épression de la cybercriminalité, en février 2011 à Dijon (Photo : Jeff Pachoud) |
[28/01/2013 08:11:26] FORT DE ROSNY-SOUS-BOIS (AFP) “Je m’appelle Isabelle, j’ai 12 ans”. Sur les forums NRJ ou SkyRock, le profil de cette fillette a un succès fou. Robert, 47 ans, ou encore Arthur, 62 ans, l’ont déjà contactée.
Seulement, dans la vraie vie, Isabelle s’appelle Cyril. Et il n’a pas vraiment 12 ans, mais plutôt 40. Il est même gendarme au Service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD) de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), une unité présente au 5e Forum international de la Cybersécurité qui s’ouvre lundi à Lille.
“Je suis chargé d’infiltrer les réseaux dans le but de trouver des auteurs d’atteintes sexuelles sur mineurs”, explique cet enquêteur qui depuis six mois a rejoint le département de répression des atteintes aux mineurs sur internet (RAMI).
La loi du 5 mars 2007, entrée en vigueur tardivement, en mars 2009, autorise policiers et gendarmes à “participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques” avec des pédophiles présumés.
A l’heure de la sortie des classes, Cyril s’installe donc devant son écran, en binôme avec un collègue. “On s’identifie sous des profils de mineurs sur des réseaux sociaux ou des forums”, raconte ce père de famille qui en quelques mois a peaufiné sa maîtrise du langage des “djeun’s” ou des coqueluches des ados, Justin Bieber ou Selena Gomez.
Pas question pour lui d’ignorer la danse du cheval du chanteur sud-coréen Psy, dont le clip “Gangnam Style” a fait un carton sur YouTube.
“Je sais exactement ce que regarde et mange une fillette de 12 ans, décrypte-t-il. On se tient à jour sur les derniers événements de la Star Ac’ ou les derniers films qui intéressent cette population.”
Plus d’une dizaine de “prédateurs” en 5 minutes
Le profil de la cible, très précis, est établi à l’avance et consigné sur une fiche: dans quelle école va-t-elle, que font ses parents, qu’aime-t-elle. Ainsi, en cas de problème ou d’absence, un nouveau cyberenquêteur peut reprendre le dossier, sans faire tomber la couverture.
“Malheureusement, témoigne le gendarme, il ne faut pas beaucoup de temps pour se faire alpaguer. Si je me branche sur un chat avec un profil de mineur, en moins de cinq minutes, je vais me faire appeler par 10, 15 ou 20 prédateurs”. “C’est incroyable, je sais, mais c’est la réalité”.
Selon lui, “il n’y a pas de profil-type”, “ça touche tous les âges et toutes les catégories sociales”. Leur point commun: “ils chassent aux heures où les enfants sont susceptibles d’aller sur internet.”
Une fois la communication établie, “on essaie d’aller plus loin”, de “créer une relation quasi-intime avec lui”, jusqu’à décrocher une rencontre, détaille Cyril. “La gratification, c’est quand on arrive à le faire venir au rendez-vous et qu’on l’interpelle.”
Exhibitionnisme, corruption de mineurs, pédophilie… Depuis l’autorisation de la cyberinfiltration, il y a quatre ans, les cinq gendarmes du RAMI sont parvenus à identifier et interpeller une cinquantaine d’auteurs par an.
“Notre seule limite légale, précise Cyril, est surtout de ne pas provoquer”, sous peine de faire capoter la procédure. “On l’amène à se dévoiler par des subterfuges”.
“Placer des appâts, c’est comme aller à la chasse”, ajoute le cyberenquêteur qui reconnaît parfois avoir “des réactions épidermiques” face à ces adultes qui tentent de pervertir des mineurs. Comme tous ses collègues, il voit un psychologue de la gendarmerie deux fois par an. Et le soir, rentre en famille.
Son fils de 10 ans? Il n’a pas d’ordinateur. “A cet âge-là, on n’en a pas besoin.”