La Troïka a implosé, le gouvernement est débarqué, l’ANC se trouve, momentanément, inopérante et la vie politique est en suspens.
Le pouvoir est entre quelles mains? Une opacité institutionnelle totale s’installe. Toutes les options sont ouvertes. On se dit toutefois que le pire n’est jamais sûr.
L’onde de choc de l’assassinat de Chokri Belaid ne s’est pas arrêtée. Elle a emporté la Troïka et, par ricochet, grippé l’ANC. Le pays est désemparé. Sommes-nous devant un acte isolé ou le déclenchement d’une vague d’épuration politique? Dans le même temps, on a une ola de sympathie nationale pour Chokri Belaid auquel a fait suite un ouf -d’égale ampleur- de soulagement, à l’annonce de la fin de la Troïka. Mais on se trouve dans une situation inédite. Le texte organisant les pouvoirs provisoires n’est pas tout à fait en phase avec les impératifs du moment.
Devant ce black out constitutionnel, comment concrétiser l’initiative du chef du gouvernement? Et question “suprême“, le peuple peut-il revenir dans la partie?
Le «putsch» légitimiste
Une cinquième balle a retenti hier. Elle a été tirée à bout portant par le chef du gouvernement sur l’équipe ministérielle. Hamadi Jebali s’est servi de l’assassinat de Chokri Belaid comme point de levier, pour «dégager» la Troïka du pouvoir et congédier le gouvernement. Il entend former un gouvernement, sans couleur politique, pour faire aboutir la transition. Il se met ainsi au diapason d’un vœu populaire et d’une demande exprimée par l’opposition qui a été implicitement étouffée par son parti.
Hamadi Jebali prend-il un pari fou? Oui, à l’évidence. En lançant son initiative, il s’arroge un pouvoir de décision dont il était tout le temps frustré par le président de son parti, Rached Ghannouchi. Se sentant comme court-circuité, ce dernier n’a d’ailleurs pas commenté l’offre de ce poulain, à la fois dauphin et rival, qu’il a toujours dominé.
Le chef du gouvernement prend-il un pari audacieux? Oui, également! Aller dans le sens voulu par le peuple donne un aspect légitimiste à son deal. Cet aspect peut lui faire éviter l’entorse constitutionnelle car Hamadi Jebali décide de reprendre du service de sa propre initiative, car le mini destour ne le lui garantit pas.
Mais comment pourra-t-il transformer l’essai?
Un exercice périlleux
Hamadi Jebali est, pour le moment, dos au mur. Il a besoin d’un large soutien populaire pour forcer la main à l’aile ultra de son parti pour qu’elle se range derrière lui. Forte tête, Hamadi Jebali n’a pas hésité à mettre son avenir politique en jeu. Cependant, il a montré qu’il a du cran en cherchant à dealer avec le bon peuple par-dessus l’épaule de son parti et de son aile dure qui ne lui est pas acquise et qui reste sous l’influence de Cheikh Rached. Il a en même temps montré qu’il a le sens de l’instant.
Au moment d’adresser son message de condoléances au peuple, voilà qu’il prend l’opinion au dépourvu et les siens de court et glisse son offre. Pas de doute, son offre a fait tilt autant par le timing que par son contenu. Ce faisant, il se rachète un crédit politique considérable. L’opinion découvre que le fana du 6ème califat est capable du meilleur puisqu’il fait un coup de barre de 180 degrés en faveur de la démocratie.
L’opinion n’y a pas vu une manipulation manœuvrière mais un acte sincère. Nul doute sa cote est à son zénith. Il faut reconnaître que ça ne manque pas de panache car l’exercice est périlleux. Que sera la suite?
Un «Blow Up» constitutionnel?
Hamadi Jebali doit aller jusqu’au bout de sa logique. Dans l’hypothèse où il est rejeté par les siens, comment fera-t-il pour avoir une majorité à l’Assemblée? Comment pourrait-il marchander le ralliement de l’opposition? Hamadi Jebali passera-t-il à l’ouest, sautera-t-il le pas? Cela relève d’une certaine façon de la politique fiction.
L’opposition parlementaire se laissera-t-elle fédérer par Hamadi Jebali? Hypothèse à la fois irréaliste et plausible. Une œuvre de renversement de majorité est une hypothèse époustouflante.
Si cette refondation démocratique, comme issue de raison au blocage actuel, se réalisait, elle serait applaudie par le monde entier. En sauvant son avenir politique, Hamadi Jebali peut offrir à l’opposition une occasion historique de faire sa cohésion et de mettre fin à la mainmise du parti Ennahdha sur les rouages politiques. Ennahdha se retrouverait en quarantaine politique! Incroyable. Pour un «coup d’Etat…», on peut dire que c’est un coup d’éclat.