En 2011, les soulèvements populaires liés aux “printemps arabes” avaient provoqué de nombreux bouleversements du classement. En 2012, la situation demeure très hétérogène, entre les pays où les régimes sont tombés, ceux où ils survivent (encore) mais font face à des rébellions, enfin les pays où les autorités, à force de compromis et promesses, ont calmé les revendications de changement(s).
Fond de classement pour la Syrie et le Bahreïn
La Syrie occupe la 176ème position du classement, c’est-à-dire la quatrième en partant de la fin. De tous les pays classés, c’est celui où les exactions contre la liberté de l’information auront été les plus nombreuses. Les professionnels de l’information sont pris pour cibles par les différentes parties au conflit, par l’armée régulière et par les factions d’opposition, qui s’y livrent une guerre de l’information.
Le gain de huit places du Bahreïn (165ème) n’est que relatif. La répression a continué en 2012, mais avec un degré de violences moindre en comparaison avec l’année précédente, particulièrement dure (le pays était alors passé de la 144ème à la 173ème place). Le Bahreïn a perdu 66 places en l’espace de quatre ans et demeure aujourd’hui parmi les vingt derniers pays du classement.
Des révolutions fertiles pour la liberté d’informer ?
Après la chute des dictateurs, les promesses de pluralisme et d’indépendance des médias ne dépassent pas toujours suffisamment le stade des seules paroles.
La Libye (131ème, +23) gagne plus de vingt places. Cette forte progression s’explique par les conséquences positives de la fin de 42 ans de règne de Muammar Kadhafi sur la liberté de l’information. Le classement précédent avait été plombé par les exactions commises au cours de l’année 2011. Toutefois, les améliorations attendent d’être confirmées, avec l’inscription du principe de la liberté de l’information dans la Constitution. Elles appellent aussi la mise en place de lois garantissant ce principe et apportant de véritables protections pour les journalistes, ainsi que des garde-fous en faveur du pluralisme et de l’indépendance des médias.
La Tunisie (138ème), deux ans après la chute de Ben Ali, perd quatre places, alors qu’elle avait nettement progressé en 2011 (+30 places). Pourquoi? Les agressions de journalistes se sont multipliées au cours du premier trimestre de 2012; depuis, les autorités ont entretenu le vide juridique en retardant la mise en oeuvre des décrets-lois régissant les médias. Pratique qui a rendu possible des nominations arbitraires à la tête des organes publics. A souligner le discours le plus souvent méprisant, voire haineux, des hommes politiques envers les médias et professionnels de l’information.
Deux ans après le départ d’Hosni Moubarak, l’Egypte (158ème) gagne 8 places, mais cette amélioration est relative, tant 2011 avait été placée sous le signe de la violence contre les journalistes. Le pays avait alors perdu 39 places (passant de la 127ème à la 166ème position). En 2012, journalistes et net-citoyens ont continué à être les cibles d’agressions, d’arrestations et de procès. Un journaliste a trouvé la mort en décembre. Les Frères musulmans ont procédé à la nomination des directeurs et rédacteurs en chef des journaux gouvernementaux peu de temps après leur arrivée au pouvoir, ce qui n’a pas été sans conséquences importantes sur la ligne éditoriale de ces médias.
Le projet de Constitution adopté fin 2012 contient des dispositions trop vagues et clairement liberticides. Les possibilités de fermeture ou de confiscation de médias demeurent possibles sur ordre d’un juge.
Le Yémen (169ème, +2) stagne dans les 10 derniers du classement. Un an après la prise de fonction du nouveau président Abd Rab Mansour Hadi, le cadre législatif n’a pas changé. Les journalistes subissent toujours agressions et procès, voire des condamnations à des peines de prison ferme. Le projet de loi sur l’audiovisuel privé et les médias électroniques, présenté au Parlement en 2012, qui comporte un certain nombre de dispositions liberticides, n’a pas été totalement abandonné.
Dans les Etats “épargnés” par les printemps arabes, les acteurs de l’information sont mis au pas
Secoué par des mobilisations socio-économiques, le Sultanat d’Oman (141ème) perd 24 places, la plus forte baisse enregistrée pour la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord en 2012. Près de 50 net-citoyens et blogueurs ont été poursuivis pour ‘crimes de lèse majesté’ et/ou ‘crimes de cybercriminalité’ ne serait-ce qu’en 2012. Pas moins de 28 ont été condamnés au cours du seul mois de décembre, à l’issue de procès méprisant les droits de la défense. Les autorités avaient multiplié – mais pas mis en oeuvre – les promesses pour calmer de potentielles revendications de changement politique et/ou socio-économique.
La promulgation en septembre 2012 d’un décret royal liberticide explique en partie le recul de la Jordanie (134ème,-6). Ce décret modifie le code de la presse et restreint drastiquement la liberté de l’information, notamment pour les médias en ligne, balayant les promesses de réformes annoncées par le gouvernement au plus fort des soulèvements populaires de 2011. Les journalistes sont poursuivis devant les juridictions militaires, notamment lorsque des critiques sont émises à l’encontre de la famille royale.
L’Algérie (125ème, -3) perd quelques places, du fait de la multiplication des agressions et des procès à l’encontre des professionnels de l’information, et l’augmentation des pressions économiques sur les médias indépendants. Plus d’un an après le vote par le Parlement algérien d’une nouvelle loi sur l’information, censé abolir le monopole de l’audiovisuel public, l’autorité de régulation, préalable indispensable, n’a pas encore été instituée.
Aucune chaîne de droit privé algérien n’a pu voir le jour. La nouvelle législation reste donc théorique, un simple effet d’annonce.
La position du Maroc (136ème, +2) est stable. Si des réformes du système des médias ont été annoncées après la mise en place du gouvernement d’Abdelilah Benkirane en novembre 2011, les promesses, notamment la dépénalisation des délits de presse, tardent à se concrétiser. L’arbitraire et l’absence de transparence sont souvent de mise dans les prises de décision, notamment dans l’octroi et le retrait des accréditations.
La Palestine (146ème) demeure dans le dernier quart du classement. Elle progresse toutefois de 7 places. L’amélioration des relations entre l’Autorité palestinienne et le Hamas a des conséquences positives pour la liberté de l’information et le climat de travail des journalistes.
Si l’Irak (150ème) prend 2 places, cette amélioration est là encore relative, et s’explique par la chute que le pays avait connue l’année précédente (l’Irak avait alors perdu de 22 places). La situation sécuritaire des journalistes reste plus que préoccupante, avec trois tués en lien avec leurs activités professionnelles (sept en 2011). Les entraves au travail des journalistes sont quotidiennes.
Les positions de l’Arabie saoudite (163ème, -5), du Koweït (77ème, +1) et des Emirats arabes unis (114ème, -2) évoluent légèrement.
Le Liban (101ème) recule de 8 places avec le renforcement de la polarisation des médias libanais du fait du conflit syrien. Les journalistes ne sont pas à l’abri de détentions arbitraires et de mauvais traitements.
La chute de 20 places d’Israël (112ème) s’explique par les exactions commises par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens; exactions auparavant comptabilisées distinctement sous l’entité ‘Israël (hors territoire israélien)’. Tsahal a délibérément pris pour cibles les journalistes et les bâtiments abritant des médias proches ou affiliés au Hamas lors de l’opération militaire “Pilier de Défense” en novembre 2012. Et les arrestations et détentions arbitraires de professionnels de l’information palestiniens restent monnaie courante. L’existence d’une censure militaire demeure problématique sur le plan structurel, même si les journalistes disposent d’une réelle liberté de ton.
L’Iran prend les familles en otages
La chute de la Somalie dans le classement en raison de l’hécatombe de 2012 permet à l’Iran (174ème) de gagner une place. La presse écrite, les sites d’informations sur Internet ainsi que les médias audiovisuels sont placés sans exception sous le contrôle du ministère des Renseignements et des Gardiens de la révolution. Les autorités ont internationalisé leur répression en prenant en otage les familles de journalistes iraniens travaillant pour des médias basés à l’étranger ainsi que des journalistes collaborant pour des médias internationaux en Iran. La République islamique est l’une des cinq plus grandes prisons du monde pour les acteurs de l’information.
Source: Reporters sans frontrières