Que restera t-il de tunisien de la Banque de Tunisie (BT) ? Fondée le 23 septembre 1884, la Banque de Tunisie est l’une des rares banques en Afrique à compter plus de 128 années d’existence. Cette culture et tradition bancaire africaine va disparaître au profit d’une culture européenne celle de la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM, France), qui détenait depuis longtemps déjà, 20% du capital de la BT. Les 13% représentant la part de l’Etat tunisien vont revenir à la BFCM. De ce fait, la BFCM devient détentrice de 33% du capital de la BT.
Cette opération relance le débat en Tunisie sur la nécessité ou pas d’ouvrir les banques tunisiennes aux capitaux étrangers. Vue la particularité du secteur d’activité et vue sa sensibilité systémique, le patriotisme économique ne serait-il pas de mise?
Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Certains travaux académiques suggèrent plutôt que de brader les institutions financières nationales, il faut leur donner les moyens au plan domestique (acquisitions nationales) afin de servir l’urgence du développement et de l’emploi en tant que moteur de la croissance.
Dans le cas de la Tunisie, certains considérèrent que la STB devrait devenir une Banque Nationale d’Investissements avec des succursales des sortes de SDR (Société régionales de développement)[1]. La BNA doit redevenir Crédit Agricole et il serait heureux de relancer les activités de la Banque de Solidarité sur un modèle moins politique qu’elle l’était sous l’ancien régime mais avec les moyens d’action auprès des TPE (Très petites entreprises) et des créateurs d’entreprises.
Il importe de veiller à la mise en place d’institutions spécialisées sans lesquelles les priorités économiques et surtout sociales du pays ne peuvent trouver de solutions chez les banques commerciales privées a fortiori si celles-ci sont vendues à des étrangers.
Cette note invite à une réflexion approfondie et urgente sur la question des restructurations bancaires en Tunisie. Il importe en effet de bien méditer le pour et le contre de l’ouverture du capital des banques tunisiennes aux capitaux étrangers car la conséquence en serait le Syndrome roumain c’est-à-dire l’affaiblissement de la souveraineté monétaire du pays.
I – Une participation étrangère importante dans les capitaux des banques tunisiennes
Les autorités tunisiennes ont cherché à encourager les investissements directs étrangers et le transfert de savoir-faire par l’implantation de banques étrangères sur leurs marchés domestiques. C’est ce qui explique une participation étrangère importante dans les capitaux des banques tunisiennes (tableau ci-dessous).
Face aux besoins de la clientèle (particulier et corporate), la Tunisie représente un marché attractif pour les banques étrangères.
En Tunisie l’architecture légale et réglementaire est très favorable aux banques étrangères. Les banques étrangères qui souhaiteraient investir et apporter une technologie moderne pourraient trouver des opportunités de partenariat avec les banques de la place.
De même, le programme de privatisation et de modernisation du secteur industriel tunisien procure des opportunités de croissance pour les banques étrangères dans les opérations d’ingénierie financière, de montage financier de grands projets et de conseil et assistance en matière de gestion de trésorerie et de fusions-acquisitions. Cette internationalisation des banques tunisiennes présente des avantages mais aussi des risques.
II – Les gains générés par l’entrée de banques étrangères sur un marché domestique
Les gains générés par l’entrée de banques étrangères sur un marché domestique ont été résumés dans plusieurs études de la Banque mondiale[2]. Ils portent principalement sur les trois éléments suivants.
– Accroissement de l’efficience du secteur bancaire domestique. La rentabilité s’améliore du fait d’une concurrence accrue. En effet, l’expérience montre que lorsqu’on ouvre le système bancaire local à la concurrence étrangère, les premières à profiter de cette ouverture sont les banques locales. L’entrée de ces banques favorise l’introduction de nouvelles technologies de gestion et d’innovations dans la conception des services. En conséquence, l’offre des services financiers devient diversifiée, ce qui réduit les coûts.
– Constitution d’un meilleur cadre légal et d’une meilleure supervision du secteur bancaire domestique. L’entrée de banques étrangères améliore la transparence et réduit le degré de vulnérabilité du secteur bancaire aux crises domestiques. La réduction de probabilité de crises bancaires dans un pays est l’un des principaux arguments avancés en faveur d’une ouverture du secteur bancaire local.
Au total, et sous certaines conditions de stabilité macroéconomique, la présence de banques étrangères permet de consolider le secteur bancaire du pays d’accueil. Cette hypothèse justifie un degré d’ouverture élevé du secteur bancaire national à une présence étrangère.
III – Les banques étrangères peuvent constituer une menace sérieuse pour les banques locales : le Syndrome roumain
Cependant, selon d’autres études empiriques[3], l’entrée des nouvelles banques dans le cadre d’une opération transfrontalière peut, dans certains cas, être désavantageuse aux banques locales. La rentabilité des banques locales diminue suite à l’entrée de banques étrangères. Les marges des banques étrangères sont en général supérieures à celles des banques domestiques dans les pays en développement. Par contre, l’inverse est valable dans les pays industrialisés. Ceci dit, les banques étrangères constituent une menace sérieuse pour les banques locales si elles n’arrivent pas à se mettre à niveau car leur entrée peut engendrer des coûts par les comportements suivants.
– Exclusion des financements ayant un caractère domestique prioritaire (agriculture, habitat, PME…) par les banques étrangères car leurs profils d’activités sont différents. Ce rationnement du crédit au secteur privé est basé sur des techniques très sophistiquées d’évaluation du risque de crédit. Elles sont basées sur du Benchmarking importé peu adapté au contexte d’économie en développement. Or, selon une étude publiée en 1997 par Ross Levine[4], ces financements font accélérer la croissance. De la sorte, les banques entrantes peuvent contribuer à un ralentissement de la croissance de l’économie domestique.
– Les canaux de transmission de la politique monétaire via le canal du crédit s’affaiblissent. La Banque centrale voit sa politique monétaire s’affaiblir et devenir moins efficiente. Les banques étrangères sont en effet plus à l’écoute de leur actionnariat basé dans les capitales étrangères que de la Banque centrale du pays d’accueil.
Les deux premiers problèmes évoqués constituent ce qu’on appellera le Syndrome Roumain. Une ouverture excessive du capital des banques domestiques aux banques étrangères peut conduire à un affaiblissement de leur résilience en cas de crise financière et à une réaction de repli des banques des maisons mères et donc à un affaiblissement de la souveraineté monétaire du pays.
– Prise de risque excessive par les banques locales du fait de la baisse de leur valeur de franchise suite à l’entrée de banques étrangères. Les banques locales financent alors des secteurs plus risqués. Les marchés les plus rentables sont écrémés par les banques étrangères proposant des services et produits plus avancés.
– Les autres menaces auxquelles doivent faire face les banques locales proviennent des banques étrangères dont la plupart disposent d’un personnel habitué à évoluer en économie libérale avec des capacités de management agressif importantes.
Conclusion
Il importe donc de bien méditer le pour et le contre de l’ouverture du capital des banques tunisiennes aux capitaux étrangers car la conséquence du Syndrome roumain serait l’affaiblissement de la souveraineté monétaire du pays.
De plus, vendre aujourd’hui le patrimoine monétaire du pays à l’étranger pour faire face à des dépenses d’urgence, il s’agit là d’une grande responsabilité qui engage largement le bien-être des générations futures.