La rafale qui a assassiné Chokri Belaïd peut-elle fossoyer le processus de transition démocratique? La révolution, en perpétuant un état d’agitation et de polémique contre le pluralisme, a-t-elle étouffé la liberté, favorisé la liquidation physique et banalisé l’assassinat politique? Dans quel odieux dilemme nous propulse l’assassinat de Chokri Belaïd? Ou toutes les forces démocratiques font bloc pour superviser la transition et endiguer le fléau. Ou la pulsion de vengeance prend le dessus et la démocratie ira dans le mur?
La révolution peut-elle aller jusqu’à étouffer dans l’œuf la démocratie?
La question immonde, insupportable mais qui est non moins incontournable, c’est après Lotfi Naguedh et chokri Belaid, à qui le tour? Who’s next?
Curieusement et comme par prémonition, nous avons titré ce matin un article, certes qui ne parlait pas d’assassinat de personne : Tunisie : Le tourisme attend sa révolution… Meurtre avec préméditation. Et voilà que Chokri Belaïd est tombé sur le champ d’honneur ! Oui sur le champ d’honneur et sa place est à Séjoumi, au carré des martyrs de la patrie.
Il doit rejoindre ceux qui ont confondu le peloton d’exécution colonialiste, refusant de se bander les yeux. Ils ont refusé de porter ce ruban ridicule parce que la mort, ils savent la regarder en face et ils étaient venus l’affronter.
Chokri Belaid est de cette trempe et il est parti comme il a toujours vécu, au premier rang, défiant la peur et la mort. Il est tombé en lutte pour faire triompher la démocratie et les libertés, la tête haute. Sa mort est décrite par Aboulkacem Chebbi, «Vivre en homme libre ou périr en martyr».
Jusqu’où ira l’onde de choc?
Un assassinat politique, le chef du gouvernement, dixit !
Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a affirmé immédiatement après l’annonce du décès de Chokri Belaid, qu’il s’agit d’un assassinat politique. Cette attitude est lucide et courageuse. Il ferme la porte, ce faisant à toutes les autres suppositions qui pourraient brouiller les cartes. Nous en déduisons qu’on nous fera éviter la constitution d’une commission d’enquête. Le chef du gouvernement met tout le monde au pied du mur. Il faut faire la lumière sur le crime. Il faut tout de suite débusquer l’assassin, a dit en substance, Jebali.
Quatre balles assassines ont fait couler le sang de Chokri Belaid. Après l’assassinat balbutiant de Lotfi Naguedh, cette fois on a franchi le Rubicon du crime politique prémédité.
Ensanglanter le processus de transition n’est-ce pas un acte de nature à propulser le pays dans la spirale de la violence et de la discorde assassine? Faire circuler par des rumeurs criminelles, qu’une «black list» de figures politiques est établie est un déni de l’Etat puisqu’il brave la sûreté nationale. Rien de bien significatif n’a été fait pour dissuader les activistes de l’obscurantisme.
Les réprobations de principe restent sans effet. La preuve? L’assassinat de Chokri Belaïd.
Un assassinat blanc?
L’assassinat de Chokri Belaïd sonne comme l’heure de vérité pour les forces démocratiques dans le pays. L’opinion, le peuple, l’histoire attendent à ce que cet épisode abject soit pour elle le signal de l’union fusionnelle. Si la violence est accaparée par les activistes noirs, la suite logique est l’effondrement de l’Etat. Si les forces démocratiques ne coalisent pas pour se poser comme rempart contre le sabotage de l’Etat national et pour s’imposer comme superviseur du déroulement du processus de transition, la Tunisie sera engloutie dans ce triangle des Bermudes du chaos politique.
Il faut tout faire pour que l’assassinat de Chokri Belaïd reste un assassinat blanc. Autrement et bien au-delà des personnes, c’est la patrie qui sera assassinée. Nous sommes prévenus. D’ailleurs, le chef du gouvernement dans sa déclaration de ce matin n’a pas manqué de dire qu’avec l’assassinat de Chokri Belaid, c’est la révolution qui a été assassinée. C’est tout dire!