Bien qu’entouré, il paraissait bien seul sur l’estrade dressé devant le Théâtre municipal de Tunis, enveloppé du drapeau d’Ennahdha le jour de la manifestation «melyouniya» organisée le 16 février pour soutenir la légitimité de son parti à gouverner.
Devant 16.000 à 100.000 personnes, selon des sources contradictoires, Rached Ghannouchi (RG) a tenu dans son discours des propos incohérents, a mélangé les concepts et a tenté de convaincre que son parti est la colonne vertébrale de la Tunisie.
Un discours qui prend la forme d’une déclaration de guerre envers ces ennemis mais aussi une partie des siens et de ceux qui ont voté pour lui. Une image a choqué, celle de son désintérêt du drapeau tunisien qui tombe du pupitre à ses pieds. Il n’y jettera pas un regard et ne songera même pas à se baisser pour le ramasser.
Durant les 29 minutes que dura son discours, il multiplia le mot “légitimité“ en l’accolant aux élections, au gouvernement, à la Troïka, à l’ANC, à son parti… Il fit des raccourcis surprenants quand il évoqua la légitimité de souffrance des islamistes durant les années de braise, confirmant sa conception du “butin“ et occultant celle de tout un peuple qui souffre, omettant de mentionner le nom de Chokri Belaid dont l’enterrement à fait trembler son parti et évita de citer, une énième fois, le nom même de l’avenue Habib Bourguiba en la désignant “avenue de la révolution“.
Rached Ghannouchi s’est emmêlé les pinceaux, car un peuple qui désavoue ses gouvernants a donné la plus belle des réponses à un parti dont la popularité n’existe plus que dans les fantasmes de Rached Ghannouchi. Ennahdha a certes réussi à mobiliser du monde pour sa manifestation mais les moyens déployés prouvent qu’il s’agit d’une approche de mobilisation et non plus d’un mouvement populaire spontané comme celui qui s’est déroulé le jour de l’accueil de Rached Ghannouchi à l’aéroport de Tunis-Carthage après ses années d’exil à Londres.
Isolé, RG a peur et ne peut même pas sortir seul dans la rue ou sans un cortège sécuritaire spectaculaire comme le lui a fait rappeler son ami de toujours Abdelfettah Mourou. Depuis des semaines, il a déménagé de son domicile d’El Menzah pour aller vivre à Kaalat El Andalous.
En s’opposant violement à son premier ministre, Hamadi Jebali, qui considère qu’un cabinet apolitique est la seule solution pour sortir la Tunisie d’une profonde crise politique, RG laisse présager qu’au delà des tractations difficiles qui se confirment d’ailleurs par la décision dimanche soir du «Majliss Echoura» après sa réunion, c’est l’avenir du pays et des futures élections qui sont en jeu.
La neutralité des ministères régaliens, demande pressante de l’opposition, de la société civile, des médias et des partenaires étrangers, est le point d’orgue de tractations qui durent depuis des mois. Des élections avec un ministère de l’Intérieur partisan sont fortement compromises, indépendamment de la situation sécuritaire fébrile et du rendement global du gouvernement qui, essoufflé, est à l’arrêt depuis des mois. RG a été le premier à évoquer un remaniement ministériel en juillet 2012.
En laissant filer une chance pour désamorcer la bombe, Rached Ghannouchi démontre sa véritable stature et vision. Comme Ennahdha n’a pas milité pour les libertés et la lutte contre la précarité, mais pour des idéaux et le projet d’islamisation de la société tunisienne, ses militants (surtout ceux qui vivent en «Off shore» à l’instar de RG lui-même) se refusent à la moindre concession.
Il est incontestable que le gouvernement n’a de légitime que l’approbation de l’ANC, l’équipe en place à La Kasbah a failli, et de l’aveu même de son chef, ne peut mener à terme la reconstruction du pays et encore moins la consécration des objectifs de la révolution. Car c’est précisément là où le bas blesse: Les objectifs de la révolution ne sont pas les mêmes pour le peuple qui a faim et froid et Ennahdha arrivée au pouvoir. «Nous y sommes et gouvernerons pour longtemps», a déjà prédit Rached Ghannouchi. Avant même le résultat des élections du 23 octobre, il menaçait d’un bain de sang si son parti n’était pas déclaré victorieux.
La Tunisie part pour un nouveau round de négociation entre les différents partis politiques et Ennahdha. En attendant, le pays s’enfonce dans la crise et l’endettement. Défiant tout bon sens et ignorant l’intérêt national, l’Etat se dilue.
Rached Ghannouchi avait intervenu au cours du mois de juillet 2012 pour désamorcer la polémique autour de la «chariaâ» en validant l’article premier de la Constitution de 1959 et en coupant court à ce qui prenait l’ampleur d’une crise insurmontable. Désormais, il ne peut et ne veut la faire car l’enjeu est le pouvoir. Et quand l’enjeu n’est plus une nation mais un pouvoir, c’est bonjour le retour à la case départ.