Lorsque les journalistes interpellent Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), sur la situation générale en Tunisie, il a tendance à éluder la question et à se contenter de répondre avec beaucoup d’humour, en rappelant la fameuse maxime du baron Joseph-Dominique Louis, ministre des Finances de Louis XVIII: «Faites-moi une bonne politique, je vous ferai de bonnes finances».
C’était une manière très fine que le baron Louis utilisait pour manifester son opposition à la politique suivie par son Premier ministre, et indirectement par le Roi. En fait, la maxime est plus qu’une simple inversion de termes. Elle comporte deux conceptions totalement différentes de la conduite de l’État.
En reprenant à son compte cette maxime, Chedly Ayari semble se démarquer d’une Troïka trop électoraliste et exprimer son mécontentement, voire son irritation de la façon dont est conduite, actuellement, l’économie et les finances du pays.
Certains hommes politiques qui lui ont rendu visite l’ont relevé et n’ont pas manqué d’attirer l’attention, publiquement, sur le malaise du gouverneur de la BCT et sur son exaspération de la politique suivie par la Troïka.
C’est le cas, entre autres, de Lotfi M’raihi, secrétaire général de l’Union populaire républicaine (UPR), parti de tendance socio-libérale. Ce dernier a déclaré dans une interview accordée à Radio Express Fm qu’autant le gouverneur de la BCT s’emploie à contenir les dérapages (maîtrise de l’inflation et réduction des importations), autant le gouvernement œuvre à les favoriser à travers les majorations salariales et l’incitation à la consommation, plaidant pour un Etat d’urgence social et économique.
Lotfi M’raihi est allé plus loin en qualifiant d’«incohérente» la politique économique et financière suivie par l’actuel gouvernement lequel, a-t-il dit, «ne dispose pas, jusque-là, d’un véritable projet économique crédible et mobilisateur et a tendance à se soucier beaucoup plus des prochaines échéances électorales et des moyens de les remporter que de l’intérêt supérieur de la Tunisie, celui-là même qui consiste à opter, en ces temps difficiles, pour une politique d’austérité et non pour une politique budgétaire expansionniste tirée par la consommation comme c’est le cas du Budget général de l’Etat pour 2013».
Il a, particulièrement, déploré les dépenses financées par des emprunts sans la réalisation de succès tangibles. Il a cité, à ce sujet, le cas des chantiers nationaux qui n’ont donné aucun résultat pour le pays.
Pour mémoire, depuis sa nomination, Chedly Ayari a toujours plaidé pour une politique d’austérité. Une des premières décisions qu’il avait prises a consisté à augmenter le taux intérêt directeur. Objectif : atténuer la pressions inflationnistes et rationaliser, un tant soit peu, l’affectation improductive des liquidités mises à la disposition des banques commerciales lesquelles n’ont pas su en faire bon usage en les utilisant, essentiellement, pour octroyer des crédits dédiés à la consommation et non au financement des entreprises et des projets productifs.
Pour le gouverneur de la BCT, le principal défi que le gouvernement doit relever, à court terme, consiste à réduire en urgence le déficit commercial qui a atteint, d’après lui, des niveaux intolérables par l’effet de l’accroissement des importations.
Pour y remédier, il a été à l’origine de petites réformettes dont la prise de mesures tendant à réduire l’importation des produits de luxe et à encadrer le crédit de manière à dissuader l’utilisation des crédits de consommation pour l’achat de ces mêmes produits (voitures de luxe ou autres…).
Néanmoins, face au gouvernement de la Troïka et à ses élucubrations électoralistes, Chelly Ayari n’est pas le seul à opter pour une politique d’austérité. Il est soutenu dans cette démarche par les bailleurs de fonds, entre autres Banque mondiale, FMI, BAD…
A titre indicatif, le rapport préliminaire d’une mission du FMI qui a séjourné, du 12 au 20 novembre 2012 en Tunisie, recommande trois réformes qui vont, dans leur ensemble, dans le sens des stratégies proposées par Chedly Ayari.
La première porte sur le remplacement progressif des subventions généralisées par un système de protection sociale bien ciblé qui vise à protéger les populations les plus vulnérables.
La seconde préconise la maîtrise de la masse salariale (limitation des augmentations salariales et des recrutements).
La troisième insiste sur la recapitalisation des banques locales et l’affectation, à cette fin, de fonds conséquents.
Par delà les stratégies des uns et des autres, il semble qu’au regard des contraintes budgétaires et des énormes besoins du pays en ressources extérieures, c’est Chedly Ayari qui aura raison, tôt ou tard, fort en cela de l’appui précieux des bailleurs des fonds.