Le jour de l’An est un jour comme un autre. Il a été juste un peu plus chaleureux, plus sucré ou arrosé. Les Tunisiens l’ont fêté avec des gâteaux et des poulets rôtis, des soirées en famille et des sorties entre amis. Ils ont oublié, le temps d’une soirée, la morosité ambiante et la crise économique qui plombent leur moral et couffin.
2012 passe la main à 2013. Qu’emporte-t-il avec lui? Des promesses? Si peu! D’abord, car à force d’en avoir distribué depuis deux ans, plus personne n’ose franchement se hasarder à en promettre davantage, du moins pour le moment !
La dignité, le travail et la justice tels que scandés durant pareils jours dans diverses villes du pays, il y a de cela à peine deux ans, sonnent comme des mots creux. Un vieux rêve que l’on caresse avec plus ou moins de l’amertume. Car depuis les élections, personne ne parle et ne sait parler au peuple.
Celui-ci reste juste bon à faire gagner des élections. Et rien qu’à voir comment s’adressent à lui les leaders d’opinion, les politiques et les autorités démontre toute la haute opinion qu’ils ont de lui et de leur mission. Les messages à travers presque tous les canaux sont brouillés et brouillons. Dans la cacophonie ambiante et la violence verbale régnante où se mêlent les insultes aux sarcasmes et autres inepties, tous les discours sont inaudibles et sonnent comme des menaces.
Des menaces de jours pénibles à vivre et qui se vérifient. Des menaces d’un gouvernement qui plombe, offense autant qu’il s’enfonce et dont on attend un remaniement depuis juillet 2012. Des menaces d’une Assemblée constituante qui n’a pas réussi à honorer son engagement premier, celui de rédiger la Constitution.
Mais les Tunisiens sont de moins en moins crédules. Ils savent désormais que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Or, à force d’y avoir cru, ils sont désabusés, mais bien que dupés, ils mènent leur bout de chemin dans la vie de tous les jours qui n’est plus facile à affronter. Ils observent, critiquent, militent, résistent, insultent, se défendent se débrouillent, subissent, pâtissent souffrent… Car désormais, il est encore plus difficile d’avoir à faire à l’administration, de trouver un ouvrier qualifié ou pas, de trouver du boulot ou un taxi, de s’arrêter à un feu rouge, de faire son marché ou de payer sa facture d’électricité… Echapper à la corruption et aux violeurs et autres joueurs des lois est un miracle.
Bref, les gestes les plus communs et anodins de la vie courante prennent l’allure d’un parcours du combattant; un calvaire.
Les villages et les quartiers se délabrent. L’image du pays à l’international pâlit. Le goût du gâchis devient de plus en plus amer et le quotidien lourd. Alors que les villes sont plongées dans le noir pour cause d’éclairage défectueux, les routes sont impraticables, la sécurité aléatoire, les hôpitaux plombés de monde, les poubelles bondées. Et à quelques jours du 14 janvier 2013, les Tunisiens sont amorphes. Leur préoccupation essentielle est de faire face à la hausse des prix qu’ils ne peuvent plus supporter.
A part leur survie, que veulent les Tunisiens pour 2013? Faut-il être devin pour l’imaginer? Des valeurs, du boulot, de l’espoir, des touristes, de la paix, du dialogue, de la sérénité, de la justice, de la dignité, de la reconnaissance… Ils veulent manger, travailler, boire , avoir chaud et se faire soigner…
Ils ne peuvent réclamer une feuille de route. Celle-ci n’est pas encore tracée. Ils veulent un «Destour», celui-ci est encore un brouillon et qui fait craindre le pire. Ils veulent des élections. Celles-ci leur apporteront la prospérité mais ils ont du mal à y croire. Découragés par deux ans d’attente, certains d’entre eux tiennent encore à ce que les promesses qui ont été faites avant le 23 octobre soient concrétisées sur le terrain.
Mais de quelles promesses s’agit-il? Celle d’un Rached Ghannouchi qui a promis que la Tunisie sera la Suisse en un an? Celle d’un pays où les choses vont aller beaucoup mieux au bout de 6 mois comme l’a déclaré Moncef Marzouki. Ou encore celle des 400.000 emplois de Bhiri? A moins que cela ne soit celles des promesses d’un Etat civil, d’un CSP auquel on ne touchera pas et d’un processus démocratique à bâtir en respectant toutes les diversités et minorités.
En fait, alors que l’ANC continue son solo, que le gouvernement s’embourbe dans un remaniement attendu depuis juillet 2012, et éclaboussé par des scandales et que la présidence de la République est malmené par un jeu qu’elle ne maîtrise pas, les Tunisiens veulent des trottoirs sur lesquels ils peuvent marcher en paix, de salles de cinéma et des hôpitaux dans toutes les villes; ils veulent se faire soigner et réclament des vitres dans les écoles pour protéger les petits des vents et du froid … Ils aspirent à un pays où le kilo de poivrons n’est pas à 3 dinars et où il ne faut pas avoir des relations privilégiées pour obtenir un berlingot de lait!
Alors qu’ils prennent connaissance des effets pervers de la société de consommation, du long chemin qu’ils vont devoir traverser, les Tunisiens prennent conscience des limites des promesses qui leur ont été faites. Ils savent surtout que celles-ci ne s’effaceront hélas peut-être qu’avec d’autres… promesses …
Sauf que cette fois-ci, ils ne croient plus en personne… Pire, ils ne croient même plus en eux-mêmes!