont précisé des hommes d’affaires présents.
Rompre avec les mauvaises pratiques
Il faudra également que le Code d’incitations aux investissements, qui a occupé une partie importante des débats, soit revu et corrigé. Une réelle conviction est apparue dans les débats sur la nécessité d’aller au plus vite sur cette voie. Une conviction partagée et par les milieux des affaires et par le gouvernement. Ahmed Bouzguenda, président de l’IACE, a donné le ton, dans son mot de présentation de la 27ème édition des Journées de l’entreprise, en estimant que le Code (actuel) est «contraignant, coûteux et redondant».
Mais ce n’est pas tout.
Pour encourager les investissements, il faudra rompre avec de mauvaises pratiques dangereuses pour le climat des affaires. Une attention particulière a été accordée, à ce niveau, au dossier de la corruption. Neïla Chaabane, universitaire, a expliqué qu’il s’agit là d’un fléau qui démotive les investisseurs.
Et le jeu vaut, pour ainsi dire, la chandelle. Car, la corruption a été instituée, tout le long du règne du clan Ben Ali-Trabelsi, donc une bonne partie des années du pouvoir personnel de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, en «véritable système». Douanes, immobilier, concessions, marchée publics, qui totalisent 18% du PIB (Produit Intérieur Brut)… Rares sont en effet les secteurs qui ont échappé aux «pots de vins, aux malversations, aux passe-droits et autres enrichissements faciles».
Cette lutte contre la corruption se doit, selon l’universitaire, emprunter deux voies: la prévention et l’investigation. Et Neïla Chaabane d’avertir: il ne suffit pas d’avoir des textes aussi contraignants soient-ils, il est nécessaire de les appliquer le plus scrupuleusement possible.
Mais attention au retour de la manivelle, car s’il est vrai qu’il faudra débusquer et punir ceux qui ont fauté, il est nécessaire que tout soit entrepris en vue que l’«on ne tombe dans les mêmes travers». Or, une partie importante des débats tourne aujourd’hui quasiment sur ce seul aspect. «Nous voulons connaître le passé et réprimer les corrompus et corrupteurs», a notamment fait remarquer Neïla Chaabane, soulignant que la lutte contre la corruption doit être l’affaire de tous: du gouvernement, des milieux économiques et sociaux, de la société civile, du citoyen…
Même son de cloche du côté d’Oussama Mourad, PDG de l’Arab Finance Brokerage, une société égyptienne d’intermédiation financière, qui a averti que le «discours révolutionnaire peut faire fuir l’investisseur, notamment lorsqu’il s’installe dans le règlement de comptes et dans l’injustifié et l’injustifiable». L’intervenant précisera que l’e-government (la gouvernance électronique) est un des remèdes à la corruption dans la mesure où celui-ci a horreur de la transparence.
Une réflexion qui nous fait constamment revenir à un credo largement partagé par nombre d’intervenants au cours des deux jours de travaux de la 27ème édition des Journées de l’entreprise: il faut que la confiance reprenne. Le sursaut tant attendu est peut-être en rapport avec ce seul sésame capable, donc, d’ouvrir les portes cadenassées de la croissance.