Sur 630 hôtels classés, 117 sont fermés. Traditionnellement tourné vers l’Europe, le tourisme tunisien résiste mal aux bouleversements politiques de la région.
Etat des lieux.
Une taxation de 70% des boissons alcoolisées dans la loi des finances 2013, de nombreux bars incendiés, des menaces de mort proférées contre d’autres, la police est chargée de «nettoyer» un secteur assimilé à de la «prostitution clandestine», selon, Abou Yarrib El Marzouki, député Ennahdha à l’Assemblée nationale constituante (ANC) et devient de plus en plus assimilé à la conception «touristes nudistes aimant les jeux de hasard», selon Rached Ghannouchi.
Le tourisme tunisien est-il dans le collimateur des islamistes radicaux qui prônent pour leur paroisse, à savoir celle d’un tourisme islamiquement correct ou «hallal?
L’arrivée des islamistes au pouvoir bouleverse la vie des destinations de la région du «Printemps Arabe». Comme l’Egypte, la Tunisie n’échappe pas au séisme qui bouleverse le modèle sociétal en vigueur et pose de grandes questions sur l’avenir d’un secteur particulièrement lié à la “mauvaise moralité“, ce que l’on appelle l’illicite; le “Haram“.
Mehdi Allani, directeur général d’un 4 étoiles à Hammamet, tire son épingle du jeu en réadaptant son offre pour le marché local, sur lequel tente de se rabattre une majorité d’hôtels en perte de clients, sans y parvenir forcément, et reste confiant. «Je pourrais être alarmiste mais je pense que le danger est ailleurs. Qu’avons-nous fait depuis plus de deux ans pour reconstruire le secteur? Qu’avons-nous à offrir de nouveau à nos clients?…On se retrouve avec une insécurité galopante, et je ne parle pas de terrorisme mais de vols, d’insultes, de guerres entre les beznessas et de petits bandits…».
Pour autant l’hôtelier a fini l’été passé dans un poste de police suite à une altercation avec des femmes voilées à qui il avait refusé l’accès de la piscine: «Que voulez-vous que je vous dise? Nous sommes en train de piétiner le seul produit qui marche tout seul, à savoir le tourisme balnéaire…».
En sa qualité de vice-président d’une association opérant dans le secteur du tourisme du MICE (Meeting Incentive & Business), il reconnaitra que ce segment est à l’arrêt. Pour repartir, il lui faudra du temps et de l’argent que la destination n’a pas et ne semble pas pouvoir trouver au vu de la transition démocratique difficile et de la crise économique qui frappe l’Europe avec qui elle assure plus de 80% des échanges commerciaux.
La compagnie aérienne nationale, Tunisair, socle du développement du tourisme, est un autre exemple édifiant de ce secteur à l’abandon. Depuis plus de 50 ans, la compagnie n’a même pas les moyens financiers, aujourd’hui, de ramener son nouvel «A 320» en attente dans un hangar.
Elle a besoin de licencier les 1.200 employés recrutés au lendemain des événements du 14 janvier sous la pression syndicale et sollicite vainement 500 millions de dinars auprès des banques tout en ne pouvant compter sur le soutien de l’Etat qui s’en désolidarise.
L’entreprise n’a pas les moyens de ses réformes et se voit obligée de concéder la «5ème liberté au Qatar alors qu’elle avait l’ambition de lancer plus de 20 destinations, essentiellement sur l’Afrique, pour relancer ses activités.
Dans ce champ de ruines, une vision d’un tourisme «hallal» est en train d’avancer ses pions. Comme la Malaisie, Singapour, ou la Turquie, la Tunisie n’y échappe pas et c’est à coups de rachats de structures hôtelières, de politiques incitatives d’investissement extérieurs orientées vers des capitaux islamiquement corrects ou moyen-orientaux, plus particulièrement le Qatar, qu’il s’opère.
«Quel sens peut-on donner au fait qu’on ouvre un nouveau bureau de représentation de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) à Ryadh et ferme celui de Montréal?», relève agacée Donia Hamouda, directrice d’un portail spécialisé en tourisme.
«Au cours du congrès de la Fédération des agents de voyage (FTAV) à Istanbul, le ministre du Tourisme a commis un impair en invitant les investisseurs turcs à venir acheter des hôtels en faillite en Tunisie». Est-ce la grande braderie? Un avis que partage Ridha Taktak, hôtelier à Mahdia: «Notre patrimoine risque de passer aux mains des entreprises étrangères alors que nous avons mis des années pour l’édifier».
Des fortunes mal acquises sur le dos des banques et sur le compte de la destination qu’ils ont saigné, affirmera un autre hôtelier. «Il est temps que la Tunisie s’ouvre à d’autres savoir-faire, attire les grandes enseignes internationales. Le temps du protectionnisme emportera avec lui celui de la médiocrité», conclut un expert qui taira son nom.
Zouheyr B.TK est directeur général dans un groupe hôtelier à la tête de 5 hôtels dans la région du Cap Bon. «Un Leader du parti Ennahdha nous a proposé de mettre sur pied le premier hôtel hallal de Tunisie à Hammamet. Il s’est engagé à payer vide pour plein et garantit qu’il remplirait la structure à coup sûr!». Proposition qu’ils déclinent l’invitant à investir la région de Tabarka. Quelques mois plus tard, un important investisseur qatari y achète un hôtel 5 étoiles et le golf de 18 trous qui l’entoure.
Dans son souci de relancer les investissements directs étrangers (IDE), qui ont chuté à plus de 87% entre 2011 et 2013, Riadh Bettaieb, ministre de l’Investissement et la Coopération international, et Elyes Fakhfakh, nouveau ministre du Tourisme, vantent difficilement les mérites de cette région auprès d’investisseurs d’Arabie Saoudite. Un autre tourisme se sculpte-t-il pour autant dans les arcanes du pouvoir?
L’attaque de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique du 14/09/2012 marquent un tournant décisif dans le comportement de la destination. Les tour-opérateurs, pour qui la destination fort profitable reste irremplaçable, estiment que le soleil y brille de moins en moins.
Un récent reportage d’“Envoyé Spécial“ de France2, mettant en scène un pays livré aux salafistes, provoque un tollé et donne le coup de grâce, du moins sur le marché français pourvoyeur de 1,200 million de touristes annuellement. Par leur passivité et incompétence, les autorités sont accusées de plomber le secteur et toute l’économie tunisienne.
Pour le moment, la destination n’a jamais été aussi mal. Un jamais vu qui désarçonne Georges Colson, président du SNAV, le syndicat national des agences de voyage françaises, qui avoue dépité: «depuis 60 ans que je suis dans le tourisme, c’est la première fois que je vois une telle crise!»
La guerre au Mali et la prise d’otage sanglante en Algérie s’emboîtent et les répercussions ne se font pas attendre. Livide au lendemain de la prise d’otages d’In Amenas, Adel Boussarsar, président de Golden Hôtels (deuxième groupe hôtelier dans le pays), énumère les annulations et énonce les structures touristiques fermées et les zones du tourisme sinistrées.
Les fêtes de fin d’année passées (période de pointe) sont blanches et la visibilité pour Pâques et l’été 2013, assurant plus de 80% du chiffre d’affaires, sont rouges. Un coup dur pour l’industrie touristique tunisienne? «Un coup fatal», rectifie Habib Bouslama, propriétaire hôtelier. Comme lui, les opérateurs revoient toutes leurs ambitions à la baisse.
Eux qui espéraient une révolution pour relever les défis de la diversification, de la mise à niveau hôtelière, de l’innovation dans le secteur au lendemain du 14 janvier, ne cherchent plus qu’à sauver les meubles.