Le Centre de réflexion stratégique pour le développement du nord-ouest (CRSDNO), le think tank des «riches-pauvres» régions céréalières (Siliana, Le Kef, Jendouba et Béja) a créé, le week-end dernier, l’évènement, en se penchant, de nouveau sur la problématique des disparités régionales à travers une lecture analytique des budgets de développement de 2012 et de 2013 et des perspectives de développement régional.
Pour mémoire, le budget de développement, voire le fameux titre II, a été, au temps de Bourguiba et de Ben Ali, le mécanisme le plus utilisé par l’administration centrale pour consacrer le régionalisme et son corollaire la marginalisation, des décennies durant, de toutes les régions de l’ouest.
Concrètement, depuis l’accès du pays à l’indépendance, le budget de l’équipement a été mobilisé, chaque année, pour assurer une assistance de survie aux communautés de l’ouest du pays (aides aux catégories vulnérables….) et pour financer, à l’est du pays, les investissements les plus lourds (universités, centres hospitalo-universitaires, autoroutes, aéroports, ports, stations touristiques, centrales électriques…).
Avec l’avènement de la révolution, un certain 14 janvier 2011, les régions de l’ouest du pays ont cru que ces pratiques avaient disparu ou du moins allaient disparaître. Leur désillusion fut hélas totale. Deux ans après l’immolation du Bouzidi, Mohamed Bouazizi, les régions de l’intérieur ont constaté que les mêmes pratiques continuent mais avec d’autres moyens et beaucoup d’autres subtilités.
Les habitants de ces régions ont pris conscience de cette iniquité et sont descendus dans la rue pour manifester non seulement leur colère mais également leur désobéissance civile.
La révolte du peuple de Siliana et sa sortie dans la ville, en signe de désespoir total, en sont l’illustration la plus éloquente. Cette révolte a eu pour mérite de remettre le peuple tunisien dans la lumière de la révolution et de rappeler avant tout que la révolution a été déclenchée en raison du scandaleux déséquilibre régional.
Animé par Kamel Ayadi, président du centre, et Chedly Ayari en sa qualité de cofondateur dudit centre, le débat a été d’excellente facture et fort instructif. Il a révélé, entre autres, que le budget de développement de 2012 était plus «virtuel» que «réel». La preuve: ce budget, estimé à 6,4 milliards de dinars, n’a été dépensé que pour moitié, à l’échelle nationale. Quelques trois milliards de dinars sont restés dans les caisses de l’Etat.
Dans les régions du nord-ouest, ce budget n’a été dépensé qu’aux faibles taux de 5,22% pour Siliana, 4,38% pour Le Kef, 7,9% pour Jendouba et 9,8% pour Béja.
Premier enseignement, ces régions, qui devraient en principe bénéficier d’une certaine discrimination positive au regard de l’iniquité qu’elles ont subies, depuis des décennies, ne sont pas parvenues à absorber l’enveloppe qui leur a été allouée.
Selon Chedly Ayari, cela est dû au mauvais choix des projets et de leur dimension. Pour lui, les projets qui conviennent le mieux, en cette période, sont des microprojets d’infrastructure de proximité et d’urgence, voire des projets à efficacité immédiate, du genre des projets d’électrification rurale, le bitumage de pistes vicinales, la maintenance d’écoles primaires, l’adduction d’eau potable, la construction de dispensaires, le désenclavement des douars (accès aux routes…). De tels microprojets, a-t-il-dit, présentent l’avantage d’être tout de suite visibles et d’impacter positivement le quotidien des gens.
Deuxième enseignement, les projets programmés dans ces régions comportent une bonne part de projets nationaux (barrages, tronçons autoroutiers, universités non adaptées aux spécificités de ces régions, exploitation des substances utiles…).
Pour Kamel Ayadi, le nord-ouest n’a subi jusque là que les externalités négatives de ces projets. A titre indicatif, les communautés localisées aux environs des barrages ne sont pas alimentées en eau potable alors que l’eau retenue dans ces plans d’eau est acheminée sur de longues distances vers des villes lointaines. Pis, les lâchers d’eau des barrages, lors de la saison des pluies génèrent des inondations dévastatrices pour les terres agricoles de Bou Salem, de Medjez El Bab, par exemple.
Les communautés de ces régions souffrent également de la pollution sonore provoquée par l’extraction des carrières, les éternels chantiers qui ne finissent jamais, la dégradation de leur infrastructure par l’effet du passage quotidien de gros engins de transport (poids lourds pour le transport de marbre…).
Conséquence: ces externalités négatives sont subies sans aucune compensation et ne sont prises en considération par aucune estimation budgétaire.
Quant aux externalités positives, c’est-à-dire la valeur ajoutée des produits et ressources naturelles de ces régions, elles bénéficient aux autres régions du pays.
Ainsi, le tabac est cultivé dans la région de Jendouba mais sa transformation est assurée à Kairouan, les céréales sont produites par les quatre régions mais le plus clair de leur transformation est assuré ailleurs, le marbre est extrait dans ces régions mais sa transformation se fait ailleurs… Idem pour l’eau, les produits forestiers, les produits agricoles (tomate…). Et la liste est loin d’être finie.
Pour y remédier, les participants à ce débat ont proposé au gouvernement plusieurs pistes. Il s’agit de bien distinguer, dorénavant, entre les projets strictement régionaux et les projets nationaux, de tenir compte, dans le budget de développement, de l’impact des projets nationaux sur l’environnement et l’infrastructure des régions, de calculer, dans un souci d’équité, le budget par tête d’habitant et non selon des besoins régionaux toujours mal définis….
Par ailleurs, compte tenu du peu de marge que permet le budget général de l’Etat, ils ont suggéré de promouvoir le partenariat public/privé (PPP), de créer, à cette fin, des fonds de développement régionaux et d’exploiter judicieusement le budget de développement de 2013 (5,5 milliards + un solde de 2012 de 3 milliards de dinars).
Par delà la pertinence de ces analyses et l’identification de ces ficelles pour un meilleur équilibre régional et pour une meilleure répartition régionale du budget de développement, les participants ont été unanimes pour relever que le principal problème qui entrave le développement dans les régions n’est pas d’ordre financier, comme en témoigne la non-absorption du dernier budget de développement de 2012, mais d’ordre éminemment politique.
Le fait que les gouverneurs soient rarement en harmonie avec les cadres et les habitants des régions, tout autant que la persistance des protestations, ne favorise aucunement l’amélioration de l’environnement des affaires dans ces contrées et leur attractivité auprès des investisseurs.
Et là, c’est un autre problème.