Douze mille (12.000) djihadistes d’Ansar El Chariia (AST) rentrent de Syrie en Tunisie sur demande d’Abou Iyadh. L’information révélée par «Achourouk Online» et relayé par la toile fait frémir. La panique est accentuée par l’état de faillite sécuritaire que vit le pays, et le choc de la liquidation de Chokri Belaid.
Habib M. Sayah, directeur de l’Institut Kheireddine, analyste pour «Atlas Economic Research Foundation», dément l’information: «Pour avoir bien étudié «Ansar al-Sharia», je peux dire que c’est invraisemblable. Aaron Zelin du Washington Institute for Near East Policy, le seul spécialiste étranger d’Ansar El Chariia, confirme cette opinion. Il est d’ailleurs un expert en matière de groupes djihadistes et a une connaissance pointue des groupes agissant en Syrie. Selon lui, il y a moins de 12.000 djihadistes toutes nationalités confondues en Syrie, et juste quelques centaines de Tunisiens. Merci de diffuser pour éviter une panique totalement infondée».
Mais la panique vient aussi de ce qui se passe sur le terrain depuis des mois et où la violence s’installe peu à peu via l’intimidation et la menace. Les hordes de militants d’AST se déploient dans les rues de façon de plus en plus spectaculaire. Ils font régner une forme d’«ordre» parallèle comme présenté au journal télévisé de la Wataniya 1 lundi dernier, remplissant le vide laissé par l’Etat qui, débordé par le pourrissement de la situation économique et sociale, s’embourbe dans la crise politique.
Qui sont-ils? Comment opèrent-ils?
Les militants de ce groupe sont formés en milices. Ils tournent en meute et protègent les commerces, sauvent les jeunes filles persécutées, effectuent des rondes à Sousse et à Kairouan, et distribuent des vivres aux plus démunis et ont même des ordonnances médicales estampées de leur logo. En fait, ils ont investi la rue, la ville, les quartiers, les écoles. Ils se sont attirés la sympathie de certaines parties de la population, dont les plus jeunes qui veulent aider et se sentir utiles, et ont dilué leur discours premier, profondément religieux à un autre plus humanitaire et social: «Au début, ils raflaient le quartier pour emmener les jeunes gens prier de force. Là, ils sont plus conciliants et aident les pauvres, vident les poubelles et arrêtent les voleurs», résume Mehdi G, un jeune de 19 ans qui s’est rangé de leur côté pour protéger les commerces du pillage des bandits à Hammamet la semaine dernière. La police s’appuyait sur leur action pour stopper la bataille rangée, confirme le jeune homme.
Tahar Ben Hassine, journaliste et propriétaire de la chaîne de télévision Hiwar Tv, confirme que ces groupes sont soutenus par un laisser-faire émanant d’Ennahdha au pouvoir. Une version démentie mardi 12 février par Ali Larryedh, ministre de l’Intérieur.
Affaibli, l’Etat tunisien n’est plus en mesure de protéger ses citoyens. Où peut aller un Etat qui se laisse déborder par un groupe armé non reconnu qui se substitue à lui?
D’où viennent-ils?
Le Djihad, pour la mise en place d’un projet islamique, s’est déployé sur la Tunisie au lendemain du 14 janvier et a particulièrement profité du retour de ses «symboles» vivant à l’étranger, reçus en grande pompe à l’aéroport, et de la libération des prisons d’une de leurs icones, Abou Iyadh.
Depuis les événements d’El Abdelliya, l’étau a commencé à enserrer le pays et le méga meeting d’AST à Kairouan le dimanche 20 mai 2012, devant la mosquée Uqba Ibn Nafaâ, à l’occasion du second congrès annuel du mouvement, augurait de la radicalisation qui s’est mise en place. Depuis le 23 octobre 2012, dans un enregistrement vidéo diffusé sur Internet, Abou Iyadh a appelé à la constitution des comités qui veilleront à la sécurité du peuple en cas d’éventuelles violences de la part de ceux qu’il a qualifiés d’ennemis du peuple et de la religion. La version «light» des islamistes, arrivés au pouvoir moyennant un discours dilué réclamant le respect de la République et œuvrant pour la démocratie, est un propos blasphématoire et contraire à l’islam, selon l’AST qui prône pour le retour à l’islam des origines et à l’application immédiate de la chariaâ.
Aile dure du salafisme, les AST sont proches d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Alaya Allani, spécialiste de l’islamisme au Maghreb, est quasiment le seul à tirer la sonnette d’alarme depuis plus d’un an. «Un tiers des membres du commando engagés dans l’opération d’In Amenas en Algérie sont des Tunisiens, c’est de loin le plus fort contingent, et cela nous impose d’ouvrir un débat national sur le djihadisme en Tunisie», réclame ce professeur à l’université de La Manouba.
Personne ne l’écoute. Aujourd’hui, on parle de dizaine de milliers de djihadistes dans le pays et d’armes qui y circulent. En pleine crise politique, le pays est au bord de sombrer dans ce que les médias appellent encore la violence politique alors qu’il s’agit bel et bien de terrorisme.
Qui est Abou Iyadh ? Que peut-il ?
Abou Iyadh ne vient absolument pas de la planète Mars comme l’a dit un jour Hamadi Jebali, chef du gouvernement de la Troïka, à propos des salafistes, et peut absolument faire penser à la jeunesse de Rached Ghannouchi pour la simple et unique raison que celui-ci a grandi dans son giron. Abou Iyadh s’appelle en fait Seifallah Ben Hassine et a évolué aux côtés de Rached Ghannouchi dans le Mouvement de la tendance islamique (MIT), ensuite en Algérie avant d’aller vivre au Maroc et s’envoler vers les milieux djihadistes à l’internationale.
Après avoir reçu une formation de base, il est entré dans la clandestinité au Pakistan et pris pour nom de guerre «Abou Iyadh al-Tounsi». Son activisme lui vaut de rencontrer Oussama Ben Laden dont le nom est souvent scandé dans les manifestations des AST; et les services américains estiment qu’il est impliqué dans l’assassinat du commandant Massoud en Afghanistan le 9 septembre 2001.
Condamnée à 43 ans de prison, Abou Iyadh sort des prisons tunisiennes en mars 2012 suite à l’amnistie accordée aux prisonniers salafistes après le 14 janvier. Un document publié par «Wikileaks» révèle qu’Abou Iyadh avait «informé les services du ministère de l’Intérieur que le détenu [Adel Hkimi] était conseiller du TCG [Tunisian Combat Group, la cellule terroriste tunisienne basée en Afghanistan], et que ce dernier était «responsable de la communication ainsi que de la réception et le recrutement de nouveaux djihadistes».
Depuis sa libération, Abou Iyadh est le chef d’orchestre de l’attaque contre l’ambassade des Etats-Unis le 14 septembre 2012, et accuse les islamistes au pouvoir de chercher un arrangement pour être acceptés par l’Occident et les pays du Golfe. Il menace le ministre de l’Intérieur, défie les forces de l’ordre et prêche contre le gouvernement en le qualifiant de mécréant.
Recherché par la police, il s’évanouit sous le nez des forces de police venues l’arrêter durant un prêche de vendredi. Abou Iyadh est Installé à Hammam-Lif et transforme Sidi Douzid et Sejnane (théâtre de graves incidents) comme le siège de ses bases-arrière.
Fort de ses financements saoudiens, il se dresse depuis l’assassinat de Chokri Belaid et de la crise au sein du gouvernement et au sein du parti islamiste Ennahdha comme un élément déterminant pour l’avenir du pays.
Il a surtout su capitaliser sur le rejet des Tunisiens des partis politiques et a su enrober son action d’un voile social et protecteur arrivant par la base là où peu se déploient bien loin des salons huppés et des plateaux de télévision fréquentés par l’opposition et la nouvelle classe dirigeante du pays.
Entretenant des rapports privilégiés avec la fraction dure d’Ennahdha, dont les élus à l’Assemblée nationale constituante comme Sadok Chourou et Hbib Ellouze, pour le directeur de l’Institut Khereddine, Habib M. Sayah, il ne fait aucun doute que le djihadiste est en train de profiter de «la radicalisation d’Ennahdha, qui se trouve considérablement affaibli et divisé.
Pour résumer, il pense qu’“Abou Iyadh lance en ce moment-même une OPA hostile sur le parti de Ghannouchi“.
Quel est le rapport de forces au sein d’Ennahdha? Comment va réagir le parti qui ne peut plus porter en ses entrailles toutes les tendances de l’islam politique?
Quelques jours avant que la Tunisie ne tombe dans le terrorisme avec l’assassinat de Chokri Belaid, Abou Iyadh avait lancé un appel en faveur de l’unification de toutes les composantes du mouvement islamiste afin de démolir le camp «laïc». Au lendemain des inoubliables funérailles qui ont mobilisé plusieurs milliers de Tunisiens, Lotfi Zitoun, ministre démissionnaire du gouvernement Hamadi Jebali et proche de Rached Ghannouchi, appelle à l’unification du mouvement islamiste au sein d’une nouvelle Troïka qui devrait comprendre, outre Ennahdha, Hizb-ut-Tahrir et les «salafistes», AST compris!
Désormais, les comités de sécurité d’AST se rapprochent des activistes des Ligues de Protection de la Révolution (LPR) dont la société civile et une partie des partis politiques appellent à l’interdiction. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, à la recherche d’un équilibre pour sauver la Tunisie, s’était exprimé à leur sujet pour être démenti très rapidement par Rached Ghannouchi.
Pour le moment, «Ansar El chariia» se déploie dans la société tunisienne en y tissant un maillage serré. Des groupuscules de plus en plus nombreux se constituent en Libye, au Yémen, au Maroc, en Egypte. Les spécialistes évoquent la création d’«Ansar al-Charia au Maghreb» (ACM) qui serait une organisation naissante et orientée vers la prédication «La dawa».
Même si dans une récente déclaration, l’ACM affirme que les groupes ne sont pas affiliés, il ne fait aucun doute qu’ils sont portés par la même approche : celle de prêcher la parole et la loi divine en fournissant une aide économique et sociale aux démunis, de dénoncer la décadence de l’Occident et d’arracher la société aux griffes de ce dernier.
Un rapprochement du peuple qui prend réalité et forme un peu plus tous les jours au vu de l’incapacité des autres partis politiques à s’y déployer.