L’accord concernant l’octroi à la Tunisie du “Statut de partenaire avancé“ par l’Union européenne constitue-t-il une menace ou favorise-t-il des avancées? Les deux à la fois. Telles sont du moins les conclusions d’une conférence organisée par NOU-R (le Forum pour une Nouvelle République). Mais à condition que le pays sache bien négocier avec l’Union européenne. Notamment au niveau de la mobilité des hommes.
Compte-rendu.
80% des exportations et 77% des importations de la Tunisie se font avec les pays de l’Union européenne. Sur les 3.200 entreprises installées en Tunisie, 2.700 sont européennes. 270.000 emplois créés par des investisseurs étrangers sur les 360.000 sont le fruit d’entreprises européennes. Et 90% des touristes sont européens. Le rappel de ces chiffres est d’une grande évidence: l’économie tunisienne est largement imbriquée dans celle de nos vingt-sept voisins du Nord.
Cette réalité cache-t-elle une menace notamment à l’heure où l’Europe traverse une récession tout aussi évidente? Pour Alaya Bettaieb, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Investissement extérieur et de la Coopération internationale, il y a bien lieu de transformer cette menace, avec l’acquisition par la Tunisie du Statut de partenaire avancé, signé le 19 novembre 2012, en opportunités.
Mobilité des marchandises, des biens, des capitaux et des hommes
Pour Alaya Bettaieb, qui intervenait lors d’une conférence, organisée samedi 22 décembre 2012, par l’association NOU-R (Forum pour une Nouvelle république), sur le thème «Quelle valeur ajoutée pour la Tunisie du Statut avancé avec l’Union européenne», ce nouveau statut va permettre des avancées sur les quatre points inscrits à son programme. C’est-à dire la coopération politique (dialogue politique, justice, droits de l’Homme, sécurité…), l’intégration économique et sociale (cadre macro-économique, environnement des affaires, code des investissements, lutte contre la corruption, libre-échange, suppression des tarifs douaniers, emploi, infrastructure, coopération sud-sud, énergie, TIC…), coopération sur les questions humaines et scientifiques (développement des compétences, santé, culture, jeunesse…) et politique de soutien (aide, moyens financiers, formation…).
Un arsenal qui devra servir à terme à la fois la mobilité des marchandises, des biens, des capitaux et des hommes. Reste que le chemin à parcourir ne sera pas des plus faciles, assure Alaya Bettaieb qui estime, toutefois, que l’on se doit de réagir très positivement à cette nouvelle porte qui s’ouvre devant nous. Comment?
Pour le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, la Tunisie peut tirer quatre avantages de son nouveau statut de partenaire avancé.
Le premier? Celui de renforcer des acquis obtenus grâce à son ancrage à l’économie européenne, en ayant, en 1995, choisi de conclure son accord d’association avec son voisin du Nord. Et ce renforcement sera opéré sur bien des niveaux: création d’emplois, investissements directs étrangers, aides financières…
Une faible valeur ajoutée
Le second? La libéralisation des services qui n’a pas encore été au rendez-vous des échanges entre les deux partenaires. Jusqu’ici, les échanges ont porté sur les seules marchandises.
Pour le troisième avantage, il va concerner l’innovation, qui n’a pas été elle aussi jusqu’ici au rendez-vous des relations économiques entre la Tunisie et l’Union européenne. «La politique de mise à niveau de l’industrie tunisienne n’a pas touché le volet technologique», fait remarquer Alaya Bettaieb.
Le quatrième et dernier avantage a trait, selon le secrétaire d’Etat, à la mobilité qui sera un atout important au service de l’économie tunisienne. Elle concerne les hommes d’affaires, les chercheurs, les consultants, les commerciaux…
DGA du groupe Poulina, Maher Kallal n’a pas entendu ce discours toujours de cette seule oreille. Pour lui, il y a trois menaces importantes avec l’obtention du Statut de partenaire avancé. D’abord, l’approche sécuritaire qui domine les débats dans les relations avec l’Union européenne plus soucieuse de se protéger que de coopérer avec les pays du Sud. D’où la nécessité de réussir la négociation sur le chapitre de la mobilité.
Ensuite, le timing de l’obtention de ce statut: le modèle de développement de l’économie tunisienne est encore basé sur une faible valeur ajoutée; ce qui est de nature à faire perdurer, selon lui, le chômage.
Enfin, et toujours au chapitre du timing, ce statut est obtenu alors que l’intégration régionale de la Tunisie ne s’est pas encore faite dans le giron du Maghreb. Cette intégration est faible et n’est pas de nature à faciliter les rapports entre la Tunisie et son partenaire du Nord.
Autre menace avancée par Chokri Thabet, maître de conférences à l’Ecole supérieure de l’agriculture de Chott Mariem, à Sousse, concerne l’ouverture attendue du libre-échange dans le secteur agricole. Il estime que les opportunités de la Tunisie sur le dossier agricole, un des points importants des négociations qui vont s’ouvrir dans le cadre du nouveau statut de la Tunisie, vont beaucoup dépendre de la réforme qui sera adoptée concernant la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne, politique fondée sur le contrôle des prix agricoles et des subventions servies aux agriculteurs au sein de l’espace européen.
Réfléchir en termes d’agroalimentaire
En clair: cette réforme peut favoriser des avantages comme elle peut dresser des barrières. L’agriculture tunisienne devra toutefois balayer devant chez elle. Dans la mesure où ses indicateurs ne semblent pas refléter un vécu avantageux: un investissement de l’ordre de 10% dans la masse globale des investissements réalisés dans le pays, 50% des investissements sont réalisés par le secteur privé et les terres arables constituent 1/3 des terres et seulement 8% de celles-ci sont irriguées.
D’autres indicateurs seront apportés par des interventions dans le débat. Intervention remarquée de Marouane Abassi, consultant international, qui a mis en évidence la nécessité de réfléchir en termes d’agroalimentaire et non pas en termes d’agriculture, la première activité comporte plus d’opportunités et est plus créatrice de valeurs que la seconde. Et le consultant de ne pas occulter les difficultés. Il en cite deux: les problèmes fonciers (80% des actes de propriétés sont gelés dans la région du Kef, dans le nord-ouest de la Tunisie) et l’importance de l’agriculture à sec qui rend le rendu de la terre très faible.
Autre intervention remarquée, dans les débats, de Mustapha Mezghani, universitaire et consultant international qui a regretté un échange inégal avec l’Europe. Un échange inégal dû à un manque au niveau de la mobilité, qui a occupé une partie des débats. Pour Mustapha Mezghani, la libre circulation des hommes dans les espaces d’échange doit en effet favoriser celle non seulement des hommes d’affaires, comme aujourd’hui, mais aussi, demain, ceux des prestataires de service. «Sinon, les Français, par exemple, pourront faire de la prestation de service et les Tunisiens non!», avance-t-il. Avec force.