On n’avait pas besoin d’un sondage d’opinions pour comprendre que l’assassinat, le 6 février 2013, de Chokri Belaïd, secrétaire général du parti des Patriotes démocrates unifié, membre du Front populaire, allait avoir des conséquences sur la vie politique en Tunisie. La première et plus immédiate a été la décision du chef du gouvernement démissionnaire, Hamadi Jebali, de mettre sur la table sa proposition de former un gouvernement de technocrates non-partisans pour mener le pays aux prochaines élections et le gérer dans l’intervalle. Mais trois semaines après, la vie politique nationale laisse percevoir d’autres retombées de cet évènement dramatique. Toutefois, les effets de l’assassinat de Chokri Belaïd sont loin d’avoir la nature et surtout l’ampleur auxquelles on aurait pu s’attendre.
Théoriquement, le secrétaire général du parti des Patriotes démocrates unifié étant une figure de proue de l’opposition, et vu les relations tendues de bon nombre de composantes de cette dernière avec la majorité –dont en particulier Ennahdha- et le gouvernement, on pouvait penser que cette affaire allait rendre les Tunisiens plus inquiets et plus critiques à l’égard du gouvernement.
La 14ème vague du baromètre politique de 3C Etudes, le cabinet de sondages et d’études marketing, dirigé par Hichem Guerfali, fait ressortir en février une baisse de la satisfaction des Tunisiens par rapport à la situation sécuritaire de 8 points à 38% -le taux d’insatisfaction s’établissant à 58%, en progression de 7 points- après avoir connu un mouvement à la hausse au cours des trois mois précédents.
En conséquence de quoi, le degré de satisfaction quant à la prestation du gouvernement a lui aussi reculé, mais moins qu’on pouvait s’y attendre. En effet, alors que le degré de satisfaction à l’égard de la situation sécuritaire a plongé de 8 points, la cote du gouvernement ne baisse que de 5 points à 29%. «4% rendent le gouvernement responsables de l’assassinat alors que les 3 ou 4% restants sont allés grossir les ranges de la frange des Tunisiens ne sachant pas quoi penser de ce qui se passe depuis l’assassinat de Chokri Belaïd», explique Hichem Guerfali.
Nidaa Tounes, son président, Béji Caïd Essebsi, et les partis de la Troïka laissent également des plumes dans cette affaire. Le principal parti de l’opposition n’est plus crédité que de 29,8% lors d’éventuelles élections législatives qui se tiendraient aujourd’hui, soit un recul de 3,3% par rapport au mois précédent (33,1%), contre 29,4% à Ennahdha qui perd davantage (3,6%). En conséquence de quoi, l’écart entre les deux formations passe de 0,1 à 0,4%. En seize mois, le principal parti de la coalition gouvernementale a, d’après le patron de 3C Etues, perdu 32% de son électorat.
Le CPR (de 2,9 à 2,3%) et, surtout, Ettakatol (de 2,9 à 2,3%) continuent eux aussi de plonger.
Contre toute attente, la 14ème vague du Baromètre politique de 3C Etudes révèle, pour la première fois, un renversement de la courbe de Béji Caïd Essebsi. Outre que son score dans des élections présidentielles qui se tiendraient aujourd’hui baisse de 9,9 à 6,8%, le président de Nidaa Tounes se retrouve de nouveau perdant d’un deuxième tour face à Moncef Marzouki alors qu’il était donné pour la première fois vainqueur le mois dernier. Une situation que certains imputent à la relative discrétion de Béji Caïd Essebsi et/ou à son appel à dissoudre l’Assemblée nationale constituante après l’assassinat de Chokri Belaïd.
A l’opposée, le Front populaire et Hamadi Jebali apparaissent comme les principaux gagnants de la situation que cet évènement dramatique a créé dans le pays. En effet, la coalition dirigée par Hamma Hammami est désormais la troisième force politique du pays puisque son score lors d’élections législatives passerait de 7,9% à 12,2%, soit un bond de plus de 50%. Al Joumhouri (de 5,6 à 7,1%) et Al Aaridha Achaabia (de 3,5 à 5,9%) progressent eux aussi mais dans une moindre proportion.
Mais la véritable surprise de la 14ème vague du baromètre politique de 3C Etudes est à l’actif de Hamadi Jebali. Pour la première fois, le chef du gouvernement démissionnaire supplante Moncef Marzouki (avec un score de 6%, contre 2,6%) le mois précédent, comme challenger de Béji Caïd Essebsi lors de la présidentielle. En outre, 59% des Tunisiens partagent sa proposition de former un gouvernement de technocrates et 50% sont pour qu’il reste à la tête du gouvernement. Ce qui veut que le chef du gouvernement démissionnaire a désormais un réel capital politique personnel.