Le 31/12/2012 plus d’une centaine d’embarcations ont quitté le port de pêche de Kraten, sur l’île de Kerkennah, avec à leur bord plus de 600 marins-pêcheurs et leurs familles, en direction des eaux territoriales italiennes en guise de protestation faute d’écoute et d’entraide.
Loin d’être isolés, ces cas de «fuite» du pays se répètent. Ils reflètent un mal de vivre qui fait repartir aussi ceux qui sont revenus au bercail au lendemain de la «révolution» en espérant y construire un pays et un avenir meilleur.
A la fuite des cerveaux se rajoute la fuite des déçus de la révolution et des milliers de jeunes qui continuent à se jeter dans la mer à bord d’embarcations de fortune pour un rendez-vous avec la mort. Une sorte de fuite-suicide collectif.
Bien que classiquement on parle davantage de la fuite des capitaux, des IDE et des entreprises, l’évaporation des idéaux et des rêves est un tout autre enjeu. Car ce sont eux qui poussent à bâtir et apportent l’innovation et la créativité des populations quand elles reprennent leurs destins en main. Or, faute d’espoirs, c’est la misère qui s’installe et avance avec son lot de faims des ventres et des esprits.
Lorsque la peur revient ou que l’on cherche à la réinstaller, lorsque la perte de la reconnaissance devient un cauchemar que l’on descelle dans les yeux des révolutionnaires du bassin minier de Redeyef, et des blessés de la révolution, c’est une fuite du temps et ce n’est pas en fuyant l’Histoire ou en s’en accaparant une partie au détriment d’une autre que l’on peut écrire un avenir pour tous.
Ces signes ne trompent pas. Ils portent en eux la preuve d’une grosse partie de l’échec, espérons momentané, qui secoue la Tunisie actuellement. L’échec des gouvernants actuels, la fragilisation des institutions qu’on laisse se fracasser, les limites d’un leadership arrogant et la défaillance au pouvoir ne parviennent ni à rassurer ni à fédérer et ne sachant pas encore reconstruire ou quoi bâtir. Une sorte de fuite en avant.
La société civile tunisienne résiste et s’épuise mais ne lâche pas. Elle aiguise ses armes et œuvre à faire évoluer les mentalités. Sauf que la question est celle de savoir jusqu’à quand le pays résistera à tant de haine, de marginalisation, d’instrumentalisation, de médiocrité, de division.
En l’absence de véritables forces démocratiques et solides pour supporter ou porter un véritable projet commun, rien ne peut se garantir. La lutte pour le pouvoir est de bonne guerre, mais quand le prix à payer est celui de la cohésion d’une nation, cela devient trop cher payé!
La Tunisie vit une étape très délicate car le projet des islamistes, principalement, est de faire durer cette phase. En faire une étape finale. Or, les forces vives du pays font pression pour aller vers l’essentiel: les prochaines élections! La période est délicate, car pour la prochaine étape, qui est réellement prêt?
En attendant, il est inutile de revenir sur le spectaculaire départ de milliers d’habitants de Kasserine au lendemain de tirs à la chevrotine autant qu’inutile de mentionner les centaines de familles qui sont partis demander l’exil à l’Algérie voisine en voulant se sortir de l’enfer de la pauvreté, du froid, du chômage et de la propagation des maladies… Des options qui allient finesse et pacifisme faisant preuve de grandeur d’un geste qui a le poids d’une gifle envers une gouvernance et une opposition qui peinent à les entendre ne sachant pas écouter.
Il est aussi inutile de parler de cette Tunisie du Sud qui ne vit et survit que grâce à tous les «business» possibles avec la Libye voisine. Des régions qui se considèrent un peu «trop libyennes» depuis des années! Cette Tunisie de la misère qui se débrouille avec le travail d’un jour ou le commerce de la «contra» c’est la preuve que l’indigence, même si elle évolue grandement en désespérance…, n’explose pas encore. Pourtant, la bombe est là.
A l’heure où la Tunisie du lendemain du 14 janvier 2011 avait ouvert les bras pour recueillir plus d’un million de réfugiés de la Libye voisine, à l’heure où elle a accueilli ses enfants forcés à l‘exil, voici venu le temps d’un pays qui fait fuir. Un pays qui inspire la crainte, sème le doute pour tous ceux qui s’opposent au désordre qui y règne, à l’ambiance délétère et violente qui s’y installe, aux discours haineux et aux appels faussement courtois au dialogue, aux promesses non tenues, aux démantèlements des réseaux… Mais jusqu’à quand?