A deux ans d’intervalle, Sidi Bouzid garde sa même vigueur révolutionnaire. Au lieu des lauriers, elle a servi de la caillasse aux deux présidents. Les présidents Marzouk et Ben Jaafar se sont trouvés happés par la trappe de la grogne populaire.
Après avoir donné l’étincelle qui a emporté ZABA, la région de Sidi Bouzid soulèvera-t-elle le volcan de la déroute de la Troïka?
Un vent de révolte souffle sur le brasier de Sidi Bouzid. Le peuple -le bon peuple- manque de pain et refuse les jeux de la politique actuelle. A présent que Sidi Bouzid se met en éruption, où s’arrêtera l’onde de choc?
Le carton «rouge»
Voilà un bain de foule qui se transforme en trop plein de grogne. Les citoyens n’en peuvent plus de promesses non tenues. Le peuple se nourrit du concret. Les jeunes, les sans-emplois, ne veulent pas de projections savantes à cinq et à dix ans, où on fait disparaître le chômage, comme par enchantement, car le désenchantement occupe les cœurs et les esprits. Il faut rester dans le «politiquement réaliste», la prospective et les graphiques, «ça mange pas de pain», a tranché le peuple, outre que ça ne nourrit pas son homme pas plus que ça ne fait bouillir la marmite.
Pêle-mêle, des blessés de la révolution, des diplômés du supérieur, des mères de martyrs, crient leur détresse. Ils ont le sentiment qu’on les tient pour les auxiliaires de la révolution. Ils n’auraient été, en fin de compte, que du «consommable» pour la révolution. Si en deux ans on n’a fait que leur servir des expédients, ils radicalisent et versent dans le jusqu’au-boutisme et réclament tout et tout de suite, ici et maintenant.
De mémoire collective, nous connaissons tous l’histoire de cette mère de famille, démunie, qui endormait ses enfants en faisant semblant d’agiter une marmite remplie d’eau.
L’attente a trop duré. La patience du bon peuple a ses limites. Les arguments politiques ne servent qu’une fois. On ne peut répéter indéfiniment “c’est la faute aux cinquante ans de Bourguiba et de ZABA“. Ces arguments là ne prennent qu’une fois. Ils sont à usage unique. Quand on hérite d’une situation, on prend plein tarif, c’est-à-dire l’actif et surtout le passif. Quand on plombe les comptes de la nation, il ne faut pas s’attendre à récolter des lauriers. Le bon peuple paie comptant, avec de la caillasse.
Les deux «fusibles»
On ne sait à quoi s’attendaient les président Marzouki et Ben Jaafar en allant affronter les jeunes de Sidi Bouzid, les auteurs de la révolution, les mains quasiment vides de réalisations, mais surchargées de promesses. A ce grand oral populaire, il leur fallait exhiber ce que les jeunes réclamaient haut et fort, de l’emploi, de la liberté et de la dignité. L’ennui est que ni l’un ni l’autre ne sont maîtres du jeu.
Il y avait un absent ce jour là. Un grand absent. Et on comprend que cette absence ait pris une connotation «politique» laissant les deux présidents en prise directe avec le peuple en furie, essuyer le mauvais rendement du gouvernement. On leur a fait porter le chapeau. Ils apparaissent aux yeux de l’opinion comme les responsables du chômage qui persiste, de l’inflation qui galope, des pénuries à répétition et des promesses qui tardent et ne se réalisent pas, c’est-à-dire de l’impuissance de la puissance publique.
Politiquement, ils ont servi de fusible. Ils seraient politiquement grillés à moins de se raviser à leur tour et de se démarquer de leur allié encombrant qui s’en tire sans la moindre égratignure. La défection des deux alliés «trahis» peut induire une nouvelle dynamique dans le pays. C’est la seule issue possible pour sauver la transition démocratique.