Kairouan, quatrième ville sainte du monde arabo-musulman, avec ses bassins aghlabides datant du 9ème siècle, ses 300 mosquées, le palais de Rakkada et tous ses vestiges datant du VIIème siècle, est désertée par les touristes. Pourtant, en ce dimanche 16 décembre, un temps superbe avec plus de 28 degrés Celsius, s’apprêtait à une belle promenade découverte de la ville.
Le congrès des salafistes au cœur même de Kairouan dans la mosquée Okba Ibnou Nafaa, lui, a porté le coup de grâce. Nouvelles technologies aidant, les images de hordes d’individus vêtus comme des Taliban et brandissant des étendards noirs ont vite fait le tour du monde appauvrissant encore plus en visiteurs cette ville, considérée comme l’une des plus importantes dans le monde islamique.
Bien avant ce fameux rassemblement, Kairouan souffrait déjà de la crise qui avait frappé le secteur touristique après le 14 janvier. «Le tourisme tunisien n’avait pas encore bien encaissé le recul considérable du nombre de touristes de 2011. La situation ne s’est pas vraiment améliorée cette année, notre région en souffre doublement parce qu’au moins auparavant elle était un lieu de visite et de passage pour les touristes qui se rendaient dans des villes comme Sousse, Monastir ou qui séjournaient à Hammamet, aujourd’hui plus personne n’y vient. Aux problèmes structurels du tourisme kairouanais sont venus s’ajouter ceux corolaires à la révolution. Les guides évitent aujourd’hui de proposer aux touristes le circuit Kairouan, ce qui ne fait qu’empirer les choses…», regrette Khaled Fourati, hôtelier.
A Kairouan, le taux de criminalité est monté d’un cran conjugué à celui de la montée d’un extrémisme certes assez limité mais dont les conséquences peuvent être néfastes. «Certains salafistes supportent de plus en plus mal la présence des touristes dans notre ville. Nous réussissons jusqu’à maintenant à limiter leur champ d’action. Mais nous avons besoin pour cela de plus de moyens et de projets concrets visant à traiter ce phénomène à sa base même. C’est-à-dire en apportant des solutions aux problèmes de chômage et de pauvreté», a indiqué un jeune apprenti guide qui essayait de récolter un peu d’argent en se proposant aux visiteurs d’occasion, des compatriotes venus à la découverte.
Des jeunes victimes d’idéologues extrémistes
A Kairouan comme partout en Tunisie, les jeunes pauvres et démunis sont devenus des cibles de choix pour des extrémistes venus les enrôler en les convaincant que l’application de la chariaâ est la seule garante d’améliorer leur quotidien.
Ces jeunes sont loin de savoir que la précarité dont ils souffrent résulte en partie de l’absence d’un modèle de développement et de projets structurants dotés d’un potentiel de croissance appréciable et pouvant provoquer un effet multiplicateur dans l’économie de leurs régions natales.
Une bonne exploitation des richesses historiques et culturelles de la première ville sainte du Maghreb pourrait y susciter une dynamique positive. Pour cela, il va falloir réfléchir sérieusement des programmes à la carte selon les spécificités des régions.
Kairouan possède un grand potentiel dans le secteur agricole avec plus de 10.000 hectares de terres cultivables et trois barrages. «A condition que nos ressources en eau ne continuent pas à être dirigées vers des régions côtières comme Sousse, et que nous puissions profiter nous-mêmes des terres fertiles. Beaucoup de nos terres étaient auparavant louées à des étrangers ou à des sympathisants ou proches de l’ancien régime; nous espérons aujourd’hui trouver des modalités pour en profiter nous-mêmes et en faire profiter les enfants de la région», a assuré un représentant syndical.
Plus que l’agriculture, Kairouan est un important centre islamique, inscrit depuis 1988 sur la liste du patrimoine mondial. La ville a été décrétée en 2009 “capitale de la culture islamique“, ce qui lui a donné une dimension universelle.
Aujourd’hui, les visiteurs se font de plus en plus rares, que ce soit dans la ville de Kairouan ou un peu plus loin au Musée de Rakkada qui aurait pourtant dû être un pôle intéressant de visiteurs férus d’histoire et de culture en provenance surtout des pays arabo-musulmans.
A Rakkada, sont exposés des feuillets de coran sur parchemins, considérés comme inestimables, une belle collection de céramiques, des pièces de monnaies retraçant l’histoire économique de l’Ifriqiya pendant 10 siècles et des pièces rarissimes en verre, en plomb et en bronze. «Nos possessions en pièces rares et en œuvres témoignant de la richesse de notre histoire sont nombreuses. Le malheur est que nous n’avons pas les moyens d’aménager et d’équiper les salles d’exposition pour les présenter au public», déplore un employé du musée. Un employé dans un musée désert qui était obligé de nous précéder à chaque fois pour allumer les lumières éteintes d’un musée dépeuplé et désolé…
Kairouan méritait plus avant le 14 janvier, elle mérite aujourd’hui plus que cette tristesse dans laquelle elle baigne aujourd’hui parce que désertée…