Les révolutions obéissent à des logiques, souvent, imprévisibles. Elles sont fréquemment détournées de leur voie, au nez de leurs initiateurs. Ces derniers, faute de lendemains qui chantent, souvent eux-mêmes déchantent. Terrible déconvenue, cette machine magique à susciter l’espoir qui en arrive à créer du mécontentement. Détails des frustrés de la révolution. Hélas !
De l’emploi, de la liberté et de la dignité! Par ce slogan les jeunes de Tunisie, hors tout leadership, sans le moindre encadrement partisan, scandaient, à pleins poumons, leur «désir d’avenir». Ceux-là qui ont payé la facture de l’affranchissement du peuple espéraient, en retour, la reconnaissance de la patrie, en droite ligne de la tradition démocratique et républicaine. Qu’en est-il de la satisfaction de leur appel, deux ans après?
Une Constituante souveraine, introvertie et loin des soucis du «bon peuple»
La voix du peuple est couverte, depuis les élections du 23 octobre 2011, par une voix prépondérante, celle de l’Assemblée nationale constituante, laquelle se trouve être souveraine et dépositaire de la légalité. La subrogation démocratique, via la représentativité populaire, est une réalité politique, admise de tous. Elle a cette particularité que chaque élu est sensé s’exprimer au nom, non pas de ses mandants qui l’ont porté dans cette auguste enceinte, mais de l’ensemble du peuple tunisien, ce qui du reste justifie l’immunité dont jouissent les constituants. Mais, à l’expérience, on découvre que cette mandature ne signifie pas le relai des doléances populaires. Les priorités partisanes prennent le dessus et les agendas des constituants obéissent à des préoccupations politiques, loin des soucis du bon peuple. Triste déconvenue! Quel surprenant décalage, quelle méprise!
L’exigence de dignité, le désir d’inclusion
Mohamed Bouazizi, vous en souvenez-vous? C’est ce Tunisien que l’on a dépourvu du sentiment de considération que l’Etat doit au citoyen, celui qui s’est immolé par le feu, de dépit, impuissant face à la tyrannie. Cela semble être un trait d’exception à cette terre bénie. Deux millénaires plus tôt sur cette même terre, on s’est également immolé par le feu, face à la barbarie romaine. A vingt siècles d’intervalle, on préfère sauver l’honneur que subir la honte ou le mépris.
Or, l’exclusion persiste, de plus belle. Sans vouloir jeter de l’huile sur le feu. La prise en mains des citoyens tarde. Les régions crient leur détresse, parfois au prix lourd de la riposte sécuritaire. De la proximité réclament les fils du peuple. On leur répond par de la distance. Hélas, la décentralisation est toujours là. On leur expose doctement par de la planification de long terme. Quand on dit toute sa rage, parfois de manière tonitruante, que l’on s’attend à ce que ici et maintenant, on voit des signes de soulagement, on répond par de l’inflation, des rajustements de prix, du rationnement des denrées de base, des coupures d’eau ou d’électricité.
Enfin, la vanité administrative ne peut remplacer une réactivité politique, impérative au sortir d’une révolution. Les gens veulent voir du pragmatisme, on leur répond par de la prospective. La riposte est pour le moins décalée. Et, désolante.
Une thérapie qui ne soulage pas, le «Go&Stop» aux effets pervers
L’emploi, c’est la médication demandée par tous. Il sert à quoi de venir expliquer aux chômeurs le dysfonctionnement du marché de l’emploi, le décalage entre leurs qualifications et les exigences de l’embauche. Quand on demande à un diplômé du supérieur de faire le service civil et de participer à la cueillette des olives, c’est comme si on lui demandait d’aller voir ailleurs.
Le pays possède six parcs technologiques. Pourquoi ne pas faire un contrat d’employabilité pour l’insertion des diplômés du supérieur. C’est ce qu’a fait Tony Blair en proie lui aussi au même problème. Nicolas Sarkozy, dans une France surendettée, n’a pas hésité à faire le grand emprunt de 35 milliards d’euros, c’est-à-dire la contrevaleur de 70 milliards de dinars, pour lancer les pôles de compétitivité et autonomiser l’université.
Dévaloriser la ressource humaine, c’est «gaspiller» les citoyens. Comme si l’exclusion, à elle seule, ne suffisait pas. Il faut y rajouter du déclassement social. Foncer sur la dette pour faire du Go&Stop à l’effet de relancer la machine et obtenir le résultat opposé, c’est fort.
L’on n’a pas plus d’emploi mais le système est plombé par plus de charges! Qu’est-ce que vous dites de ça? Allouer des ressources budgétaires et ne pas les investir en totalité quand les régions sont aux abois tout en persistant à refuser le recours des technocrates, cela ressemble à de l’attachement au pouvoir. Cela peut mener loin.
Deux ans après l’explosion du ras-le-bol de la jeunesse, on n’a pas banni la frustration. Immoler l’espoir de la jeunesse, c’est carboniser l’avenir du pays. Comment s’étonner que la jeunesse soit tentée de brûler vers Lampedusa ou pire de se laisser enrôler dans les structures de la violence.