La sécurité n’est pas qu’armée ou policière, elle est aussi sociale, sanitaire, culturelle, juridique et bien entendu économique. C’est ce qui s’appelle une sécurité globale. Une thématique qui a été débattue samedi dernier lors d’un forum organisé par l’Association tunisienne des études stratégiques et des politiques de sécurité globale et la Fondation allemande Konrad Adenauer Siftung.
Confrontée à une extension de la menace djihadiste, la Tunisie qui a récupéré ses enfants rentrés de l’Afghanistan et du Pakistan, après la prétendue «Révolution du Jasmin et le Printemps arabe» se doit de mettre au plus tôt une stratégie qui puisse préserver ses équilibres sécuritaires, socioéconomiques et politiques. Les derniers événements perpétrés en Algérie ont choqué l’opinion publique tunisienne, surprise de découvrir 11 terroristes «compatriotes» parmi les assaillants de la base pétrolière In Amenas.
«Nous sommes confrontés à la modestie de nos moyens, d’où l’importance de la dimension géostratégique pour nous. Nous ne pouvons faire la course vers l’armement, donc il est impératif pour nous de constituer un front patriotique national fort», explique Noureddine Naifar, professeur à l’Université Tunis El Manar et intervenant lors du colloque.
En fait, la sécurité globale de la Tunisie, outre les facteurs internes, doit être appréhendée dans sa dimension régionale, entendons bien maghrébine et africaine. Ce qui ne se fera pas du jour au lendemain, car aucune convention de défense commune n’a été mise en application malgré les menaces sécuritaires grandissantes au niveau du triangle frontalier Algérie-Tunisie-Libye, en présence des mouvements de groupes terroristes.
Les puissances mondiales, elles, ont décidé d’exporter leurs guerres contre le djihadisme en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Elles ne livrent pas la guerre contre l’extrémisme religieux mais se livrent une guerre via peuples et pays interposés pour préserver leurs intérêts vitaux et assurer leurs approvisionnements en ressources énergétiques.
Ce n’est pas important si la Tunisie est renvoyée au Moyen-âge, si la Libye est fragmentée, ou si au Mali on extermine les populations, qu’à cela ne tienne, aussi bien la Tunisie, la Libye que le Mali seront des dommages collatéraux… Les mouvements et partis religieux, eux, trouvent leur compte en s’intégrant dans les politiques occidentales de mainmise économique pourvu qu’ils restent au pouvoir. Pour eux, les Etats sont des «bida’a», soit une hérésie. Raser les anciens régimes et démanteler les institutions représentent, par conséquent, une manne pour eux et qui plus est bénite par les grandes puissances. Ce qu’ils veulent, c’est leur oumma, quitte à tout extraire et tout reconstruire selon leurs vœux…
L’ex-secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a tout récemment déclaré que «la chute des régimes dans les pays d’Afrique du Nord a conduit à un état de confusion et de manque sécuritaire ainsi que la propagation de l’extrémisme armé». Elle a fait savoir que «le printemps arabe a donné le pouvoir à des dirigeants sans expérience politique ni dans la gestion de l’Etat».
Son constat arrive hélas trop tard… Hillary Clinton a promis également aux Arabes du Golfe de la chariaâ pour du pétrole, c’était avant le fameux discours Obama au Caire en 2009.
Rappelons en passant qu’en Serbie, c’était “la révolution du velours“, en Géorgie, c’était “la révolution des roses“, en Ukraine, “la révolution Orange“ et au Kirghizstan, “la révolution des Tulipes“. A chaque fois, c’était le même scénario orchestré par la CIA, ses acolytes sur place et des opposants en herbe, pour des élections truquées et des campagnes de communication dignes de Hollywood. Les pouvoirs en place qui n’étaient pas les meilleurs du monde réagissaient en cédant…
En Tunisie, c’était quoi déjà? “La révolution du Jasmin“, une similitude au moins, celle des appellations. Et dans un pays où les crises socioéconomiques se succèdent depuis 2008, conjuguées à la perte des repères identitaires, il n’y a pas plus facile que de lancer des cris de guerre et d’appeler à la chute d’un régime totalitaire…
Quid de la sécurité culturelle?
Parmi les plus grands torts causés par Ben Ali au peuple tunisien, et au-delà des actes de malversations, de passe-droits ou autres détournements institutionnalisés des deniers publics, chose qu’il faut démystifier car elle n’est pas propre à la Tunisie, figurent en haut du pavé la destruction des repères identitaires du Tunisien moyen, la disparition des activités et réalisations culturelles de qualité et la standardisation des cursus de l’enseignement en les surchargeant et en éliminant les filières professionnelles et techniques.
On se demande tout le temps pourquoi il n’existe pas un jeune leadership éveillé en Tunisie. La réponse est simple: ce leadership a été sacrifié à une pseudo-sécurité politique fragile puisque le régime Ben Ali s’est effondré de lui-même et avec une facilité intrigante… sur laquelle nous devrions nous poser plus de questions…
Ben Ali a empêché la création d’un leadership au sein des universités en y plaçant des postes de police et des vigiles et en empêchant le développement d’une dynamique intellectuelle, et d’une réflexion profonde et indépendante chez les jeunes étudiants. Ben Ali a privé les jeunes d’une véritable participation à la vie politique et socioéconomique de leurs pays, il les a empêchés de s’impliquer dans le devenir de la Tunisie et de sentir au plus profond, de même d’une appartenance à une entité culturelle et identitaire appelée Ifriqiya.
Ben Ali a changé l’échelle de valeurs d’une société conservatrice culturellement mais historiquement ouverte et tolérante. Il a remplacé la valorisation par les diplômes et la consistance intellectuelle par la valorisation par le statut social, la richesse et l’argent. Et qu’importe les canaux par lesquels on devient riche, l’essentiel est de conduire une belle voiture et d’arborer de beaux habits. Ceux qui ne pouvaient se prévaloir ainsi, fragilisés par leurs conditions sociales et la limite de leurs moyens, perdaient peu à peu l’estime d’eux-mêmes et se réfugiaient dans l’extrémisme religieux qui leur offrait le moyen de retrouver cette estime d’eux ou dans la débauche pour oublier ce qu’ils sont…
Ce sont des générations de jeunes tunisiens qui ont été sacrifiées aux appétits politiques et à la bêtise intellectuelle d’un président formé à être un homme de renseignement plutôt qu’à être un homme d’Etat.
Et aujourd’hui, la situation ne s’améliore pas avec des écoles coraniques à la pakistanaise dans nombre de mosquées, des jardins d’enfants dirigés par des illuminés et où on exige le port du voile à des petites filles qui n’ont même pas 6 ans et où les actes de vandalisme à l’encontre des zaouias et les marabouts deviennent monnaie courante.
Mais il n’y a pas que la culture et l’enseignement qui ont été fragilisés par Ben Ali, la justice aussi.
De la sécurité juridique et économique
Comment appréhender la sécurité juridique? Seule garante des droits des uns et des autres dans un pays où la Constitution est en cours d’écriture, et lorsque le parquet dépend toujours du ministre de la Justice. La révolution, au lieu d’apporter plus d’indépendance aux juges et magistrats, les a rendus encore plus vulnérables, plus dépendants et plus frileux. Et quoiqu’on veuille le faire croire, congédier des magistrats par dizaines sous prétexte qu’ils sont corrompus, couvrir l’opération par une grande publicité et entourer les enquêtes les mettant en cause du plus grand secret vise en premier lieu l’intimidation du corps magistral et sa déstabilisation.
C’est ce que n’ont pas cessé de dire et de répéter aussi bien l’association que le syndicat des magistrats. Cerise sur le gâteau, une chambre d’accusation, la numéro 13 qui a fait couler pas mal d’encre ces derniers temps.
De la sécurité juridique dépend également la sécurité économique plus que jamais d’actualité aujourd’hui en Tunisie. La justice pour tous veut dire la préservation des intérêts des uns et des autres soumis aux mêmes règles et sans aucune forme de discrimination, intéressée ou d’ordre partisan.
La sécurité économique se traduit également par l’apport de réponses concrètes aux besoins vitaux de la population, tels l’emploi, la nourriture, le logement et l’accès aux soins de santé et à l’éducation. La sécurité économique est également une expertise, une maîtrise des rouages de l’Etat et un savoir-faire en matière de choix économiques. Est-ce le cas aujourd’hui?
Aujourd’hui, les prêts contractés à l’international servent plus à couvrir les dépenses courantes du pays qu’à financer des activités et projets structurants créateurs de richesses et générateurs d’emplois.
Embourbés dans des problématiques d’ordre purement politique, le gouvernement n’arrive pas à mettre en place une politique apte à protéger et promouvoir les intérêts économiques stratégiques du pays. Pire, il n’arrive pas à solutionner les problèmes immédiats, tels la lutte contre la contrebande et l’économie parallèle, le contrôle des prix et à freiner l’inflation. Les hésitations des gouvernants, leur manque d’assurance et leur incapacité à mettre un terme aux débordements sécuritaires, ne peuvent pas œuvrer pour la réalisation de la sécurité économique car ils ne rassurent pas les investisseurs domestiques et encore moins étrangers.
Est-ce à dire qu’il n’y a plus d’alternative et que la Tunisie est condamnée à l’effondrement?
Il existe toujours des issues à condition que le gouvernement s’ouvre sur les expertises et fasse confiance à son administration au lieu d’écarter les compétences pour les remplacer par les fidèles.
Il faut avoir le courage ou plutôt la volonté politique de lancer des messages de réconciliation nationale et mettre fin à ces vagues de haine et ces délires soigneusement entretenues par les troupes de partis tels le CPR ou Al Wafa qui n’ont pour seul programme que les représailles.
Il faut que le gouvernement redonne de l’espoir aux différentes catégories sociales de la Tunisie, aux opérateurs économiques domestiques et à l’international.
Il faut qu’il puisse susciter du rêve chez les jeunes et les rassurer quant au respect de leur mode de vie. En un mot, il faut que ce gouvernement soit celui de tous les Tunisiens et non celui d’Ennahdha.
Y réussira-t-il? C’est le plus grand défi auquel doit faire face le gouvernement Jebali pour assurer sa propre survie et la sécurité globale de la Tunisie. Grand temps pour qu’il fasse le choix de la Tunisie plutôt que de ses partisans.