Quand arrêtera-t-on le chant des sirènes, vantant les avancées et réalisations et menant l’économie du pays vers un effondrement certain? Le Chant des sirènes pour ceux qui ne le savent pas est irrésistible, il attire les marins séduits vers les récifs les menant à une mort certaine. Il en est ainsi de notre économie de laquelle tous les membres du gouvernement –ou presque- parlent avec une «érudition» qui rendrait jaloux les Stiglitz, Krugman, Roth et Shapley. Quand arrêterions-nous de jouer aux autruches parlant d’un taux de croissance de 3,2% et de la création de 100.000 postes d’emplois?
Hafedh Ateb, universitaire, chercheur à l’Ecole Polytechnique de Tunisie et ancien directeur général de l’Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant (ANETI), vient d’affirmer dans un article sur le site Nawaat que si «l’on ne tient pas compte des recrutements dans le secteur public et des programmes actifs de l’emploi (SIVP et assimilés), on parvient à un bilan très décevant pour l’année 2012: seulement 5.800 emplois créés sous le gouvernement de Jebali en 9 mois. Les 116.000 emplois, créés au total depuis mai 2011, ne représenteraient que 73% des emplois nets perdus au cours des 4 premiers mois de la révolution (janvier 2011 – avril 2011) et sont essentiellement des cas de retour à l’emploi», explique-t-il dans son article.
Alors pourquoi tient-on toujours la langue de bois ou plutôt d’acier? Pourquoi affichons-nous un sourire narquois, un air de bonheur surfait comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes? Qui cherche-t-on à leurrer? Les propres militants des partis au pouvoir acquis à la vie à la mort ou leurs compatriotes Tunisiens crédules, naïfs et guettant la moindre lueur d’espoir qui puisse les rassurer et les conforter sur leur avenir et celui de leurs progénitures?
Non! L’économie ne va pas bien, tenons-nous le pour dit!, et arrêtons de prendre nos désirs pour des réalités tout comme il serait plus honorable et plus honnête pour ces ministre qui défilent à longueur de soirées sur les plateaux de télévision de reconnaître leurs limites en connaissances et analyses économiques et dissimulant mal leur incompétence en la matière.
L’économie va mal, Mesdames et Messieurs, et faute de chant de sirènes, c’est un chant de crise que nous entendons ça et là. Il paraîtrait même que les négociations pour un accord de ligne de financement à la Tunisie avec le FMI à titre préventif d’un montant de 2,7 milliards de dinars ne serait pas totalement acquis, ce qui compromettrait dangereusement l’année 2014.
L’échec de l’initiative Jebali mène le pays vers l’inconnu économique, social et sécuritaire
L’on s’attendait à ce que le gouvernement Jebali formé et approuvé, le pays redémarre et retrouve sa sérénité. L’échec de l’initiative remet le pays sur la voie de l’inconnu. Pour Mouez El Joudi, économiste, «le coût de l’instabilité politique devient conséquent en Tunisie et les répercussions touchent de pleins fouets l’activité économique. Nous savons tous qu’à la base de la relance économique et de la croissance, il y a l’investissement qui ne peut se réaliser et se développer qu’avec des conditions fondamentales et indispensables. La stabilité politique fait partie intégrante de ces conditions, et aujourd’hui en Tunisie, c’est cette stabilité qui nous fait défaut et qui retarde et handicape la relance économique. Les considérations et les intérêts politiques et partisans qui priment, les pourparlers et les échanges infructueux, les querelles de chapelles et les débats sans fin sur des questions futiles d’égo et d’idéologies obsolètes et contreproductives impactent en effet négativement le climat général et démotivent les investisseurs et autres opérateurs économiques. Conjuguée à l’incompétence, au manque de vision, à l’absence de stratégies et de politiques claires et pertinentes, la situation s’aggrave, les déficits s’accumulent, les fondamentaux sont touchés et les équilibres vitaux sont en péril».
Et si la Tunisie retombe dans les bras du FMI, attendons-nous de nouveau à des réformes structurelles et des privations qui ne pourraient être supportées par une population déjà en souffrance.
La dernière fois où la Tunisie avait recouru à un prêt du FMI, c’était en 1986 en pleine période de restructuration de l’économie. Pire, le recours de la Tunisie au FMI est la plus grande preuve que les portes des marchés financiers ordinaires et celles des accords de prêts bilatéraux lui ont été fermées. L’endettement extérieur qui était maîtrisé est passé de 38% à 47%. Les financements n’ont servi ni à des activités créatrices de richesses, ni à des postes d’emplois, contrairement à ce que nombre de hauts responsables prétendent.
Les faux chiffres de la croissance tunisienne
Les chiffres de croissance sont faux, car ils ne reflètent pas la réalité de la situation économique du pays. Pour ceux qui estiment avoir des connaissances conséquentes en économie, comme le taux de croissance en 2011 était de -1,8% et que celui de 2012 était de 3,5%, l’addition des deux a pour résultat: 5,3%. «Scandaleusement faux, nous avons raté deux années de croissance, dénonce un expert en économie. Les chiffres que nous diffusons ne sont même pas conformes à ceux publiés par les instances internationales telles le FMI ou la Banque mondiale, alors que la Tunisie a ratifié la convention internationale sur la fiabilité des données chiffrées».
Alors qu’on parle de l’augmentation des exportations, on oublie le glissement du dinar: «Pour une croissance positive des exportations de 3,9%, nous avons un dinar qui s’est déprécié de 10%. Les importations flambent grâce entre autres aux circuits parallèles et aux trafics de tous genres, pratiquement protégés qui nourrissent, entre autres, les régions et cités marginalisées où foisonnent les mouvements extrémistes de tous bords qui peuvent ainsi devenir indispensables à des populations dans le besoin».
Le coût de la vie ne cesse d’augmenter et le pouvoir d’achat du Tunisien moyen se dégrade de plus en plus avec une inflation désormais structurelle de 6% hors produits subventionnés, lesquels si on les considère l’élèveraient à 10%.
Cette situation laisse la porte grande ouverte à de nouvelles vagues de revendications sociales, prônées par Hassine El Abassi, secrétaire général de l’UGTT qui avait déclaré que si la cherté de la vie continuait, il n’hésiterait pas à appeler à de nouvelles négociations pour l’amélioration des salaires. Interprétation sur la réalité, nous sommes en plein dans le mythe de Sisyphe…
Pour ce qui est des autres signaux forts inquiétants de la récession économique, nous ne pouvons omettre de parler de l’épargne, laquelle, en une seule année, a accusé une chute de 22% du PIB à 16%. Pour rétablir le taux d’épargne dans ses moyennes nationales, il va falloir au moins 10 ans à hauteur de 1% par an. Pour précision, le système bancaire fonctionne sur les dépôts. Les 16% de taux d’épargne servent à financer l’investissement et la création d’emplois.
Le déficit commercial, quant à lui, a atteint 13% du PIB avec 11,7 milliards de dinars, soit un déficit qui ouvre grande la porte à un endettement excessif et à la dégradation de la notation de la Tunisie.
Que faire? Un plan de sauvetage éminent impliquant l’ensemble des parties prenantes et mettant l’intérêt national au dessus de toute autre considération, estime Mouez El Joudi qui précise que «dans le cas contraire et d’ici mi-2013, le scénario grec se précisera pour la Tunisie et nous risquerons d’atteindre le point de non-retour sans aucune exagération!».
Pierre de Coubertin disait : il faut «Voir loin, parler franc, agir ferme». Combien y en a-t-il qui soient ainsi dans le leadership tunisien?