La Tunisie part pour un nouveau round de négociations entre les différents partis politiques et Ennahdha. Ali Larayedh, désormais ancien ministre de l’Intérieur et nouveau chef du gouvernement, dans son premier discours, a promis de former un cabinet dans lequel se retrouveront tous les “Tunisiens et les Tunisiennes”, insistant notamment sur l’égalité des sexes. «J’espère trouver un bon accueil auprès des Tunisiens et des Tunisiennes, des partis politiques, des milieux d’affaires, des médias, du monde de la culture et des hommes de religion», a-t-il ajouté. Le peut-il seulement?
Si le gouvernement ne sera pas à reconstruire de zéro puisque différents ministres semblent être appelés à se maintenir ou à changer de casquette, il sera composé de technocrates et de politiques. Un seul fait est sûr, les près de 100 ministres et secrétaires d’Etat seront bel et bien réduits. Le bal des portefeuilles est déjà lancé et sa composition sera annoncée dans les jours à venir, le 27 février, selon Imed Daimi.
Ce gouvernement aura-t-il la charge de diriger les affaires courantes, de continuer sur les pas de son prédécesseur avec les résultats qu’on lui connaît, ou de tenter de changer le cap d’un pays qui s’enfonce dans la crise et l’endettement?
Défiant tout bon sens et ignorant l’intérêt national, alors que l’Etat se dilue selon certains et se porterait comme un charme selon d’autres, les partis politiques au pouvoir et à l’opposition se fracassent. Ennahdha tente de se revigorer, les médias sont désarçonnés, l’ANC est asphyxiée, et les populations déboussolées. Voilà le triste constat d’un pays qui a la gueule de bois au lendemain d’une transition démocratique malmenée.
La nomination d’Ali Larayedh à la tête du gouvernement est-elle de bon augure?
Fadhel Moussa, député de l’ANC, cache mal sa déception. Le chef du gouvernement aurait pu être désigné suivant l’article 19 de la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, et ainsi ne pas nécessairement faire partie du mouvement Ennahdha. Il aurait suffi à Moncef Marzouki, président provisoire de la République, de le décider. L’ANC aurait alors validé ou annulé. Une occasion en or de lui redonner un peu de dimension à l’heure où cette institution n’est plus que l’ombre d’elle-même, supplantée par un Majelss Echourra qui démontre une force tenace.
La dernière chance était-elle celle de Hamadi Jebali ou était-ce une manipulation? Torpillé par son propre parti, le chef du gouvernement démissionnaire a dû faire l’objet de tractations pour éviter de passer devant l’ANC afin de mesurer le poids de son initiative qui a bénéficié, le temps d’un meurtre, d’un enterrement et d’une manifestation du soutien des partenaires sociaux, de la société civile et de nombreux partis politiques. Encore fallait-il aller jusqu’au bout pour trier les vrais des faux soutiens.
Que fera le nouveau chef du gouvernement ?
Pour le moment, c’est à Ali Larayedh qu’il incombe de fédérer et de rassembler tous les intervenants pour pouvoir travailler et parer au plus urgent. Les causes d’hier restant valables aujourd’hui, elles aboutiront forcément au même résultat si ce n’est à pire au vu de l’embrasement de l’inflation, de la grogne sociale, de l’insécurité… Mahmoud El Baroudi, pour l’Alliance Démocratique, parle déjà du pire qui est à venir!
Ahmed Néjib Chebbi, président de la Haute instance politique du parti Al-Joumhouri estime que le nouveau chef du gouvernement est loin de répondre au profil du candidat idéal compte tenu des polémiques suscitées par son parcours controversé à la tête du département de l’Intérieur. Pourtant, ce même Chebbi a été l’un de ceux qui ont “torpillé“ en sourdine l’initiative Jebali.
Le porte-parole d’Ettakatol, Mohamed Bannour, a signalé au contraire qu’il «pourrait réussir dans sa nouvelle mission s’il répondait à plusieurs revendications, dont la neutralisation des ministères de souveraineté».
Autant dire que les paris sont ouverts!
Sans avoir à revenir sur le parcours lointain d’Ali Larayedh, il convient d’évoquer ses résultats à la tête du ministère de l’Intérieure. Faut-il commencer par les tirs à la chevrotine sur les populations de Siliana? Comment peut-on ne pas mentionner “la position immorale” de la fille violée par des policiers, ou encore se rappeler d’Abderraouf Khammessi qui s’est “suicidé” au cours de son interrogatoire?
Alors que les Tunisiens ne s’en remettent pas encore des incidents du 9 avril 2012 et du résultat de l’enquête qui n’a toujours pas été bouclée, l’épisode de la “crise cardiaque” de Lotfi Nagdh et de l’assaut sur l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en septembre 2012… laissent pantois. Le point culminant est bien entendu celui de l’assassinat de Chokri Belaid et des tirs de lacrymogènes qui sont tirés sur le cortège funèbre le jour de son transport de la clinique d’Enasser à l’hôpital Charles Nicolle pour l’autopsie autant que les nombreux incidents le jour de l’enterrement.
La machine du département de l’Intérieur reste encore la plus lourde et délicate à gérer, et son poids est déterminant pour la Tunisie.
Loin de toute polémique, le bilan sécuritaire de ces derniers mois est contestable eu égard à la délinquance et à la menace terroriste interne. C’en est à se demander comment celui qui s’est révélé bien assez incapable de prendre en main un ministère aussi vital peut-il gérer tout un gouvernement et veiller au destin d’un pays, sachant qu’il n’a nullement les coudées franches.
Ennahdha vs opposition
Les observateurs parlent d’un Ali Larayedh avant et après le congrès d’Ennahdha. Le numéro 2 du gouvernement Hamadi Jebali ne s’est nullement exprimé sur l’initiative de son supérieur. La tête d’Ali Larayedh est mise à prix par les salafistes djihadistes. Abou Iyadh, qui l’a officiellement menacé et traité de traitre à l’Islam.
Selon Slaheddine Jourchi, la manœuvre de la nomination d’Ali Larayedh est subtile et permet de faire d’une pierre deux coups : elle libère le portefeuille de l’Intérieur (dont l’affectation à un «non politique» est une des conditions de soutien de certains partis), et placer un islamiste «modéré ou réformateur» à la tête de l’exécutif du pays au lieu d’un «faucon» plus radical est de nature à rassurer. Cette vision est contestée par Samir Bettaieb, porte-parole d’Al Massar qui estime qu’Ali Larayedh est l’un des plu durs dans la mouvance islamiste.
Pour le moment, c’est Rached Ghannouchi qui reprend les rênes et repart de plus belle avec ces déclarations voulant des élections en octobre 2013, affirmant être attaché à un régime parlementaire, et énumérant les nouveaux partis qui rejoignent la Troïka.
Ali Larayedh est loin d’être le seul à avoir les cartes en main, toutes les mains et toutes les cartes. Les jours à venir seront fatidiques pour l’avenir du pays.
Un avenir que l’opposition doit aussi savoir gérer avec délicatesse et stratégie en retenant une leçon : Ennahdha a pu et su renverser en sa faveur une situation très hostile en maintenant sa cohésion avec retenue, discipline, cohésion, volonté politique et mobilisation.