En prévision de l’imminente augmentation des prix de certains produits, dont les boissons alcoolisées et le carburant, à hauteur de 100 millimes pour l’essence et de 85 millimes pour le gasoil, la précarité des Tunisiens, par l’effet de la cherté de la vie et de la détérioration du pouvoir d’achat, risque de s’exacerber.
Officiellement, ces augmentations sont incontournables, voire impératives. Car la compensation pour laquelle, en 2013, une enveloppe de 4,2 milliards de dinars a été affectée, a atteint un seuil intolérable pour le budget de l’Etat et ne peut, en conséquence, être augmentée davantage.
L’Organisation de défense du consommateur (ODC) n’a pas caché ses inquiétudes. Dans un communiqué, elle a mis en garde le gouvernement contre le risque représenté par sa décision d’augmenter le prix des carburants.
Pour l’ODC, une telle décision pourrait se répercuter négativement sur les prix des autres services et produits de consommation. Et elle n’a pas tort. En 2012, année au cours de laquelle il y a eu de généreuses majorations salariales, les producteurs et prestataires de service ont répercuté, automatiquement, ces augmentations sur les prix.
Résultat : tous les prix des produits non subventionnés ont augmenté au taux moyen de 10% et plus pour certains produits. Tout indique que le même scénario va se répéter en 2013.
Quant aux experts, ils estiment que cette tendance fâcheuse à augmenter les prix et à rendre difficile le quotidien du Tunisien est une solution de facilité et vient illustrer de manière éloquente «l’irresponsabilité» et «l’incompétence» du gouvernement en place. Pour preuve. Ils estiment que le gouvernement dispose de plusieurs mécanismes pour accroître les recettes fiscales de l’Etat et pour réduire de manière significative la compensation. Pour eux, il lui suffisait de les dynamiser.
Côté fiscal, le gouvernement aurait pu mobiliser d’importantes ressources si jamais il avait révisé, à la hausse, l’impôt auquel sont soumis plus de 350.000 forfaitaires contre 100.000 environ pour le régime réel. Ils estiment que le produit de l’impôt forfaitaire est tellement faible qu’il ne couvre probablement pas les frais de sa perception.
Néji Baccouche, juriste, relève que «l’existence de cette catégorie de contribuables, dont la contribution aux recettes fiscales de l’Etat est très modeste, n’est pas de nature à rassurer l’entreprise transparente ni de satisfaire au besoin financier de l’Etat. Elle crée de la frustration chez le contribuable fiscalement «honnête» ou chez celui qui ne peut pas frauder».
Le gouvernement aurait pu, également, soumettre les micro-entrepreneurs opérant dans l’informel à une imposition négociée avec les intéressés, une première étape pour les intégrer, graduellement, dans le secteur formel.
Faut-il rappeler que selon une récente étude commanditée par la centrale patronale, 85% des entreprises tunisiennes, soit 524.000 sur un total de 616.000 que compte le pays, évoluent dans l’informel, c’est-à-dire en flagrant délit de fraude du fisc.
Pis, toujours d’après cette étude, cette armada réalise un chiffre d’affaires non imposable de 115 milliards de dollars, soit six fois et demi le budget de l’Etat pour 2013.
Ces mêmes fiscalistes pensent également que le gouvernement aurait pu renflouer les recettes fiscales en interdisant l’importation non réglementaire et non imposable du carburant des pays voisins. Le gouvernement prive ainsi le budget de l’Etat d’importantes ressources générées par la forte imposition de ce produit.
Et pour ne rien oublier, le gouvernement aurait pu prévoir des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale. Lassaad Dhaouadi, conseiller fiscal, estime à 15 milliards de dinars, cette évasion fiscale.
Au rayon de la compensation, des experts économiques pensent que le gouvernement dispose d’importants instruments légaux pour la réduire de manière significative.
Jaleleddine Ben Rejeb, directeur général de l’Institut national de la statistique (INS), a plaidé, dans des interviews accordées à Radio Express Fm, pour une réforme de la compensation. Il s’agit pour lui de n’en faire bénéficier que ceux qui en ont vraiment besoin, rappelant que 22% de la compensation profitent à des parties locales et étrangères aisées (restaurateurs, pâtissiers, touristes, cadres internationaux accrédités en Tunisie, Libyens, Algériens…).
A court terme, il pense que l’Etat peut faire facilement l’économie de 1,2 milliard de dinars pour peu qu’il intensifie la lutte contre la contrebande et le contrôle des circuits de distribution à travers tout le pays, entre autres pour le second volet, la multiplication des points de vente du producteur au consommateur.
Autre proposition: Il soutient qu’au regard de la recrudescence de la spéculation et de l’enjeu de réduire les sorties de devises pour l’importation de produits de première nécessité (pomme de terre et autres), l’Etat a tout intérêt à restituer à l’Office tunisien du commerce (OCT), du moins jusqu’à la stabilisation du pays, le monopole de l’importation de certains produits. «L’objectif, a-t-il-noté, est de réguler le marché et de compenser les pertes engendrées par les sorties de devises pour l’importation de certains produits, objet de spéculation, par les gains générés par d’autres produits importés plus rémunérateurs à la consommation».
Moralité : pour faire face à la cherté de la vie et aux dérives de la compensation, ce qui manque ce ne sont pas les solutions mais bien la volonté politique.