Connu pour être un des faucons d’Ennahdha, certains initiés assurent qu’il est une des personnes les plus puissantes du parti. Il a été le seul à oser déclarer que Rached Ghannouchi devrait prendre sa retraite et se contenter de la «dawa». Etait-ce déjà l’un des premiers signes de sa dissidence?
Hbib Ellouze a 60 ans. Comme Rached Ghannouchi, il commence par être pan arabisant, et c’est vers 1974 qu’il s’ouvre aux islamistes et décide de rejoindre le MTI (Mouvement de la tendance islamique, ou Ettijah Islami) en 1976. A la tête d’une petite entreprise de construction, il s’investit dans le prêche auprès des jeunes avant de quitter le pays via l’Algérie au moment où le régime de Ben Ali serrait la vis sur son parti.
Hbib Ellouze a été chef du parti Ennahdha bien avant sa légalisation, et se retrouve depuis les élections du 23 octobre 2011, député à l’Assemblée nationale constituante (ANC) et membre du «Majliss Echoura» où il a été élu avec 674 voix (Sadok Chourou y arrive en tête de liste parmi 590 candidats proposés, avec 731 voix). Hamadi Jebali y est élu au 9ème rang et Rached Ghannouchi en 12ème position). Sa page Facebook comprend près de 18.000 fans bien plus que Noureddine Bhiri, ministre de la Justice ou Abdelkrim Harouni, ministre du Transport.
Hbib Ellouze ne fait pas dans la dentelle. Il a l’esprit de la confrontation et n’hésite pas à mouiller sa jebbah, ne portant pas de veste: «je ne risque pas de la retourner», dit-il. Des propos qui cassent avec son image austère et un facies sévère. Dans le paysage des leaders d’Ennahdha, il est l’un des plus fantasques: «Je ne suis pas Kamel Eltaief», répond-il lorsqu’on lui demande s’il n’est pas l’homme qui décide dans les coulisses d’Ennahdha.
Pourtant, du temps où il était incarcéré avec Sadok Chourou, Hamadi Jebali, Noureddine Bhiri, on le disait avoir de l’ascendant sur Rached Ghannouchi, chef du parti. Un détenu de prison se souvient: «C’est Ellouze et Chourou qui décidaient de tout. Rached Ghannouchi leur pliait leur petit linge et s’écrasait devant Ellouze… (Interview à paraître sous peu).
Très proche des radicaux islamistes, il en représente ce qu’il convient d’appeler «les vautours» en opposition aux «pigeons». Par ses positions, il se dresse souvent comme un des chefs d’orchestre des manifestations populaires dont la dernière en date, la manifestation “millionnaire” de la semaine écoulée.
Refusant l’initiative de Hamadi Jebali, qu’il qualifie de tentative de retour de l’ancien régime, Hbib Ellouze a été de toutes les «Ikbess Party» et estime incompréhensible qu’après une révolution, l’information soit détenue par ses ennemis. Il regrette la mollesse du gouvernement avec les médias qui «passent sous silence ses grandes réalisations», dont, «les 100.000 postes d’emploi créés, le taux de croissance élevé à 5%, ou encore, le développement du tourisme et de l’agriculture».
Son double discours est incontestable et ne surprend plus personne notamment depuis le fameux incident de véhicule avec le journaliste d’Essabah et son directeur contesté. Dans la même journée, on y voit et écoute Hbib Ellouze donner deux lectures et attitudes contradictoires. La première de soutien et la seconde de mépris. Une version «soft» devant les médias et une version plus cinglante en «off».
Socialement issu d’une grande famille de Sfax, Hbib Ellouze s’adosse sur une certaine forme de régionalisme pour trouver l’appui populaire dont il a besoin pour peser dans l’échiquier politique interne à Ennahdha autant que national. Imam, il fait de la ville économique du pays sa base arrière et n’hésite pas à recourir à ses amis imams comme lui pour organiser une méga manifestation contre l’UGTT à la veille de son annonce de grève générale en décembre 2012.
C’est aussi à Sfax qu’il a installé, dans la colère de la société civile qui porte plainte contre lui, son gendre à la tête de la mairie. Un citoyen qui préfère garder l’anonymat explique: «Le nouveau maire est le gendre de Hbib Ellouze. Sans élections, il est imposé à la population sfaxienne quasiment par force. Ennahdha est de plus en plus haï mais profite du soutien d’une frange de la population dont il exploite la naïveté. Ils ont des milices très bien organisées. Ce sont celles qu’ils ont récupérées au Système déchu».
Les Tunisiens sont devenus allergiques aux liens de parenté des responsables politiques car ils ont trop souffert de la famille Ben Ali et ses passe-droits et s’indignent de voir le gendre de Rached Ghannouchi à la tête du ministère des Affaires étrangères.
Proche des milieux jihadistes, affirmant que «les militants d’al Qaïda sont des Tunisiens», Hbib Ellouze a des liens étroits avec la nébuleuse «Ansar al-Sharia». Un groupe dont les leaders traînent un passé terroriste et qui a mené des actions violentes depuis sa création en 2011. A l’instar de Sadok Chourou, il a publiquement soutenu les manifestants belliqueux dans l’affaire Abdeliya l’année dernière.
Hbib Ellouze montre ses premiers crocs contre Ennahdha lors de l’adoption de l’article premier de la Constitution tunisienne qui stipule que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République». Il avait demandé au président du comité constitutif du mouvement Ennahdha de revenir sur la décision de maintenir l’article premier de la Constitution de 1959, précisant qu’il voulait «inciter à la demande populaire d’appliquer la chariaâ».
Hbib Ellouze est très proche de Sadok Chourou qui est aussi l’un des plus fervents partisans de l’introduction de la chariaâ en tant que source de la législation et qui se dit «certain que 80% des Tunisiens voteront pour l’introduction de la chariaâ dans la Constitution».
Dans la crise de «La Manouba», Hbib Ellouze soutient férocement les étudiantes «niqabées» et propose leur identification par empreinte digitale à travers une pointeuse installée à l’entrée des universités. Sa position tranche avec celle exprimée par Ali Laârayedh, ministre de l’Intérieur et membre d’Ennahdha, qui s’est prononcé contre le port du Niqab à l’Université, allant jusqu’à déclarer que «le voile intégral n’a aucun rapport avec les préceptes de l’Islam».
Au lendemain des tirs à la chevrotine sur les populations de Kasserine, Hbib Ellouze monte au front et pointe du doigt publiquement Chokri Belaïd, assassiné le 6 février. Il l’accuse d’avoir menti au peuple et déclare que celui-ci «joue au militant alors qu’il roulait pour les services de la police de Ben Ali qui le monnayaient» et que «le moment est venu de le démasquer.» La réponse de Chokri Belaïd ne s’est pas fait attendre. Il a traité Ellouze de «Cheikh des menteurs» en lui lançant le défi de présenter la moindre preuve de ce qu’il a avancé. Des preuves qui ne viendront probablement jamais. Hbib Ellouze sera entendu sur l’instruction en cours de l’assassinat de Chokri Belaid.
Hbib Ellouze n’en est pas à son premier accrochage avec les élites tunisiennes. Tout y passe, partis et leaders politiques, société civile, syndicat… Khmaies Ksila, élu de l’ANC, démissionnaire d’Ettakatol ayant rejoint Nidaa Tounes, a porté plainte contre lui en décembre 2012.
Avec l’assassinat de Chokri Belaid, Hbib ellouze est à nouveau au devant de la scène. Le journaliste Zied El hani révèle que directeur général des services spéciaux Mehrez Zouari a des rapports très étroits avec Ennahdha et que c’est Habib Ellouze qui était derrière sa désignation à son poste. Une affaire à suivre.