D’abord, il y a les élections… Annoncées en mai, juin, juillet, octobre en 2012, en 2013, puis en 2014 voire en 2015…Ensuite, il y a le remaniement que l’on annonce depuis 4, 5, 6, 7 mois…
Entre les jongleries linguistiques des uns et les argumentaires acrobatiques des autres, on ne sait si finalement il y a un parti qui soit prêt à les affronter.
Les appels au dialogue et ceux à la haine se confondent. Ce leadership est-il digne d’un peuple dépité par un pouvoir à trois têtes qui s’embourbe et par une opposition qui patauge?
Ce n’est bien entendu pas le rythme des déclarations de candidatures à la présidentielle qui s’accélèrent qui va calmer les esprits. A ce jour, on compte Hamma Hammami, Hechmi El Hamdi, Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar et presque Béji Caïd Essebsi à la présidentielle bien que l’on soit encore dans l’attente du régime politique et électoral!
L’opposition et le pouvoir déçoivent. Les premiers peinent à se rassembler, et même s’ils y parviennent péniblement, quel est le réel étendard de leur voilure? A Kébili, à Nefza ou encore à Hajeb El Youn, quel est l’impact de cette coalition sans message clair, programme concret et déploiement sur le terrain?
Ceci dit, le bilan le plus lourd se trouve du côté d’Ennahdha qui s’embourbe dans la gestion de l’Etat et essaie de faire l’équilibriste au vu de la grogne populaire en tentant d’entraîner ses partenaires, les institutions et l’opposition dans son sillage.
Les islamistes au pouvoir ont désillusionné et ils le savent. Ils ont peur et ils le cachent. Ils ont déçu une partie des leurs. Mais ces derniers se désolidarisent-ils pour autant d’eux?
Après la phase de négociations pour le remaniement gouvernemental durant laquelle Ennahdha a essayé de rallier le plus de monde pour porter le trophée ou le fardeau, voici venu un autre temps pour la danse. Car depuis des mois, Ennahdha fait la pluie et le beau temps. Autant dire quasiment le pouvoir et l’opposition!
Les rares propos appelant Rached Ghannouchi (RG) à se retirer de la vie politique sont, nous dit-on, la preuve de la démocratie qui règne au sein du parti. Habib Ellouze -auteur des propos mentionnés précédemment- et ses acolytes ont désormais un regret et un seul, ne pas avoir un “destour“ qui se résume en la “Chariaâ“, Une rude bataille est engagée au sein de l’ANC et pareils propos sont la preuve d’un mouvement qui se libère (la question de la chariaâ avait été en principe tranchée par RG) et non se fracasse, comme seront tentés de le penser certains.
Le processus engagé au sein d’Ennahdha est sans nul doute la énième preuve d’un parti qui a un double discours. Si ce n’étaient leurs engagements à respecter l’Etat civil et garantir les acquis de la Tunisie en période pré-23 Octobre, Ennahdha aurait-il eu autant de voix? Aurait-il bénéficié d’autant de votes sanctions? Il est désormais trop tard car les promesses n’engagent que ceux qui les croient.
Ennahdha a bluffé son monde en faisant croire qu’il portait la voix de l’islam modéré. En gros, le parti a joué et continue de jouer sur tous les tableaux. Il passe du blanc au noir avec toutes les options du gris. Le mouvement a tout fait pour l’emporter, engageant une campagne tout terrain, des candidats dans chaque région et tribu, faisant des pactes et des alliances contre nature, jouant de la tactique la plus fine au profit d’un seul objectif, gagner les élections et -tout porte à le croire- garder le pouvoir. Rached Ghannouchi l’a dit la veille des résultats des élections d’octobre 2011: «Nous comptons gouverner longtemps, pas seulement une année!».
On dit souvent que les discours s’adaptent en fonction des cibles, des circonstances et des objectifs. Ennahdha a particulièrement aiguisé ce talent et répété la partition. Il sert tous les goûts, prend toutes les options, s’allie, rallie et semble dire “j’y suis j’y reste, avec ou sans vous!“.
Pour raccorder tous les sons dans une composition pas forcément audible ni harmonieuse mais dont il est le chef d’orchestre, Ennahdha sait céder. Il fait marche arrière et profil bas, rameute ses troupes et crée le problème pour donner la solution. Il recule quand il sent de la résistance et parie sur le manque de souffle, l’opportunisme ambiant et l’instant de ramollissement propice à son objectif.
A la fois docile et discipliné, démocratique et dictatorial, manipulateur et rebelle, rigide et souple…Ennahdha déplie le tapis devant l’opposition, les hommes d’affaires, les anciens barons, les figures incontournables, la pression sociale, la société civile… Mais aussi devant les radicaux, ses radicaux… Ici et là, on entend gronder ceux qui réclament la loi divine, l’installation de la Chariaâ, ceux qui se rallient à Hezb Etahrir, à Ansar El Chariia… Mais de façon plus générale ceux qui sont pour “Hokm rabbi“ contre des mécréants avec une toile de fond un référendum.
En attendant et en coulisse, la flamme révolutionnaire est alimentée par une autre partie des siens ou de ses cousins. Ceux qui forment ses troupes, ses partenaires, ses soutiens, ses “frères ennemis“ … Tous ceux qui ne peuvent ni partir ni rester. Ceux qui ne peuvent refuser de jouer la partition ou les pantins. Partir, c’est laisser le terrain à Ennahdha et s’exposer à tous les coups. Rester, c’est contribuer à un spectacle où la figuration pourrait être fatale.
A l’heure des élections…
Le grand bal des islamistes au pouvoir et à l’opposition s’adresse à tous et à toutes. Ils tentent d’expliquer au peuple que le sous-développement social est un lourd héritage. Ils précisent qu’il faudra du temps et de l’argent qu’ils ont du mal à trouver vu la crise qui est due au fait que des forces obscures lui mettent des bâtons dans les roues ou n’aiment pas le Qatar.
Le grand bal des islamistes au pouvoir s’adresse aux “religieux light“ et ceux qui le sont un peu moins en multipliant les coups de filets des prostituées et laissant faire la diabolisation des artistes et des médias.
Aux touristes, ils expliquent qu’ils sont les bienvenus mais laissent toute une industrie agoniser. Aux chancelleries européennes, ils assistent aux cocktails servis avec alcool. Aux femmes, ils garantissent qu’ils ne toucheront pas au Code du Statut Personnel (CSP) mais laissent s’installer la polygamie. Aux écoles, ils estiment ne pas toucher à la mixité mais laissent éclore des écoles coraniques pour endoctriner et formater les enfants…
Quand l’heure des élections aura enfin sonné, si jamais elle sonne, les islamistes auront infiltré tous les rouages de l’Etat et auront des soldats bien plantés pour assurer leur prochaine victoire. Entre temps, la société aura préempté de nouveaux comportements.
Qui pourra alors les affronter? Qui aura la force, les moyens et les muscles?