Le martyr de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, annonce un séisme qui va provoquer le «printemps arabe». Au début, le président déchu Zine El Abidine Ben Ali, qui est installé au pouvoir de puis 1987, n’y prête pas grande attention. Il finira par ce rendre compte qu’il risque de perdre le pouvoir. Il quitte le pays le 14 janvier 2011. Retour sur les principales étapes d’une révolte devenue révolution.
Lorsqu’il apprend, le 17 décembre 2010, qu’un vendeur ambulant s’est, dans un geste de désespoir, immolé par le feu, à Sidi Bouzid, dans le Centre-ouest de la Tunisie, Ben Ali ne comprend pas –et personne du reste- que ce martyr vient d’annoncer la fin de son règne. Et pourquoi s’inquiète-t-il? Le pays est tenu d’une main de fer depuis 1987. Le pays en a, de plus, connu d’autres. Son régime a réussi à passer le cap de grandes révoltes comme dans le bassin minier, en 2008, et à Ben Gerdane, à la frontière avec la Libye, en août 2010.
Les régimes égyptien, yéménite et libyen, qui tomberont, à leur tour, dans les mois qui suivent, ne saisissent pas, par ailleurs, l’ampleur de l’acte de Mohamed Bouazizi, un Tunisien de seulement vingt-six ans, qui a maille à partir avec les employés municipaux de sa ville. Ne possédant pas d’autorisation, il se fait confisquer sa marchandise et son étal, devenu un des symboles et un objet culte du «printemps arabe».
Limogeage du ministre de l’Intérieur
L’acte de désespoir va très vite déclencher une révolte qui s’avérera être une Révolution. Le 19 et le 20 décembre 2010, un mouvement se déclenche dans le pays pour protester contre le chômage, la liberté pour la dignité. Il part de Sidi Bouzid pour gagner tout le pays: Menzel Bouzaiene (24 décembre), Thala (3-7 janvier 2011), villes situées dans les environs de Sidi Bouzid, Kasserine, Regueb et Kairaouan (8-10 janvier 2011), Douz et Sfax, où l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) organise une grève générale (12 janvier 2011), Hammamet (13 janvier 2011)… Avant d’arriver à Tunis, les 12 et 13 janvier 2011.
Au début, le régime de Ben Ali tente de réprimer par la force. On tire sur la foule, on arrête, on torture… Et le président de dénoncer une «instrumentalisation» et d’évoquer la nécessité d’appliquer «la loi» contre des «voyous cagoulés» (le 28 décembre 2010 et le 10 janvier). Parallèlement à cela, le président essaye de calmer les ardeurs de la rue. Il visite le martyr Mohamed Bouazizi au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, accueille la mère de ce dernier au palais de Carthage (28 décembre 2010) et limoge le ministre de la Communication, Oussama Ramadhani, coupable d’avoir tu ce qui s’est passé le 17 décembre à Sidi Bouzid, le gouverneur de Sidi Bouzid (30 décembre 2010) et le ministre de l’Intérieur (12 janvier 2011).
Ben Ali aurait-il pu sauver sa peau?
Mais le mouvement, comme décrit plus haut, prend de l’ampleur avec notamment les attaques contre les édifices publics et surtout l’accélération du nombre des morts et des blessés. Le 13 janvier 2011, Ben Ali annonce qu’il n’a pas l’intention de rester au pouvoir au-delà de 2014, ordonne la fin des tirs sur la foule, annonce une baisse des prix des denrées de base et promet une liberté totale en matière de presse et un accès libre à l’Internet.
Mais c’était trop tard et trop peu. Le lendemain, une grande foule se rue vers l’Avenue Habib Bourguiba, à Tunis, revendiquant un «Dégage» à l’endroit de tout un système qui n’a que trop duré. Des affrontements ont lieu entre les manifestants et la police. Le soir, Ben Ali quitte le territoire à bord de son avion pour se réfugier en Arabie Saoudite, qui n’est pas liée avec la Tunisie par un accord d’extradition de criminels. Et les forces spéciales de la présidence de la République arrêtent une bonne partie du clan des Trabelsi, dont un beau-frère et des belles-sœurs du président, désormais déchu.
Alors, avec le recul, la question qui se pose est : Ben Ali aurait-il pu sauver sa peau s’il avait déclaré, le 13 janvier 2011, son intention de divorce de son épouse Leïla Trabelsi et traduire en justice le clan des Trabelsi qui n’ont que trop sévi par leur «cleptomanie»? Il s’agit là d’un secret que seuls les chercheurs ou encore les archives et les langues qui ne manqueront pas de se délier encore dans le futur révéleront. Un aspect parmi d’autres puisque de nombreuses zones d’ombre persistent malgré le flot des révélations, témoignages et autres récits dont ont été abreuvé les Tunisiens depuis le 14 janvier 2011.
Dont ceux-ci: le président déchu avait-il l’intention de revenir le 15 janvier 2011? Pourquoi a-t-il accepté de quitter le territoire national? Comment, d’une vacance provisoire du pouvoir, au soir du 14 janvier, sommes-nous passés le 15 janvier à une vacance définitive? Quel a été le rôle joué par certaines personnalités, comme Ridha Grira, alors ministre des Affaires étrangères et de la Défense, ou encore et surtout Ali Seriati, chargé de la sécurité du président déchu, dans le départ de Ben Ali? Quels sont les snippers qui ont tué et blessé des manifestants?
Et cette question qui hante bien des esprits : la Révolution tunisienne a-t-elle été spontanée ou a-t-elle été préparée de l’étranger?