L’ISIE nouvelle est arrivée. Elle sonne l’hallali pour l’ISIE mère. Quand une ISIE en chasse une autre, l’opinion fait la comparaison. Mais cette ISIE-bis aura-t-elle les moyens de son indépendance? Et c’est bien la question qui fâche!
Elle a mis du temps pour naître l’ISIE nouvelle. L’ANC a, enfin, voté le texte créant la première des institutions démocratiques programmées dans le cadre de la transition. Sommes-nous donc parés à enclencher la feuille de route électorale? A priori, on devrait l’être, n’était-ce toute la controverse soulevée autour de l’ancienne instance qui prend un parfum de “Isiegate“. Quels dessous à cette affaire?
L’ISIE-bis sous la loupe de Kamel Jendoubi
Il fait l’unanimité –ou presque- autour de lui. Kamel Jendoubi est devenu une figure de légende pour avoir mené à bon port la 1ère mi-temps de la transition démocratique. Il a réussi, de main de maître, le premier scrutin pluriel, transparent et démocratique de l’histoire de Tunisie. Il a donc pris du galon et ses états de service lui procurent cet ascendant qui pousse l’opinion publique à sonder son opinion sur la nouvelle structure.
On s’intéresse principalement à son appréciation sur la capacité de la nouvelle structure à garantir des élections libres et transparentes. Pour cet exercice délicat, Kamel Jendoubi se penche, avec précaution, sur ce qu’il appelle l’économie du texte, c’est-à-dire la philosophie qui a présidé à la configuration de l’ISIE-bis. Pour faire court, on va dire que son avis est mitigé. Kamel Jendoubi décèle un certain «tutorat» du pouvoir exécutif et même de l’Assemblée sur l’ISIE nouvelle. Au moins pour ce qui concerne le budget et l’embauche des collaborateurs, la nouvelle-née doit, dit-il, référer. Ses craintes deviennent plus grandes pour ce qui est du «directoire» qui dirigera l’instance et qui sera à élire par l’Assemblée.
Les rapports au sein de la sphère politique lui font redouter une reproduction des quotas politiques au sein de cette équipe. Cet état de fait laisse redouter la tutelle des partis et … bonjour les dégâts. Ces deux éléments constituent-ils le meilleur gage de liberté de manœuvre et d’impartialité pour la nouvelle ISIE?
L’ISIE doit être puissante, efficace et indépendante
C’est à l’aune de son pouvoir à régler, trancher ou arbitrer, selon le cas de figure, les différends et autres affrontements qui surviennent dans le contexte électoral qu’il faut juger l’efficacité de l’ISIE nouvelle, considère Kamel Jendoubi. La nouvelle structure sera-t-elle en situation de résister aux pressions des partis, aux manœuvres des candidats, aux écarts en tous genres, pour donner de la voix et se faire entendre de tous, petits et grands ?
Face à tous les dépassements volontaires ou fortuits, l’ISIE doit pouvoir faire respecter les dispositions de la loi électorale et se faire obéir. Cela nécessite en amont une indépendance de fait qui lui permet, en toute neutralité, de garantir le respect total du jeu électoral, en particulier dans les régions, là où le jeu est plus corsé. Quand Kamel Jendoubi plaide pour une ISIE puissante, ce n’est donc pas pour surfer par-dessus la loi. Le but est que l’ISIE soit suffisamment respectée et écoutée grâce à la force de la loi. Et c’est dans l’intérêt de la validité du scrutin.
Si donc l’instance doit satisfaire au triptyque de la puissance et de l’indépendance, c’est surtout pour avoir la confiance des citoyens. Il ne faut pas que le scrutin puisse être entaché de la moindre suspicion. Le peuple est encore marqué par le spectre de l’interventionnisme de l’exécutif sous l’ancien régime.
Si l’expression de la volonté populaire n’est pas franche, libre, totale et sans tache, c’est le démon du discrédit des élections qui risque de refaire surface. Par conséquent, le plus petit couac ferait chavirer l’opération. Le bon sens voudrait que la nouvelle ISIE, pour aller vite et faire bien, essaye de capitaliser sur l’expertise acquise par l’ancienne «dream team», qui a mené la première opération à quai. En sera-t-il ainsi?
Les fuites et le procès en mauvaise gestion
Les choses pourraient prendre une autre tournure, selon Kamel Jendoubi. Ce dernier rappelle que le gouvernement a tourné le dos à l’ancienne ISIE, et d’ailleurs en bien des occasions certaines autorités locales auraient réclamé la restitution des locaux de l’Instance qui se trouvent dans les régions de l’intérieur.
On apprend, par ailleurs, que la quasi-totalité de l’équipe s’est dispersée et personne n’a cherché à la récupérer. Lui-même, donné favori par la Troïka pour prendre la présidence de la nouvelle instance, devient persona non grata. Le procès intenté par le Contentieux de l’Etat contre l’ISIE, pour mauvaise gestion et lequel viserait sa personne, y est pour quelque chose. L’ennui est que «l’affaire» a surgi à un mauvais moment. L’opinion a relevé la synchronisation entre la publication du texte et le procès intenté à Kamel Jendoubi. La coïncidence donne à réfléchir. Le procès est fait sur la base de fuites à partir d’un rapport préliminaire, donc non encore définitif, émis par la Cour des Comptes, soutient-il.
Ce rapport use de procédures utilisées pour auditer les administrations publiques, selon lui. C’est ce que conteste Kamel Jendoubi, car l’ISIE n’avait pas, de par son décret de création, un statut d’établissement public. Par-dessus tout, sa mission, circonscrite dans le temps était assortie d’une obligation de résultat, celle de la réussite du scrutin et qu’en matière financière, la consigne était de «faire au mieux», sans contraintes réglementaires précises. C’est un procès, s’insurge Kamel Jendoubi, sans «crime et sans cadavre», qui lui tombe dessus.
Cependant, à la faveur de la concomitance du procès avec la sortie du texte, la Troïka semble retirer son appui à la candidature de Kamel Jendoubi et de ne plus redonner du service aux anciens membres. Pure coïncidence?
Arbitre malgré lui
Kamel Jendoubi, a contre-attaqué en portant plainte à son tour. Il s’appuie essentiellement sur une gestion régulière. Mais il insiste sur un autre élément. Le rapport préliminaire de la Cour des comptes n’a été envoyé qu’au gouvernement. Ce qui permet à Kamel Jendoubi de dire comment des fuites peuvent-elles se produire sur un circuit supposé sécurisé? Il laisse ainsi planer le doute sur une éventuelle volonté de nuire, c’est-à-dire une forme de préméditation.
La situation a ceci de cocasse. Kamel Jendoubi et la Troïka se tiennent par la barbichette. Pour avoir jeté toute cette lumière sur «l’affaire», il pourrait indirectement mettre la Troïka en situation de faire amande honorable, et de le reconduire. Or, Kamel Jendoubi, s’il se succédait à lui-même, irait jusqu’au bout de sa tâche et s’obstinera à faire inscrire la quasi totalité de la population. Il a suffisamment de charisme pour se faire entendre. On est sûr d’avoir les huit millions d’électeurs sur les nouvelles listes, et à coup sûr un taux de participation record. Or cela risque de bouleverser la donne électorale. La Troïka, pourrait ne pas y trouver son compte. Si par contre la Troïka le limogeait, Kamel Jendoubi, libre de ses actes et de ses propos sur la place, ferait office à lui tout seul d’ISIE. A n’en pas douter, qu’il ferait de l’ombre à la nouvelle instance, quelque puisse être son intégrité et son efficacité. On sait qu’il sera très écouté du fait même de son expertise et de sa compétence.
Dans les deux cas de figure, Kamel Jendoubi est sûr d’être l’arbitre de la situation. Diable d’homme! Ce qui ne doit pas rassurer ses détracteurs.