Il est fort étonnant de voir et d’entendre à chaque fois nombre d’experts au gouvernement et autres ministres tous, paraît-il, interdisciplinaires, encenser les réalisations économiques du pays avec pour seule performance jugée ahurissante: 3% de croissance en 2012 !
D’aucuns poussent leurs bêtises, leurs raisonnements absurdes jusqu’à prétendre que le taux de croissance est même de 6%, N’étions-nous pas à près de -3% en 2011? Faites le calcul… voyons -3% + 3%, cela fait 6% de croissance en une année seulement! C’est à rendre jaloux plus d’un prix Nobel d’économie. Nous ne pouvions pas mieux tomber car les faiseurs de miracles existent toujours, et pour preuve, nous en avons au plus haut de la pyramide de l’Etat!
2011/2012 sont deux années perdues de croissance, estiment, par contre, les véritables experts, ce qui revient à dire que le pays a perdu deux années de création de richesses et par conséquent d’emplois, en face la consommation a considérablement augmenté. Soit une situation de déséquilibre total entre la production et la consommation, ce qui a engendré un dérapage important au niveau des prix. Une inflation devenue structurelle et tournant autour de 6%, ce qui menace sérieusement l’économie dans son ensemble. «Mais le pire est que 6% d’inflation ne reflètent pas son taux réel, car ils ne concernent pas les produits subventionnés qui devraient être comptabilisés, c’est ce que nous appelons communément l’inflation centrale et si nous devons l’estimer, elle devrait se situer entre 8,5 et 9%. Gravissime. Ce niveau d’inflation affecte les produits alimentaires autres que les produits subventionnés. Ce qui revient à dire que nous ne pouvons pas le maîtriser parce qu’il s’agit de nourriture…».
Les autres fondamentaux ne sont pas non plus rassurants, car au 30 novembre 2012, le déficit de la balance commerciale avait atteint les 10 milliards de dinars, soit 12,7% du PIB.
Le déficit du budget de l’Etat programmé à 6,6%, on l’estime aujourd’hui entre 8 à 9%, ce qui ouvre la porte grande vers l’endettement excessif avec ce que cela comporte comme dangers structurels pour les finances publiques.
Soit le scénario des années 80 avec un rythme plus accéléré et des desseins assez équivoques corroborés cette fois-ci par des déclarations des alliés, en l’occurrence celle de la députée Lobna Jeribi du parti Ettakatol -qui a prévenu de l’imminence d’une contre-attaque initiée par le parti majoritaire pour relancer le projet des dédommagements des anciens prisonniers politiques dans leur grande majorité nahdhaouis. On n’échappe pas à la logique du butin de guerre!
Les chantiers communaux : une distribution d’argent sans contrepartie
Quant aux budgets de l’Etat 2012 et même 2013, on n’y remarque aucune stratégie de sauvetage de l’économie tunisienne. Plus que les dépenses de fonctionnement, les dépenses qui dominent sont celles sociales, qui sont nécessaires mais jusqu’à une certaine limite, qui semble aujourd’hui largement dépassée. «Ommal Al Hadhair», les ouvriers des chantiers communaux ont atteint aujourd’hui les 100.000, ils n’étaient, il y a deux années, que 10 000. Cela s’appelle de la distribution de l’argent public sans contrepartie. Inacceptable même si cela se faisait pour récompenser les «milices» ou militants du RCD, car ce phénomène est très risqué pour une économie qui manque de main-d’œuvre. Dans le même temps, certains investisseurs, y compris des étrangers, ne trouvent pas de travailleurs, ce qui porte un coup fatal à l’investissement national ou étranger. Pourquoi investir dans un pays où il n’y a pas de main-d’œuvre?
Sur un tout autre plan, les 30.000 logements sociaux promis au début de la prise de fonction du nouveau gouvernement n’ont pas toujours pas vu le jour. Leur démarrage aurait pu faire dynamiser le secteur du bâtiment, ce qui n’est pas peu pour une économie.
D’autre part, des fonds sont distribués à des familles démunies, ce qui n’est pas condamnable en soi, si seulement c’était fait dans le cadre d’une politique sociale cohérente et étudiée et surtout parallèle à une relance économique où il y a création de richesses. Si nous ne créons rien, que sommes-nous en train de distribuer et surtout d’où amenons-nous les fonds que nous prodiguons?
A l’international, le déficit de la balance commerciale se creuse de plus de 60% pour arriver à 10 milliards de dinars, le déficit courant qui double et les réserves de changes qui sont aujourd’hui à 92 jours malgré tous les fonds qui leur avaient été injectés à coups d’endettements extérieurs hypothéquant ainsi l’avenir des générations futures.
Les résultats de l’absence d’une stratégie économique réfléchie et bien structurée sont, bien entendu, plus de chômage, plus de pauvreté, car moins d’investissements.
Car les postes d’emplois qui ont été créés sont plus néfastes que bénéfiques pour le pays. Ils ont touché les institutions et les établissements publics (CPG, STEG, la SONEDE…) dans leur ensemble, ce qui ouvre les portes grandes vers l’endettement de l’Etat -et l’exemple grec en est le meilleur exemple.
«Al Chaab fad, fad mi Trabelssia Il Jdod» (Le peuple en a marre des nouveaux Trabelsi)
«Al Chaab fad, fad mi Trabelsia il jdod», une expression qu’on scande de plus en plus dans les manifestations. Des slogans qui expriment non seulement le mécontentement du peuple face à une situation qui lui paraît de plus en plus dramatique, mais dénonce en même temps des nouvelles classes qui s’enrichissent aux dépens des classe démunies et détruisent l’économie en l’absence d’une présence effective de l’Etat quand il faut et là où il faut.
Des fortunes colossales hors-la-loi sont en train d’être aujourd’hui constituées. Leurs artisans sont des les maîtres d’œuvres de l’économie souterraine et ne reconnaissent ni Etat, ni fisc, ni impôt encore moins CNSS ; ce sont les riches de guerres. Ce sont les deuxième, troisième et quatrième lignes qui étaient au service des acteurs réels de l’économie parallèle qui ont vu leurs affaires fleurir dès la fin des années 90 et se sont développées dans les années 2000. Aujourd’hui les héritiers profitent des mannes des anciens aux dépens de l’économie organisée, de l’Etat et du tissu économique formel du pays. Ils importent les produits de pays comme la Chine, les introduisent en Tunisie, détruisent le marché national, nos entreprises et notre tissu industriel, et exportent des produits subventionnés comme le lait, le sucre et la farine dans les pays voisins comme la Libye ou l’Algérie, causant des pénuries et appauvrissant les citoyens moyens.
Dans le déficit de 10 milliards de dinars de la balance commerciale, 2 milliards de dinars concernent la Chine, soit le 1/5ème. Et qu’importe-t-on de ce pays, ce ne sont pas les biens d’équipement et ce ne sont pas de produits alimentaires. Par quels canaux entrent ces produits si ce n’est de manière illégale dans des opérations justement orchestrées par les nouveaux «Trabelsi» en plus nombreux et en plus féroces car pressés de se faire rapidement des fortunes.
Pourquoi l’Etat ne met pas les moyens adéquats pour lutter contre cette économie? N’est-ce pas son rôle? Hernando De Soto, président de l’Institut Liberté et Démocratie, avait, samedi dernier, lors d’une conférence organisée à l’UTICA, interpellé Hamadi Jebali, chef du gouvernement, pour lui dire que la solution réside dans des décisions politiques et que c’est au gouvernement d’y mettre des limites.
Plus encore, pourquoi l’Etat s’est-il empressé de crier victoire suite à la signature de la lettre d’intention du Statut privilégié avec l’Europe acquis sans trop de discussions et en l’absence de négociations, d’études et du bilan de l’accord de libre-échange? Que gagne la Tunisie, si ce n’est l’ouverture de ses deux marchés, ceux qu’on refusait d’ouvrir à la concurrence étrangère: les services et l’agriculture? Aujourd’hui, à 80% en matière d’échanges commerciaux avec l’Europe, la Tunisie en deviendra, demain, dépendante à 100%. Lorsque l’Europe toussera, notre pays attrapera une pneumonie.
Souffrant aujourd’hui d’un état semi-comateux, l’économie tunisienne a besoin de décisions courageuses de la part du gouvernement pour être réanimée.
Ce n’est pas sorcier mais il s’agit surtout d’avoir l’humilité nécessaire pour reconnaître un manque de compétences évident au niveau de certains départements économiques. Tranquilliser le peuple et les internationaux en instaurant la sécurité et réalisant la paix sociale, accélérer le processus de justice transitionnelle et clore définitivement les dossiers des groupes et hommes d’affaires en procès afin de rassurer les opérateurs privés et, bien sûr, plus important que tout, fixer un calendrier électoral et donner des signaux effectifs quant au démarrage des projets de développement dans les régions.
C’est dit en peu de mots pour une mission colossale, mais il va falloir s’y mettre avec plus de conviction. Eviter les discours démagogiques, les appartenances partisanes et les faux problèmes se rapportant encore et toujours à la corruption sous l’ancien régime, se préoccupant des détails beaucoup plus que de l’essentiel.
Un gouvernement, un Etat est supposé apporter des solutions et non faire des constats et poser des problèmes. Une opposition est censée s’opposer et présenter des projets.
En Tunisie, gouvernement et opposition opèrent et réagissent en opposants professionnels et non en hommes et femmes d’Etat. Nous avons beau chercher la vision, nous ne la voyons pas.