Voici un déroulé en accéléré des deux ans de la Révolution du 14 janvier. Celle-ci a permis de grandes conquêtes au niveau des libertés fondamentales. Mais aussi une division dans l’opinion. Et de nouvelles attitudes et comportements. Et il est urgent que l’on opère des changements.
De vraies conquêtes au niveau des libertés fondamentales. La réalité ne peut être démentie par qui que ce soit. Nouveaux partis politiques (environ une centaine), nouvelles associations (pas moins de 14.000 associations), nouvelles chaînes de radio (12) et de télévisions (5), nouvelles publications (une trentaine)… Les faits sont là. Et ils sont têtus.
Mais aussi et surtout une vraie liberté de ton dans l’espace public. On se retourne plus comme avant pour donner son avis et crier son désaveu ou sa colère. Et puis, on n’est plus épié pour ses faits et gestes encore moins pour ses propos.
En somme, une vraie chape de plomb a fini par disparaître. Espérons qu’elle le sera à tout jamais. Car, rien de sérieux ne peut être entrepris en l’absence de liberté. Mais n’a-t-on pas quelquefois dépassé les bornes? N’a-t-on pas quelquefois fait un mauvais usage de la liberté pour faire n’importe quoi?
N’a-t-on pas désacralisé l’Etat et tourné en ridicule nombre d’autorités sans le respect desquels il n’y a pas de morale et de dignité? La question mérite d’être posée lorsqu’on voit tel ou tel personnage au sommet de l’Etat traité de ceci ou de cela. Ou encore un haut responsable insulté et «dégagé» violement.
Que vont penser de nous ceux qui nous jugeront? Il n’y a pas, on le sait, plus dur que le jugement de l’Histoire. Et que penseront de l’Etat et de ses institutions ceux qui ont regardé ces images à la télévision par exemple? Entre autres notre descendance?
«Après moi le déluge !»
Et puis, n’y a-t-il pas exagération et surenchère de la part de pans entiers de la société? Que penser de ces revendications qui n’ont qu’une seule préoccupation: «Après moi le déluge!». Des employés qui souhaitent être augmentés quels que soient la santé de l’entreprise, ses marchés, la conjoncture? Des sit-in qui veulent la pluie et le beau temps. Et tout de suite. Il faut dire que le concept «Tawa» (maintenant) a fait, au travers de nombreux spots de télévision, son petit bonhomme de chemin. Même si on peut comprendre les exaspérations des uns et des autres comme leur colère et leur lassitude, découragement et même leur impatience et pessimisme.
Le déroulé en accéléré des deux années qui nous séparent du 14 janvier 2011 nous permet de dire que cela a ressemblé quelquefois au «Gaabaji», entendez, et le terme a la même consonance en français, de la gabegie.
Et nous sommes sur ce terrain allés peut-être un peu bien loin. Comme au niveau de l’insécurité qui s’est installée dans bien de nos villes et campagnes. La peur a gagé du terrain parce que certains ont cru qu’ils sont capables de faire ce qu’ils veulent.
Insécurité, mais aussi et les deux choses ont un lien entre elles, cherté de la vie. Des commerçants ont cru bon qu’ils pouvaient faire à leur tête en nourrissant une véritable valse des étiquettes. Il faut dire que les matières premières ont augmenté et la main-d’œuvre s’est faite plus exigeante.
Il faut dire que les événements de Libye ont favorisé une réelle contrebande. Même des produits importés et largement compensés fuient à travers la frontière de l’Est. Un haut responsable a reconnu récemment que cette contrebande est le fait de criminels qui ont de gros moyens et des circuits bien huilés. Mais ne faut-il pas dire que trop c’est trop!
Il ne s’agit pas là aussi d’être négatif, surtout pas négativiste, mais il faut dire que certains ont repris en toute apparence ce crédo des révolutionnaires, anarchistes pour l’essentiel, de la révolte de mai 1968, en France, qui dit qu’«Il est interdit d’interdire». En fait, et répétons-le, malheureusement, pour certains du moins tout est permis !
Sur le terrain politique, la principale conclusion est que la société tunisienne est divisée ou plutôt a été divisée. Il y a les religieux ou du moins les croyants et les laïcs. Il y a les Nahdaouis et leurs alliés d’un côté et les Anti-Nahdaouis et leurs alliés de l’autre. Ce qui n’est pas sans rappeler des pages sombres de notre histoire. Entre les «Husseinites» et les «Pachistes», entre les descendants d’Hussein Ben Ali, qui a instauré la dynastie des Husseinites en 1705, et ceux de son neveu Ali Pacha, qui renverse son propre oncle en 1735 après avoir obtenu l’aide du Dey d’Alger. Hussein Ben Ali est décapité par Younes Bey, le fils d’Ali Pacha. Mais retournement de l’histoire lorsque le fils de Hussein Ben Ali, Mohamed Rachid Bey, prend sa revanche et reprend le pouvoir en 1735. Le pays vit à l’heure des troubles, une grande insécurité et des morts.
Un coup de grâce
Deuxième période difficile de notre histoire, mais plus proche de nous, le conflit entre les «Bourguibistes» et les «Youssefistes». Un désaccord sur les termes de l’indépendance du pays en 1955 fait éclater un conflit qui n’a pas épargné des vies humaines. Ce conflit, qui oppose les frères d’hier ayant combattu ensemble pour l’indépendance du pays, va durer bien au-delà de l’assassinat de Salah Ben Youssef, en 1961. Là aussi, il y a des morts. Et les plaies sont encore ouvertes aujourd’hui.
Les Tunisiens espèrent que la division d’aujourd’hui n’ira pas loin. Elle a fait déjà un mort: Lotfi Naqdh, à Tataouine, en octobre 2012. La mort de Lotfi Naqhd restera un moment de grade violence. Comme l’attaque de l’ambassade américaine de Tunisie, le 14 septembre 2012. Ou encore la mort en prison, suite à une grève de la faim, de deux jeunes Tunisiens: Béchir Gholli et Mohamed Bakhti, en novembre 2012.
Et que d’occasions ratées pour se rapprocher de l’autre, de faire montre d’empathie, de mettre en application le crédo qu’on avance ici et là: la Tunisie au-dessus de tout. Et des événements douloureux qui se produisent alors que l’économie est pour ainsi dire en berne: creusement et cumul des déficits dont celui dit public (6,6%), chômage à 17,6%, taux d’inflation à 5,5%… Une situation, empressons-nous de le dire, que certains veulent rendre responsable le seul gouvernement.
Mais où allons-nous? Un gouvernement en bute à un contexte économique mondial des plus difficiles fait notamment d’une récession qui frappe nos voisins du Nord avec lesquels nous commerçons à hauteur de 80%. Et ce n’est pas le défendre que de dire qu’il est en bute aussi à des revendications souvent violentes (destructions et incendies d’équipements, arrêts de travail, coupures de routes,…) qui ne facilitent pas les choses pour le climat des affaires.
Un gouvernement qu’il ne s’agit pas néanmoins de justifier tout ce qu’il fait. Il a commis des erreurs d’appréciation. Il fait lui-même l’objet de tiraillements dans son propre camp, ou si on résonne «Troïka» dans ses propres camps. La complexité de la situation, l’inexpérience du pouvoir et la décapitation de certaines administrations, qui ont perdu des cadres par des «dégagistes» qui n’ont pas, notamment aux premières heures de la Révolution, toujours agi pour la bonne cause, ont fait le reste.
Et que dire de ces changements opérés dans les attitudes et les comportements de nombre de Tunisiens qui ont été gagnés par le farniente et par la mentalité d’assisté. Ou encore par la propension toujours pour certains d’être très bien payés, de préférence dans une entité publique, et de faire le moins d’effort possible. Voire de ne faire aucun effort.
A dire que le pays peut avancer s’il se lance sur pareilles pistes. Nombreuses valeurs ont pris de ce fait un sacré coup de poing. Voire de grâce. Des mentalités qui ont été construites par tant d’efforts au tour de valeurs comme le travail, l’abnégation et la discipline souffrent de nos jours d’un grand manque de crédits. Et cette recrudescence de la consommation de drogues. Qui peut être fatale pour une partie de notre jeunesse.
Encore un mot et si des médias et les réseaux sociaux, vecteurs de cette liberté chèrement acquise –il ne s’agit pas évidement de généraliser-, sont en partie responsables. Là aussi les remises en cause, les interrogations sont toujours nécessaires. Mais pas les seuls médias et réseaux sociaux, car la responsabilité n’est jamais d’un seul côté. Se remettre en cause, c’est souvent une nécessité pour accomplir le sursaut salvateur. Notre pays, et ce n’est pas là un vœu pieux, doit et a les moyens de se relever au plus vite.
Puisse l’an III de la Révolution tunisienne nous assurer un meilleur quotidien.
A bon entendeur salut !