«Nous sommes dans le bar d’un hôtel à Ain Draham où désormais on ne sert plus d’alcool sur ordre des salafistes de la région. Tous les bars de la ville ont mis la clef sous la porte. Il ne reste plus qu’un seul hôtel ouvert sur cinq et ne tardera pas à rejoindre les autres. Le directeur, la peur au ventre, ne veut plus combattre. Il est dans tous ses états. La police et la gendarmerie ne veulent absolument pas assurer la sécurité et laissent les hôteliers et leurs employées face à leurs agresseurs. Des familles entières risquent de se retrouver au chômage. Désolant et on se dit un pays touristique!».
Ce témoignage d’un architecte tunisien, en vacances avec sa famille dans le nord de la Tunisie, résume tout. La destination touristique qui se délite, la peur qui revient, le règne des salafistes dans une région… Ce constat est-il isolé ou témoigne-t-il d’une tendance qui prend de l’ampleur?
Commençons par les bonnes nouvelles. L’alcool coule à flots et la Tunisie n’a jamais autant bu. La SFBT, principal fournisseur de bière du pays, n’en finit pas de produire et tous ses chiffres sont à la hausse. Dans les zones touristiques du pays, les hôtels et restaurants servent de l’alcool et ceux qui le veulent sont libres d’en consommer. Certains restaurants de Tunis, la Capitale, sont pleins à craquer et on n’à jamais autant cherché à se divertir pour se soulager du stress ambiant qu’en ce moment, dira une charmante restauratrice!
Maintenant, il ne fait aucun doute que l’alcool et le tourisme sont dans le collimateur des radicaux qui croient en la parole divine et qui se sont donné une mission: mener vers le droit chemin les mécréants dont les buveurs! Il y a aussi une frange qui terrorise les populations pour faire du business. Outre celui de la religion, ils ont trouvé dans la vente de la drogue, qui n’est pas interdite par l’islam, un bon filon pour gagner beaucoup d’argent.
De fait, cela fait des mois que des incidents visant des commerces d’alcool éclatent ici et là. Toujours le même scénario : des menaces, des attaques, des saccages quand ils ne mettent pas carrément le feu aux lieux qui en commercent.
En mai 2012, des inconnus ont tenté d’incendier un magasin qui vend les boissons alcoolisées à Mahdia situé dans le plus important bâtiment de la capitale fatimide. Avant cela, différents actes de vandalisme ont eu lieu à Sidi Bouzid où en septembre 2012 l’hôtel Horchani a été détruit. Idem pour un hôtel à Kélibia, saccagé il y a quelques semaines. Avant cela c’était au tour de l’hôtel Smithus d’être incendié (mai 2012), sans citer les petits commerces dont les propriétaires font l’objet d’intimidations. Certains renoncent alors à la vente d’alcool de leur propre grès par conviction, d’autres par peur.
Ces incidents ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans une campagne de violence orchestrée ayant balayé sur son passage des artistes, des journalistes, des femmes, des commerces de boissons alcooliques, des sièges de la police… Tambour battant, une secte présente désormais sa propre vision du tourisme et de la Tunisie, sème par la terreur sa conception d’un certain islam en Tunisie. Une minorité bruyante qui cherche à imposer sa façon de vivre et contre laquelle s’organise la résistance.
La société civile, les partis politiques et les populations se mobilisent et décrient ces actes de dévastation et refusent l’anarchie qui s’empare de leur quotidien.
Ce qui vient de se passer à Ain Draham est aussi et surtout révélateur du retour de la peur. Joint par téléphone, M. Belgacem, directeur du seul hôtel ouvert de la région, est confus: «Nous avons été attaqués au mois de décembre dernier. Des salafistes se sont introduits dans l’hôtel et ont insulté les clients, malmené les présents, et tout emporté avec eux… Depuis, nous avons reçu des menaces et avons été obligés de renforcer la sécurité par dix. Avec de telles charges supplémentaires, ce n’est plus rentable! Les forces de l’ordre de la région ont une voiture et quand nous leur téléphonons dans l’urgence, ils arrivent près d’une ou deux heures après l’incident».
La direction de l’hôtel décide alors de ne plus servir de l’alcool que dans les chambres des clients et au restaurant… En catimini et à l’abri des regards! De quoi contenter tout le monde mais en culpabilisant les clients.
M. Belgacem est bien conscient qu’en cédant à la menace, c’est tout l’avenir d’une destination touristique qui est menacé si pareilles pratiques et décisions se généralisent. A cela il répond sans hésiter: «Qui peut m’assurer la sécurité de la structure hôtelière, de son personnel et de mes clients»?
La question mérite-t-elle encore d’être posée?