Dans cette deuxième partie, Mohamed Abbou, secrétaire général du Congrès pour la République (CPR), nous donne son sentiment sur la question des ligues de protection de la révolution, et par ricochet de l’UGTT, de la justice et du gouvernement.
WMC : Nous ne pouvons terminer cet entretien sans parler des ligues de protection de la révolution devenues aujourd’hui un problème ou un mal national. On prétend que lors d’une récente apparition à Sfax, vous avez déclaré votre appui à ces ligues. Pensez-vous que c’est aux ligues de protéger la révolution ou aux institutions légales et à l’Etat de le faire?
Mohamed Abbou : Quoiqu’on ait dit à propos du discours que j’ai prononcé dimanche dernier à Sfax et sans s’attarder sur les gros titres parus à ce propos, je tiens à préciser que ce qui a été dit en présence des militants du CPR, d’autres partis et des ligues de protection de la révolution, est ce qui suit: l’Etat est le seul garant de la préservation des objectifs de la révolution, parce qu’il est le seul capable de lutter contre la corruption et les mauvaises pratiques; c’est lui qui possède la contrainte armée et policière, c’est lui qui promulgue les lois et c’est lui qui veille à leur application. Bien entendu, toute transgression à ces lois doit être poursuivie.
Ce que j’ai dit aux représentants des ligues de protection de la révolution est qu’il fallait qu’ils ne doivent pas se trouver au même moment, à la même place d’autres mouvements politiques ou de la société civile, ce qui pourrait susciter des confrontations et des violences. Mais le fait que ces ligues participent à des manifestations après autorisation des autorités publiques pour exprimer leur position et leur opinion, cela ne nous pose aucun problème dès le moment qu’elles respectent la loi sur les associations et n’outrepassent pas leurs droits.
J’ai aussi déclaré qu’il n’était pas question qu’on use de violence ou que l’on fasse du tort à l’image de la Tunisie à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Les représentants des ligues présents à la réunion ont, pour leur part, assuré que le militantisme ne pouvait être que pacifique.
Qu’en est-il de la proposition visant la dissolution de ces ligues «pacifiques»? Vous la soutenez, ou vous êtes contre?
Si nous parlons des ligues en elles-mêmes, je tiens à préciser qu’elles ont été créées conformément à la loi sur les associations. Donc il n’y a pas lieu de les dissoudre comme le prétendent certains. La loi sur les associations est une loi libérale. Nous devons au contraire en être heureux parce qu’elle représente un des acquis de la révolution sur lequel nous ne devrons pas faire marche arrière. Il faut tout juste s’accorder sur les principes du respect des droits de l’homme et celui de la liberté de manifester et de s’organiser dans le respect des législations en vigueur des limites qu’elle impose.
Les droits de l’Homme sont aussi soumis à certaines restrictions que personnellement j’approuve. Il s’agit de la violence et des modes de financement douteux auxquels peuvent recourir certaines associations opérant dans les droits de l’Homme et qui peuvent représenter des motifs convaincants pour le gel de leurs activités par l’Etat. Le décret-loi stipule que dans le cas où l’association entrave la loi sur les associations par des actes de violence, le secrétaire général du gouvernement doit, dans un premier temps, lui adresser un avertissement. Dans un deuxième temps, il doit déposer à l’encontre de l’association dénoncée une ordonnance sur requête pour le gel de l’activité de l’association, et en dernier recours, il soumet le dossier à la justice et c’est aux juges de trancher. Tout cela vise en fait à protéger la société civile. Malheureusement pour certains, les droits de la société civile doivent être protégés quand il s’agit de la gauche seulement, mais je rappelle que la société civile peut être de droite ou de gauche, c’est selon.
Ce qui se passe aujourd’hui est qu’il existerait des partis politiques et des associations qui encourageraient la violence. La solution dans ce cas est que le chef du gouvernement et le secrétaire général du gouvernement adressent des avertissements à tous ceux qui ont été impliqués dans des affaires équivoques.
Nous devons par conséquent considérer que tous les Tunisiens sont sur le même pied d’égalité. Et finalement, au lieu de pousser les individus à travailler dans la clandestinité, autant qu’ils opèrent dans le cadre de la loi sur les associations.
Mais si ces associations outrepassent leurs droits et leurs prérogatives. Les prérogatives que se sont accordées les ligues de protection de la révolution relève de celles de 8 ministère au moins, celui de la Justice, des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, de la Bonne gouvernance, de l’Intérieur, des Domaines de l’Etat, des Affaires religieuses et j’en passe…Vous êtes d’accord sur ça ?
Tout le monde peut prétendre ce qu’il veut, cela ne veut pas dire que cela doit se traduire dans la réalité. Quand Mohsen Marzouk a créé une constituante parallèle, je ne le lui ai personnellement pas reproché. Tout citoyen a le droit d’exprimer ses avis ou de faire de la pression pour influer pacifiquement sur les décisions de l’Etat, mais toute personne qui se procure des dossiers veut récupérer ses droits par ces propres moyens ou s’approprier le rôle du gouvernement se trompe.
Je ne pense pas que les prérogatives que se sont accordées les ligues de protection de la révolution existent dans le statut car sinon le gouvernement se serait opposé à leur création.
Après ce qui s’est passé à l’UGTT et les agressions que la Centrale syndicale a subies, il est quand même étonnant d’entendre les déclarations de Rached Ghannouchi appelant à fouiller les Bureaux de l’UGTT et ceux d’autres partis ou associations pour vérifier s’ils abritent des armes au lieu de condamner les actes de violence des ligues. Ne trouvez-vous pas aberrant qu’une institution de la valeur et de l’importance de l’UGTT soit mise à égalité face aux ligues de protection de la révolution ?
Votre question est embarrassante… Mais j’estime pour ma part que tous les Tunisiens sont égaux devant la loi, ont les mêmes droits et doivent s’acquitter des mêmes obligations. L’UGTT bénéficie d’un grand respect de la part du gouvernement. D’ailleurs, ses membres le savent. Son bureau exécutif a été élu dans des conditions démocratiques et personne ne peut prétendre le contraire. Il est formé de personnes de qualité, qui ont fait leurs preuves, savent négocier et ont réussi les négociations salariales avec le gouvernement dans les meilleures conditions qui soient.
L’UGTT a également joué un rôle historique dans la préservation des droits de l’Homme que nous ne pouvons pas lui dénier aujourd’hui.
Nous estimons qu’il faut qu’il y ait une enquête sérieuse, neutre et indépendante concernant les violences perpétrées à la Place Mohamed Ali. Le discours s’adressant à la centrale syndicale ouvrière doit être respectueux de son statut, de son rôle et de son histoire. Ceci étant, les déclarations d’un président de parti justifieraient-elles la menace d’une grève générale avec ses conséquences sur les intérêts du pays?
Nous soutiendrons systématiquement l’UGTT face à n’importe quelle tentative de s’attaquer à son indépendance. Tout comme nous appelons le gouvernement à ne pas autoriser deux manifestations de groupes d’idéologies différentes de se trouver au même endroit.
En tant qu’acteur politique, ne pensez-vous pas que ce genre d’agissement pousse l’UGTT à réagir en tant que parti politique et non en tant que syndicat dont les revendications à la base doivent être sociales.
Le secrétaire général de l’UGTT sait que le gouvernement respecte ses positions et soutient ses propositions. Il a affirmé lui-même qu’il ne traitait pas avec des partis mais avec le gouvernement, d’où l’importance de ne pas prendre des décisions qui engagent le pays sur la base des déclarations d’un acteur politique quelle que soit son importance, même s’il s’agit du parti majoritaire. Il faut comprendre que le gouvernement doit être dissocié des partis, même si des fois l’amalgame entre parti et Etat peut susciter certaines interrogations…
Je me rappelle, lorsque je faisais partie du gouvernement, avoir interrompu une discussion à propos de l’affaire des déchets mis exprès devant la centrale syndicale en appelant mes interlocuteurs à en discuter avec Ennahdha et non avec le gouvernement.
D’autre part, nous avons tous besoin de reprendre confiance en notre gouvernement et cela ne réussira pas si à chaque fois nous formons une nouvelle commission d’enquête pour des faits récents alors qu’une autre n’a pas achevé son travail sur d’autres incidents. Il y va de la crédibilité du gouvernement. A titre d’exemple, nous au CPR, n’arrêtons pas de crier haut et fort pour avoir les conclusions de la commission d’enquête sur les évènements du 9 avril. La raison principale de notre insistance est d’inciter les gens à croire de nouveau aux institutions de l’Etat. Lorsque l’Etat déclare vouloir faire la lumière sur un événement et dire la vérité, il doit honorer ses promesses.
C’est peut-être le problème. Le gouvernement tient un langage, le parti majoritaire tient un autre langage et les attentes des gens se situent ailleurs. Nous avons la nette impression de vivre dans une cacophonie totale… Et pour ce qui est des ligues, quel est leur poids face aux hauts intérêts de la Tunisie?
Si je suis bien votre raisonnement, on pourrait tout autant décréter : quelle est l’importance de tel parti politique devant l’intérêt du pays? J’estime qu’il va falloir laisser le gouvernement assurer sa mission en lançant des avertissements à l’encontre des contrevenants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas des poursuites pénales. Tous ceux qui ont commis des agressions doivent être poursuivis et jugés.
Nous faisons partie de la Troïka et nous assumons nos responsabilités par solidarité mais de l’intérieur, nous poussons les choses vers plus de rigueur et de vigilance dans l’application de la loi sans aucune exception qui soit.
Oui mais on perd de plus en plus confiance en la justice. Nous avons devant nous des policiers qui nous disent avoir épinglé certaines personnes en flagrant délit d’agression ou de violation de la loi et ce sont les juges qui décident de leur relaxe. Nous ne comprenons plus ce qui se passe dans le département de la Justice…
Si vous désignez les salafistes, parce que les policiers se sont plaints du laxisme de la justice les concernant, je tiens à vous assurer qu’aujourd’hui la loi est appliquée de la même manière sur tout le monde et sans aucune distinction, et nous espérons faire en sorte que la loi prévale toujours sur les intérêts.
Lire la première partie :
Tunisie-Mohamed Abbou : “S’il y a pas remaniement ministériel, le gouvernement perd sa crédibilité”