L’émission à vocation sociale Al Hakika, diffusée chaque mercredi soir sur la chaîne privée Hannibal, nous a gratifiés cette semaine d’un reportage poignant sur Henchir Sidi Abdallah, un douar de terres planes, situé à 30 km de la délégation Sbeitla (gouvernorat de Kasserine). Le reporter s’est employé à montrer, à travers plusieurs tableaux émouvants de la vie quotidienne de ce douar, la précarité dans laquelle vivent ses habitants tandis que l’animatrice de l’émission, Imen Madahi, a débattu avec ses invités des obstacles naturels, humains et institutionnels à l’origine du sous-développement de cette localité qui ne serait qu’un cas parmi des milliers de douars répartis sur tout le territoire du pays.
Le tableau est sans appel: les femmes, enfants et hommes qui habitent ce douar vivent dans une extrême pauvreté et sont privés de toutes les commodités de vie minimale. Le douar n’est pas alimenté en eau potable. Ses habitants boivent une eau pluviale insalubre retenue dans des citernes domestiques ne présentant aucune garantie d’hygiène. Le henchir n’est pas doté d’un dispensaire. Les enfants scolarisés font, chaque jour, 7 à 8 km pour se rendre à l’école et la même distance pour rentrer, la plupart du temps dans des conditions d’insécurité totale.
Pendant les saisons de pluie, et leur corolaire les crues d’oueds, les écoliers restent à la maison. A défaut de maintenance, l’école est, elle-même, dans un état lamentable. Elle est démunie de chauffage. Les vitres sont cassées. La crasse, partout.
A Henchir Sidi Abdallah, tout le monde est au chômage. Les seules animatrices du Henchir sont les femmes. Elles passent leur temps soit à ramasser du bois mort pour le chauffage, soit à préparer le pain traditionnel (tabouna).
Interrogés sur leurs revendications, les habitants du henchir réclament, dans l’ordre, une école, un dispensaire, le forage d’un puits dédié à l’alimentation du Henchir en eau potable et à l’irrigation (la terre de cette contrée serait d’une excellente qualité), et l’accès aux services à travers le bitumage de la piste les reliant à Sbeitla. Voilà pour le reportage.
S’agissant du débat qui était d’une excellente facture, il a porté sur la responsabilité des gouverneurs, délégués et omdas qui se sont succédé depuis l’accès du pays à l’indépendance dans le maintien de la communauté de Henchir Sidi Abdallah dans cette situation d’extrême indigence.
Les choses semblent perdurer après la révolution. Car deux ans après, le 14 janvier 2011, rien n’a été fait pour ce Henchir.
Interpellé sur ce dossier, le directeur général de l’Office de développement du centre-est et le délégué de Sbeitla ont imputé la pauvreté de ce douar non pas à la non disponibilité de fonds dans la mesure où le budget de développement (1,5 MDT) affecté à la délégation pour 2012 n’a été dépensé qu’à un très faible taux (moins de 10%) mais à la complexité des procédures administratives. Et pourtant, les besoins de Henchir Sidi Abdallah étaient faciles à financer et à satisfaire et ne nécessitaient ni procédures ni études.
Pour mémoire, ce sont-là les mêmes explications que donnaient ces mêmes responsables sous le régime Ben Ali. Car, pour l’histoire, les régions de l’ouest ont bénéficié, au temps de Ben Ali, d’importants fonds mais ces fonds n’ont jamais été dépensés à bon escient et au moment opportun en raison de l’incompétence manifeste des fonctionnaires d’exécution dans ces régions et de leur tendance fâcheuse à les utiliser à des fins de propagande politique en faveur du parti au pouvoir à l’époque.
Conséquence : au regard de l’extrême pauvreté de contrées, comme Henchir Sidi Abdallah, et de l’absence criarde d’intervention institutionnelle, tout indique que l’appauvrissement -nous disons bien appauvrissement- de ces milliers de communautés rurales laissées pour compte est, le moins qu’on puisse dire, délibéré, commandité et entretenu par les pouvoirs locaux et régionaux.
Emboîtant le pas à leurs prédécesseurs, les nahdhaouis au pouvoir n’ont pas fait mieux. Ils sont en train de suivre la même méthodologie. D’ailleurs, il n’est nullement exclu qu’ils aient fait exprès de ne pas dépenser le budget de développement pour pouvoir en disposer, ultérieurement, à des fins électoralistes et propagandistes. C’est scandaleux.