On a un peu tendance à oublier maintenant que tout a commencé à Redeyef en janvier 2008 et que le sud n’a pas arrêté de bouger contre Ben Ali depuis cette date fatidique pour le régime.
Un concours de la CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa) mettra le feu aux poudres, le 5 janvier 2008. Il y avait 1.000 candidats pour 81 postes. Personne sur place n’accepte les résultats que tous savent ou considèrent arrangés, comme d’habitude, entre les potentats locaux de l’UGTT et ceux du RCD. Les ingrédients de l’insurrection sont rassemblés et tout bascule. Des rassemblements, des grèves et des manifestations sont organisés, les chômeurs et particulièrement les diplômés du supérieur se joignent au mouvement avec les familles des mineurs, des enseignants, des étudiants et des lycéens. Rapidement l’insurrection prend son ampleur.
Il faut connaître le sud et particulièrement le sud-ouest de Gafsa. Comme par ailleurs, le centre-ouest et le nord-ouest. Toutes ses régions n’ont connu depuis l’indépendance que peu de développement et surtout ce qui est lié au développement du Sahel et de la côte est. Même les quelques investissements consentis sous Bourguiba et sous Ben Ali seront toujours liés à ce qui s’investit sur la côte est.
Le phosphate de Gafsa ira vers Sfax d’abord et ensuite à Gabès, et les dirigeants de la Compagnie des phosphates de Gafsa seraient des Sfaxiens qui nommeront toujours d’autres Sfaxiens aux plus hauts postes. Les potentats locaux du RCD et de l’UGTT, localement complices notoires à la CPG, auront les miettes et surtout partageront en quota tout recrutement d’ouvriers à la Compagnie. Cette politique durera des années. Le secrétaire général local de l’UGTT, Amara Abassi, se retrouvera président de deux sociétés d’intérim qui travaillent pour la Compagnie et en même temps sera le député RCD de la région au parlement de Ben Ali.
Ce schéma se répète partout ailleurs. A Siliana, à l’ouest, à Médenine au sud, à Sidi Bouzid au centre. Durant les longues années du règne de Ben Ali, les gouvernorats du sud accumuleront les déboires et les frustrations d’une jeune génération diplômée des universités mais sans aucune réelle perspective d’emploi. L’exil vers les villes du nord, vers la Libye ou pour les plus chanceux vers l’Europe, restera le seul refuge mais la majorité est livrée à elle-même et aux misères de la vie locale.
Après les troubles du bassin minier qui se prolongeront jusqu’en novembre 2010, à la veuille de la révolution, d’autres troubles se déclarerons à Skhira au sud de Sfax, à Ben Guerdane sur les frontières avec la Libye en juillet-août 2010. Chaque fois le pouvoir lâche sa machine policière répressive, et chaque fois l’appareil RCD local démontre son impuissance et surtout son absence de base populaire et son inefficacité troublante.
Les limogeages des leaders RCD locaux se suivront et la police peinera souvent à contenir la colère grandissante.
Un mécanisme nouveau fait son apparition lors de toutes ces manifestations et affrontements avec le pouvoir de Ben Ali, l’utilisation d’Internet et particulièrement des réseaux sociaux en tête desquels on trouve l’imbattable Facebook. Au moment où le pouvoir de Ben Ali se gargarise de plus d’un million de comptes tunisiens sur Facebook, les contestataires, souvent des diplômés du supérieur, se révèlent des virtuoses pour déjouer la police d’Internet du régime et la chape de plomb que le pouvoir tente d’imposer sur les événements dans les villages et les villes du sud.
Les révélations de WikiLeaks sur la Tunisie viennent en appui à la contestation et font surtout sentir aux gens qu’ils ne sont pas seuls et que le monde suit, malgré l’absence des médias libres, ce qu’ils entreprennent comme lutte contre la dictature et les corrompus de la famille Ben Ali-Trabelsi.
Ainsi, la prise de parole est immédiate et les mini-reportages filmés par téléphone portable ou par n’importe quel moyen audiovisuel sont repris sur Facebook, sur la chaîne qatarie, El Jazeera, ou encore sur France 24.
L’été 2010 est particulièrement chaud, notamment à Ben Guerdane où la population locale tient tête farouchement à la police et aux détachements armés envoyés par le régime. Si la contestation continue par à-coup, les effets des troubles s’accumulent. Ainsi, le 18 septembre 2010, le Comité national de soutien aux populations du bassin minier communique que les syndicalistes meneurs du mouvement social n’ont toujours pas réintégré leur emploi, et en octobre 2010 le journaliste Fahem Boukaddous, condamné à 6 puis à 4 ans d’emprisonnement, entame une grève de la faim très médiatisée à l’international contre les conditions de son emprisonnement… Boukaddous cessera sa grève après le recul de l’administration pénitentiaire.
Et vint donc le fameux 17 décembre 2010, date à laquelle éclatèrent des troubles à Sid Bouzid, suite à l’immolation par le feu d’un vendeur ambulant du nom de Mohamed Bouazizi, en protestation contre ce que lui a fait subir un agent municipal de Sidi Bouzid. On connaît la suite.